La collecte de fonds privés gagne l’enseignement supérieur
Des grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs aux grandes ou petites universités de province, toutes devront désormais collecter des fonds privés pour survivre à la concurrence mondiale.
C’est le phénomène récent et porteur du fundraising dans l’enseignement supérieur et la recherche.
REPÈRES
De l’autre côté de l’Atlantique, les financements proviennent essentiellement de dons particuliers – bien davantage que d’entreprises –, et plus spécifiquement de quelques dons d’un montant très élevé. Ainsi, le don privé le plus important depuis 1967 est celui de Bill et Melinda Gates au Gates Millenium Scholars Program : un milliard de dollars.
Dans un contexte de crise profonde de l’enseignement supérieur, le fundraising – l’action de collecter des fonds auprès d’acteurs privés – apparaît aujourd’hui comme un remède pour continuer à se maintenir « dans la course » de la concurrence mondialisée.
Un appareil législatif favorable
La loi Aillagon
Depuis le 1er août 2003, les entreprises et les particuliers peuvent bénéficier d’une réduction d’impôts équivalente à 60 % pour les premières et 66 % pour les seconds pour des dons effectués aux associations et fondations.
Le versement de la taxe d’apprentissage a permis à certains établissements d’enseignement supérieur de s’initier à une forme de collecte de fonds auprès des entreprises. Par ailleurs, certaines écoles ont donné naissance à leur « fondation » depuis de nombreuses années (la Fondation HEC a été créée en 1972 !).
Un environnement concurrentiel où il s’agit d’attirer le maximum de donateurs
Mais, cette pratique n’aurait pu s’étendre et se généraliser sans la mise en œuvre très récente d’un appareil législatif favorisant l’accélération de son implantation en France. Deux réformes d’envergure ont ainsi fait le terreau du développement de la collecte de fonds. La première, la « loi Aillagon », a réformé en profondeur la fiscalité du mécénat et celle des fondations.
La deuxième réforme, sans doute la plus importante politiquement mais aussi la plus contestée, a été votée en août 2007. Cette loi portant sur l’autonomie des universités encourage ainsi les établissements publics d’enseignement supérieur à se doter de fondations qui pourront recevoir les dons de particuliers et d’entreprises bénéficiant des avantages fiscaux de la « loi Aillagon ».
À ces deux lois fondatrices peut s’ajouter le récent dispositif visant à une déduction de 75 % sur l’ISF des dons faits à des fondations reconnues d’utilité publique, dans la limite de 50 000 euros de déduction.
Trouver un positionnement
Dans cet environnement concurrentiel où il s’agit d’attirer le maximum de donateurs, les universités et les écoles doivent trouver un positionnement stratégique, un projet porteur et unique à défendre.
Leur avantage comparatif repose en partie sur les élèves eux-mêmes. Notamment les anciens élèves qui représentent le « vivier » logique de donateurs potentiels, le sentiment d’appartenance étant l’une des clés de voûte du fundraising. Encore faut-il que les établissements puissent disposer de la base de données de leurs anciens élèves. Aux États-Unis, les relations avec les alumni sont non seulement intégrées au cœur de l’action des universités mais elles sont en lien étroit avec les équipes de fundraising, les deux directions étant en général sous l’autorité d’un seul et même vice-président, membre du bureau exécutif. C’est pourquoi, toute action de fundraising doit reposer sur une entente solide et la mutualisation de moyens entre les différents acteurs.
La place des entreprises
Les entreprises occupent une place centrale dans la collecte de fonds privés. D’une part, parce que la relation avec les entreprises s’inscrit dans la tradition partenariale des établissements (stages, recrutements, formation continue, contrats de recherche, collecte de la taxe d’apprentissage), mais aussi parce que les chefs d’entreprise et autres décisionnaires sont souvent des anciens élèves.
