Lutter pour loger les plus défavorisés
Le logement des plus démunis
La loi du 31 mai 1990, qui est appelée loi « Besson », a résulté de la prise de conscience du fait que la conjugaison d’un parc de logements sociaux de qualité et d’un marché libre ne permettait pas – ou plus – d’offrir un logement décent à tous. Ce texte, qui a institué le droit au logement, a prévu l’instauration d’un dispositif partenarial dans chaque département : il s’agit du Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) et de son instrument financier, le Fonds de solidarité logement (FSL), qui, l’un et l’autre, associent l’État et le Conseil général. Parallèlement, ont été mis en place des financements PLA très sociaux qui permettent d’offrir à des ménages de ressources très faibles des logements avec un loyer plus bas que ceux du parc HLM ordinaire.
Sont concernés par le partenariat non seulement l’État, détenteur de la compétence logement, et le Conseil général, qui a la responsabilité de l’action sociale, mais aussi les communes, les bailleurs publics ou privés, les caisses d’allocations familiales, les organismes collecteurs du 1 % logement et enfin les associations œuvrant dans le domaine de l’insertion. Il s’agit de permettre à la fois le maintien dans les lieux (notamment par une aide à l’apurement des loyers impayés), l’accès au logement (par la recherche de logements adaptés et l’aide au paiement du dépôt de garantie…) et l’accompagnement social des ménages pour lesquels cela apparaît nécessaire.
Le cas de la Moselle
En Moselle, les partenaires locaux ont mis en place des dispositifs originaux. Un Groupement d’intérêt public pour le droit au logement (GIPDAL) a été créé pour assurer l’animation du PDALPD et la gestion financière du FSL, qui présente le double avantage d’une institution neutre et uniquement destinée au logement des démunis. Elle a par contre un coût de fonctionnement et subit la tentation de tout organisme institué à se prendre pour fin en soi.
Ils ont aussi créé la fonction « d’ouvreurs à l’habitat » dont la mission est de rechercher des solutions d’habitat adapté pour des familles en très grande difficulté. Il peut s’agir de les loger en habitat individuel, quand il faut prévenir des problèmes de voisinage, mais il faut prévoir aussi une bonne accessibilité aux services, notamment sociaux, et parfois un grand besoin d’espace pour des nomades en voie de sédentarisation. Il revient à ces ouvreurs à l’habitat de trouver des solutions personnalisées, en utilisant tous les dispositifs existants.
Les lourdeurs du système
Il reste malgré tout d’énormes difficultés à surmonter, d’une part parce que ces dispositifs ne suffisent pas à appréhender toutes les situations, et d’autre part parce qu’il faut sans cesse réactiver les acteurs. Certains démunis se trouvent confrontés à des situations très complexes où les difficultés se cumulent dans tous les domaines : emploi, santé, école, comportement social, logement…, de sorte qu’aucun des cadres administratifs prévus par les textes ne s’applique à leur cas. Il faut être à l’écoute de la situation réelle des personnes, sans jamais perdre de vue la dimension humaine.
Dans le cadre des commissions FSL, par exemple, on est confronté à des dossiers individuels, qu’il faut regarder cas par cas, sans se laisser enfermer dans des règles administratives intangibles. Un logement adapté, pour certains types de familles, n’est pas nécessairement un logement en dur : il faudrait pouvoir financer des « mobile home » pour les nomades en voie de sédentarisation. Et cette nécessité de déroger à la règle dans certaines situations est le plus souvent fondée sur une appréciation qualitative, voire subjective : il s’agit de se demander comment la famille perçoit sa propre situation.
Un dispositif comme les ouvreurs à l’habitat apporte une souplesse, mais il ne permet pas de dépasser tous les blocages, qu’ils soient réglementaires ou résultent de la rigidité de certains acteurs. Ainsi l’installation à demeure de caravanes pour un clan de gens du voyage, qui posent de gros problèmes de voisinage, ne sera généralement pas autorisée par les règles d’urbanisme, et carrément impossible si l’on veut les installer à l’écart des zones habitées. Mais les institutions elles-mêmes multiplient les obstacles : celles qui financent n’ont pas envie de prendre en compte des opérations à la marge, les communes ne souhaitent pas accueillir plus de pauvres, ni même parfois avoir à s’occuper de ceux qui sont déjà leurs administrés, les bailleurs même sociaux rechignent à loger les locataires à risques…
Trouver les vraies réponses
La réalité du terrain conduit ainsi à réinterroger le système par rapport aux besoins à satisfaire et par rapport aux objectifs à atteindre. Il faut une empathie particulière envers les plus pauvres pour se rendre compte que les dispositifs institutionnels ne suffisent pas à apporter de vraies réponses et qu’il faut un supplément d’âme. Il ne suffit pas d’un bon fonctionnement administratif, avec une bonne consommation de crédits, pour déclarer le dispositif satisfaisant. Il faut perpétuellement se poser la question des besoins, se demander si l’on n’ignore pas un pan entier du problème : il est par exemple plus facile, en prenant prétexte de la méconnaissance du secteur et de son atomisation, de ne pas se préoccuper des problèmes du parc privé social de fait pour se consacrer uniquement aux locataires des bailleurs sociaux.
Il faut des acteurs animés par une conviction forte pour développer une véritable compréhension des problèmes. Le dispositif est partenarial, et pour le faire évoluer, il faut sans cesse convaincre l’instance de pilotage de la nécessité d’une prise en compte de la dimension sociale et humaine des problèmes. Après la phase des négociations qui ont conduit à l’élaboration d’un premier PDALPD, chaque institution a tendance à se replier sur une vision étriquée de ses compétences, de ses prérogatives et de ses intérêts, au risque de tuer la dynamique partenariale et de scléroser le système pour en faire une simple machine administrative.
Il est nécessaire de se battre pour que continue la lutte contre l’exclusion. Chacun des partenaires doit se convaincre que l’enjeu social du problème peut parfois primer sur l’intérêt économique à court terme, qu’il faut dépasser les intérêts particuliers à chaque institution pour véritablement converger sur un projet commun. Chacun pourra alors, au sein de sa propre structure, se faire l’ambassadeur de ce projet, lutter contre les rigidités de fonctionnement et de raisonnement, transcender enfin les buts de sa structure au nom d’un objectif reconnu par tous qui est le maintien de la cohésion de notre société.