Cinquante ans d’expérience et pas une ride
« Avoir la confiance de ses hommes, à la vie, à la mort, est une expérience extraordinaire » se souvient Frédéric Martinet, pour qui « le métier qui m’a le plus apporté est celui d’officier du génie. » Les sept camarades de la « Promo 58 », qui ont bien voulu retracer leur carrière pour La Jaune et la Rouge, s’accordent pour considérer ces années de fin de la guerre d’Algérie comme une expérience particulièrement marquante.
« La vie est courte », souligne Frédéric Martinet. « Il faut optimiser la gestion de son temps de vie, en considérant la profession comme un moyen plutôt que comme un but. L’essentiel est d’être heureux. »
Une succession d’opportunités
Tous ont exercé plusieurs métiers, sans l’avoir toujours voulu.
« C’est une suite d’événements qui m’a fait changer », souligne Michel Rochet. « Ici, on est venu me chercher, pour appliquer mes connaissances de l’informatique dans la Banque. Là, on m’a incité au départ, en raison d’une conception des relations sociales s’écartant de l’orthodoxie. »
Michaël Temenides, lui, a connu des virages d’ordre politique. « Après dix-sept ans d’expérience accumulée dans une entreprise routière, je me suis heurté à un nouveau slogan : « moins de béton, plus de gestion » qui n’était pas dans mes idées et qui a marqué le début de la régression en matière de logements sociaux, à l’origine de la pénurie actuelle. »
Il s’est alors orienté vers la sidérurgie, car « spécialiste de la construction, je connaissais les débouchés de l’acier ». Il en retient la leçon qu’il est « très important de connaître un volet de l’activité de celui qui vous recrute et particulièrement des débouchés ».
L’envie de tout connaître Pascal Roux, que sa vocation, née à l’École, a conduit à la prêtrise, s’est beaucoup consacré à la recherche. « Les vrais chercheurs, dit-il, sont désintéressés. » Il a aussi travaillé auprès d’artisans menuisiers ou d’étudiants non scientifiques, « milieux très différents du nôtre, mais passionnants ».
Michel Rochet confirme « qu’il est très enrichissant de découvrir un monde du travail, parfois assez fruste, tout à fait différent de celui que nous connaissons ».
« Changer souvent de secteur est extrêmement souhaitable », renchérit Frédéric Martinet, qui se souvient « avoir tâté du commercial dans la pêche à la ligne » ou « m’être reconverti à plus de cinquante ans dans l’immobilier, dont j’ignorais tout ».
« Notre formation nous a donné une très grande capacité d’adaptabilité », conclut Michaël Temenides. « Nous savons analyser les tâches, connaître à fond un métier et connaître ses débouchés pour plus facilement en changer. »
Un esprit d’indépendance
Pour Jean Sousselier, tout se résume en un mot, « l’indépendance ». « En Algérie, j’étais seul. Quand j’ai créé une entreprise de logiciels, j’étais seul. » Certes, il est parfois un peu oppressant d’être seul, avec des échéances matérielles à très court terme. On croit alors que la solution est de se vendre à plus gros que soi. Mais l’entreprise se met à péricliter, au profit d’autres branches du groupe. « C’est ainsi que j’ai été amené à vendre, puis racheter ma propre entreprise à plusieurs reprises. »
« Il faut savoir, estime Michel Rochet, passer d’une grande entreprise, où le confort administratif est assuré, à la situation extrême où il faut se débrouiller pour jouer tout seul le rôle de directeur, vendeur, comptable, secrétaire et plombier. »
Quelques messages
Les jeunes doivent se préparer à évoluer et savoir que, « s’ils veulent créer une entreprise, ils se retrouveront là où rien n’existe », ajoute Michel Rochet.
Le message de Jean Sousselier, « aux jeunes qui se sentent indépendants dans l’âme », c’est « d’éviter les grands groupes. Mais il faut alors nous débrouiller de tout, qu’il s’agisse de commercial, de technique ou d’administration. »
Aider les jeunes, c’est aussi consigner ses réflexions par écrit. Pascal Roux est l’auteur de plusieurs ouvrages amenant à réfléchir sur la science, l’évolution, la création et l’environnement. Plus que des conseils, il souligne des préoccupations : « Avoir le sens de l’homme, être inventif, faire travailler son imagination et développer en soi ce qu’il y a de plus précieux : la dimension spirituelle. »
Retraite, connais pas
Ce petit échantillon de camarades de la « Promo 58 » reste très actif. Si certains prononcent parfois le mot de retraite, c’est comme Alain Berrier, pour la qualifier « d’hyperactive ». D’autres ont un peu réorienté leur activité vers le conseil indépendant ou, comme Jacques Hervier, sont devenus spécialistes des finances et des ressources humaines pour une cause nouvelle.
Le plus souvent ils n’y font allusion que comme à une simple balise temporelle, « l’âge de la retraite », balise doublée depuis longtemps.