Le « modèle » américain
La course aux fonds
Des établissements publics se lancent dans la course aux fonds. Dès février 2007, l’université de Lyon I – Claude Bernard a créé une fondation d’entreprise qu’elle transforme aujourd’hui, à l’aide des nouveaux outils législatifs, en fondation partenariale. Dauphine, l’université Paris- Sorbonne, l’université de Nantes, l’université de Tours, l’université Paris V, l’université Paris II-Assas, l’université de Cergy- Pontoise, l’université Paris VI, l’université de technologie de Compiègne ont également commencé à regarder de près les enjeux du fundraising.
Les méthodes et stratégies de collecte anglo-saxonnes constituent d’inépuisables sources d’inspiration pour les fundraisers français. Il faut dire qu’aux États-Unis, le premier don fait par un ancien élève date de 1638, par M. John Harvard lui-même ! Les universités américaines bénéficient de réseaux d’anciens très structurés – les alumni – et très attachés à leur établissement : un ancien étudiant est fier de l’université dont il est diplômé, et sera enclin, une fois entré dans la vie active, à contribuer à son développement. D’une certaine façon, il en va de la valeur de son diplôme et de sa compétitivité sur le marché du travail. L’administration et le corps professoral jouent un rôle déterminant dans la création d’une attitude positive des étudiants vis-à-vis du fundraising, alors qu’ils n’ont pas encore quitté les bancs universitaires ! Le long terme est très présent dans la démarche de suivi des anciens tout au long de leur carrière. À mesure qu’ils grimpent dans l’échelle sociale, ils peuvent devenir de très grands donateurs. L’important pour une université est de maintenir le lien coûte que coûte avec l’étudiant devenu ancien élève. L’une des meilleures illustrations est le principe des class reunions où il ne s’agit pas de réunir une promotion à l’occasion d’un anniversaire, mais d’inviter l’ensemble des anciens à revenir tous les cinq ans sur le campus pour participer à un temps fort réunissant des promotions de plusieurs générations.
Aux États-Unis, mais également en Grande-Bretagne (Cambridge, Oxford, Imperial College), ou encore au Japon (université de Kyoto), des décennies de pratique de fundraising auprès des anciens élèves, mais aussi de leurs familles et de leurs entreprises, ont permis la constitution de fonds de dotation (endowments) gigantesques qui placés, parfois avec risque, produisent des intérêts pouvant se chiffrer en millions de dollars. Le patron du fonds de Harvard est l’un des financiers les mieux rétribués et son salaire est sans commune mesure avec celui du président de l’université.
Les facteurs clés de succès
L’administration et le corps professoral jouent un rôle déterminant dans la création d’une attitude positive des étudiants
Heureusement ou non, la France n’en est pas encore à ce stade. Les campagnes de levée de fonds visent essentiellement à assurer le fonctionnement de projets, bourses, programmes de recherche, voire le financement d’une partie des infrastructures. Si la professionnalisation des collecteurs de fonds est en bonne voie, des progrès restent à faire, en particulier dans l’investissement humain et financier. Il nous faut inventer un fundraising à la française, en développant une approche marketing très stratégique. L’image de l’institution doit être travaillée, de façon à donner envie aux donateurs – même s’ils en sont a priori proches – de sortir leur portefeuille et de soutenir l’établissement qui les a formés ou dont ils sont partenaires. Une gamme d’activités et de projets doit être composée, « packagée », telle une gamme de produits ou de services proposée par une entreprise à différents segments de marchés. La mobilisation de tous les acteurs de l’institution est l’élément sans lequel le plan marketing ne saurait être efficace à long terme, tout comme la création et le maintien du lien entre l’étudiant et son établissement, « cultivable » durant toute sa vie.
L’Association française des fundraisers oeuvre depuis près de vingt ans à la formation des collecteurs de fonds. Depuis 2003, elle accompagne l’émergence du fundraising dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, en organisant des rencontres puis une conférence spécifique sur le sujet, dont la 3e édition a eu lieu en février dernier.