Les petites entreprises financent les grosses

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Hubert KIRCHNER (80)

Les PME manquent de fonds propres, affirme-t-on souvent.
Nous allons voir qu’il n’en est rien et que le pro­blème est ailleurs.
Les conclu­sions que je pré­sente ici sont issues d’une étude sta­tis­tique que j’ai réa­li­sée sur les liasses fis­cales 1996 de plus de 300 000 entre­prises fran­çaises de plus de 5 MF de chiffre d’affaires, infor­ma­tions dis­po­nibles sur la base de don­nées CD-Risk de S&W, filiale fran­çaise de Dun & Bradstreet.
Je tiens cette étude à la dis­po­si­tion des lec­teurs qui seraient intéressés.

L’a­na­lyse sta­tis­tique des bilans et comptes de résul­tats est sans appel. Elle montre que les finan­ce­ments à long terme (fonds propres et emprunts) des PME couvrent mieux en moyenne leurs immo­bi­li­sa­tions que ne le font ceux des grandes entre­prises. Leur taux d’en­det­te­ment ne pose pas non plus de problème.

En revanche, le besoin de finan­ce­ment du cycle d’ex­ploi­ta­tion est tou­jours sen­si­ble­ment plus impor­tant dans le cas des PME. Et cette par­ti­cu­la­ri­té a pour seule cause les longs délais de paie­ment de leurs clients, expres­sion d’un rap­port de force qui leur est presque tou­jours défavorable.

Cet usage, abu­sif en France et dans les pays latins, de ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler le cré­dit inter­en­tre­prises han­di­cape lour­de­ment le déve­lop­pe­ment de nos PME. Il faut prendre conscience que la tré­so­re­rie faite par les grandes entre­prises sur les petites dépasse, en France, le mon­tant de 100 mil­liards de francs.

Cela veut dire que si toutes les entre­prises payaient leurs four­nis­seurs à trente jours, ce qui est la pra­tique dans le monde anglo-saxon, chaque PME de 30 MF de chiffre d’af­faires ver­rait en moyenne sa tré­so­re­rie aug­men­ter de 1,5 MF. C’est une somme consi­dé­rable pour une entre­prise de cette taille, une somme qui lui per­met­trait d’in­ves­tir indus­triel­le­ment ou com­mer­cia­le­ment sans ris­quer de mettre en péril son équi­libre financier.

Il faut cepen­dant se gar­der du mau­vais réflexe qui consis­te­rait à légi­fé­rer ou à régle­men­ter ces délais car ce serait tom­ber dans le piège, véri­ta­ble­ment désas­treux pour les PME, de l’ap­pli­ca­tion par elles seules de cette nou­velle régle­men­ta­tion ou légis­la­tion. Les PME ne peuvent pas s’of­frir le luxe de conflits avec des clients et four­nis­seurs plus puis­sants qu’elles.

Les nou­veaux usages devraient, à mon sens, repo­ser sur les prin­cipes suivants :

  • res­pon­sa­bi­li­ser l’en­tre­prise cliente en lui fai­sant sup­por­ter finan­ciè­re­ment les frais des titres de paie­ment qu’elle utilise,
  • péna­li­ser fis­ca­le­ment les entre­prises qui abusent des délais de paie­ment en ren­dant le cré­dit inter­en­tre­prises plus coû­teux que le cré­dit bancaire,
  • per­mettre aux PME d’être payées à trente jours sans frais,
  • pré­ser­ver la rela­tion com­mer­ciale de tout litige por­tant sur les délais de paiement,
  • évi­ter toute inter­ven­tion de l’É­tat en fai­sant en sorte que le sys­tème s’autorégule.

Trois mesures simples seraient, à cet égard, suffisantes :

1 – Pénaliser fiscalement les abus de délais de paiement en majorant l’impôt sur les sociétés des entreprises responsables de ces abus.

L’a­bus consis­te­rait pour une entre­prise à payer ses four­nis­seurs dans un délai qui soit à la fois supé­rieur à trente jours et supé­rieur au délai de paie­ment de ses clients.

Si, à par­tir des élé­ments de la liasse fis­cale, ces deux dépas­se­ments simul­ta­nés étaient consta­tés, l’im­pôt sur les socié­tés serait majo­ré d’un mon­tant égal aux inté­rêts annuels que devrait payer l’en­tre­prise si elle emprun­tait la tota­li­té de son compte four­nis­seur au taux offi­ciel de l’usure.

Cette mesure per­met­trait de rendre le cré­dit inter­en­tre­prises plus cher que le cré­dit ban­caire. Et donc de faire pro­gres­si­ve­ment dis­pa­raître ces pra­tiques néfastes.

2 – Permettre aux PME fournisseurs d’être payées à trente jours sans frais, sur simple présentation des pièces justificatives.

Ces pièces jus­ti­fi­ca­tives seraient : soit le titre de paie­ment soit la fac­ture. La BDPME, ou toute autre banque, régle­rait aus­si­tôt à l’en­tre­prise la somme due et se char­ge­rait de recou­vrer la créance auprès du client, ain­si que les frais de son inter­ven­tion. L’en­tre­prise four­nis­seur res­te­rait bien enten­du res­pon­sable de tout litige por­tant sur la vente.

3 – Imputer à l’émetteur d’un titre de paiement les frais afférents.

L’u­sage veut que le des­ti­na­taire d’un titre de paie­ment paie les frais qui y sont asso­ciés, alors que c’est l’é­met­teur qui choi­sit le mode de paie­ment qui lui convient.

Il serait plus sain que ce soit l’é­met­teur du titre qui paie : frais admi­nis­tra­tifs et frais d’es­compte lorsque le délai de trente jours est dépas­sé. La banque du four­nis­seur, récep­trice du paie­ment, fac­tu­re­rait direc­te­ment ces frais à l’é­met­teur du paiement.

Ces pro­po­si­tions de mesures sont issues de la pra­tique du terrain.
Dis­cu­tées avec des pra­ti­ciens des opé­ra­tions de paie­ment, elles res­tent, bien sûr, des pro­po­si­tions ouvertes.
L’im­por­tant est de faire évo­luer ces usages de cré­dit inter­en­tre­prises qui han­di­capent for­te­ment notre éco­no­mie au moyen de mesures inci­ta­tives et non coercitives.

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