La collecte de fonds privés gagne l’enseignement supérieur

Dossier : Le financement de l'enseignement supérieur et de la rechercheMagazine N°634 Avril 2008
Par Yaële AFERIAT

Des grandes écoles de com­merce ou d’ingénieurs aux grandes ou petites uni­ver­si­tés de pro­vince, toutes devront désor­mais col­lec­ter des fonds pri­vés pour sur­vivre à la concur­rence mondiale.
C’est le phé­no­mène récent et por­teur du fun­drai­sing dans l’enseignement supé­rieur et la recherche.

REPÈRES
De l’autre côté de l’Atlantique, les finan­ce­ments pro­viennent essen­tiel­le­ment de dons par­ti­cu­liers – bien davan­tage que d’entreprises –, et plus spé­ci­fi­que­ment de quelques dons d’un mon­tant très éle­vé. Ain­si, le don pri­vé le plus impor­tant depuis 1967 est celui de Bill et Melin­da Gates au Gates Mil­le­nium Scho­lars Pro­gram : un mil­liard de dollars.

Dans un contexte de crise pro­fonde de l’enseignement supé­rieur, le fun­drai­sing – l’action de col­lec­ter des fonds auprès d’acteurs pri­vés – appa­raît aujourd’hui comme un remède pour conti­nuer à se main­te­nir « dans la course » de la concur­rence mondialisée.

Un appareil législatif favorable

La loi Aillagon
Depuis le 1er août 2003, les entre­prises et les par­ti­cu­liers peuvent béné­fi­cier d’une réduc­tion d’impôts équi­va­lente à 60 % pour les pre­mières et 66 % pour les seconds pour des dons effec­tués aux asso­cia­tions et fondations.

Le ver­se­ment de la taxe d’apprentissage a per­mis à cer­tains éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur de s’initier à une forme de col­lecte de fonds auprès des entre­prises. Par ailleurs, cer­taines écoles ont don­né nais­sance à leur « fon­da­tion » depuis de nom­breuses années (la Fon­da­tion HEC a été créée en 1972 !).

Un envi­ron­ne­ment concur­ren­tiel où il s’agit d’attirer le maxi­mum de donateurs

Mais, cette pra­tique n’aurait pu s’étendre et se géné­ra­li­ser sans la mise en œuvre très récente d’un appa­reil légis­la­tif favo­ri­sant l’accélération de son implan­ta­tion en France. Deux réformes d’envergure ont ain­si fait le ter­reau du déve­lop­pe­ment de la col­lecte de fonds. La pre­mière, la « loi Ailla­gon », a réfor­mé en pro­fon­deur la fis­ca­li­té du mécé­nat et celle des fondations.

La deuxième réforme, sans doute la plus impor­tante poli­ti­que­ment mais aus­si la plus contes­tée, a été votée en août 2007. Cette loi por­tant sur l’autonomie des uni­ver­si­tés encou­rage ain­si les éta­blis­se­ments publics d’enseignement supé­rieur à se doter de fon­da­tions qui pour­ront rece­voir les dons de par­ti­cu­liers et d’entreprises béné­fi­ciant des avan­tages fis­caux de la « loi Aillagon ».
À ces deux lois fon­da­trices peut s’ajouter le récent dis­po­si­tif visant à une déduc­tion de 75 % sur l’ISF des dons faits à des fon­da­tions recon­nues d’utilité publique, dans la limite de 50 000 euros de déduction.

Trouver un positionnement

Dans cet envi­ron­ne­ment concur­ren­tiel où il s’agit d’attirer le maxi­mum de dona­teurs, les uni­ver­si­tés et les écoles doivent trou­ver un posi­tion­ne­ment stra­té­gique, un pro­jet por­teur et unique à défendre.
Leur avan­tage com­pa­ra­tif repose en par­tie sur les élèves eux-mêmes. Notam­ment les anciens élèves qui repré­sentent le « vivier » logique de dona­teurs poten­tiels, le sen­ti­ment d’appartenance étant l’une des clés de voûte du fun­drai­sing. Encore faut-il que les éta­blis­se­ments puissent dis­po­ser de la base de don­nées de leurs anciens élèves. Aux États-Unis, les rela­tions avec les alum­ni sont non seule­ment inté­grées au cœur de l’action des uni­ver­si­tés mais elles sont en lien étroit avec les équipes de fun­drai­sing, les deux direc­tions étant en géné­ral sous l’autorité d’un seul et même vice-pré­sident, membre du bureau exé­cu­tif. C’est pour­quoi, toute action de fun­drai­sing doit repo­ser sur une entente solide et la mutua­li­sa­tion de moyens entre les dif­fé­rents acteurs.

La place des entreprises

Les entre­prises occupent une place cen­trale dans la col­lecte de fonds pri­vés. D’une part, parce que la rela­tion avec les entre­prises s’inscrit dans la tra­di­tion par­te­na­riale des éta­blis­se­ments (stages, recru­te­ments, for­ma­tion conti­nue, contrats de recherche, col­lecte de la taxe d’apprentissage), mais aus­si parce que les chefs d’entreprise et autres déci­sion­naires sont sou­vent des anciens élèves.

Le « modèle » américain

La course aux fonds
Des éta­blis­se­ments publics se lancent dans la course aux fonds. Dès février 2007, l’université de Lyon I – Claude Ber­nard a créé une fon­da­tion d’entreprise qu’elle trans­forme aujourd’hui, à l’aide des nou­veaux outils légis­la­tifs, en fon­da­tion par­te­na­riale. Dau­phine, l’université Paris- Sor­bonne, l’université de Nantes, l’université de Tours, l’université Paris V, l’université Paris II-Assas, l’université de Cer­gy- Pon­toise, l’université Paris VI, l’université de tech­no­lo­gie de Com­piègne ont éga­le­ment com­men­cé à regar­der de près les enjeux du fun­drai­sing.

Les méthodes et stra­té­gies de col­lecte anglo-saxonnes consti­tuent d’inépuisables sources d’inspiration pour les fun­drai­sers fran­çais. Il faut dire qu’aux États-Unis, le pre­mier don fait par un ancien élève date de 1638, par M. John Har­vard lui-même ! Les uni­ver­si­tés amé­ri­caines béné­fi­cient de réseaux d’anciens très struc­tu­rés – les alum­ni – et très atta­chés à leur éta­blis­se­ment : un ancien étu­diant est fier de l’université dont il est diplô­mé, et sera enclin, une fois entré dans la vie active, à contri­buer à son déve­lop­pe­ment. D’une cer­taine façon, il en va de la valeur de son diplôme et de sa com­pé­ti­ti­vi­té sur le mar­ché du tra­vail. L’administration et le corps pro­fes­so­ral jouent un rôle déter­mi­nant dans la créa­tion d’une atti­tude posi­tive des étu­diants vis-à-vis du fun­drai­sing, alors qu’ils n’ont pas encore quit­té les bancs uni­ver­si­taires ! Le long terme est très pré­sent dans la démarche de sui­vi des anciens tout au long de leur car­rière. À mesure qu’ils grimpent dans l’échelle sociale, ils peuvent deve­nir de très grands dona­teurs. L’important pour une uni­ver­si­té est de main­te­nir le lien coûte que coûte avec l’étudiant deve­nu ancien élève. L’une des meilleures illus­tra­tions est le prin­cipe des class reu­nions où il ne s’agit pas de réunir une pro­mo­tion à l’occasion d’un anni­ver­saire, mais d’inviter l’ensemble des anciens à reve­nir tous les cinq ans sur le cam­pus pour par­ti­ci­per à un temps fort réunis­sant des pro­mo­tions de plu­sieurs générations.

Aux États-Unis, mais éga­le­ment en Grande-Bre­tagne (Cam­bridge, Oxford, Impe­rial Col­lege), ou encore au Japon (uni­ver­si­té de Kyo­to), des décen­nies de pra­tique de fun­drai­sing auprès des anciens élèves, mais aus­si de leurs familles et de leurs entre­prises, ont per­mis la consti­tu­tion de fonds de dota­tion (endow­ments) gigan­tesques qui pla­cés, par­fois avec risque, pro­duisent des inté­rêts pou­vant se chif­frer en mil­lions de dol­lars. Le patron du fonds de Har­vard est l’un des finan­ciers les mieux rétri­bués et son salaire est sans com­mune mesure avec celui du pré­sident de l’université.

Les facteurs clés de succès

L’administration et le corps pro­fes­so­ral jouent un rôle déter­mi­nant dans la créa­tion d’une atti­tude posi­tive des étudiants

Heu­reu­se­ment ou non, la France n’en est pas encore à ce stade. Les cam­pagnes de levée de fonds visent essen­tiel­le­ment à assu­rer le fonc­tion­ne­ment de pro­jets, bourses, pro­grammes de recherche, voire le finan­ce­ment d’une par­tie des infra­struc­tures. Si la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des col­lec­teurs de fonds est en bonne voie, des pro­grès res­tent à faire, en par­ti­cu­lier dans l’investissement humain et finan­cier. Il nous faut inven­ter un fun­drai­sing à la fran­çaise, en déve­lop­pant une approche mar­ke­ting très stra­té­gique. L’image de l’institution doit être tra­vaillée, de façon à don­ner envie aux dona­teurs – même s’ils en sont a prio­ri proches – de sor­tir leur por­te­feuille et de sou­te­nir l’établissement qui les a for­més ou dont ils sont par­te­naires. Une gamme d’activités et de pro­jets doit être com­po­sée, « packa­gée », telle une gamme de pro­duits ou de ser­vices pro­po­sée par une entre­prise à dif­fé­rents seg­ments de mar­chés. La mobi­li­sa­tion de tous les acteurs de l’institution est l’élément sans lequel le plan mar­ke­ting ne sau­rait être effi­cace à long terme, tout comme la créa­tion et le main­tien du lien entre l’étudiant et son éta­blis­se­ment, « culti­vable » durant toute sa vie.

L’Association fran­çaise des fun­drai­sers oeuvre depuis près de vingt ans à la for­ma­tion des col­lec­teurs de fonds. Depuis 2003, elle accom­pagne l’émergence du fun­drai­sing dans le champ de l’enseignement supé­rieur et de la recherche, en orga­ni­sant des ren­contres puis une confé­rence spé­ci­fique sur le sujet, dont la 3e édi­tion a eu lieu en février dernier.

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