La Finlande et l’Europe
Le groupe X‑Europe, présidé par notre camarade Bernard Cabaret (58), a tenu son Assemblée générale le 23 novembre 1998 à Paris.
À cette occasion, Monsieur Pertti Torstila, directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires étrangères de Finlande, a prononcé l’allocution suivante que La Jaune et la Rouge est très honorée de reproduire.
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Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est vraiment un grand plaisir pour moi d’assister à cette réunion du groupe X‑Europe aujourd’hui ici à Paris où, pendant plusieurs années, j’ai élu domicile et qui fut aussi le lieu de mes études pendant ma scolarité à l’ENA en 1980–1981, et de rencontrer plusieurs amis et anciens élèves de l’École.
Les organisateurs de cette réunion m’ont demandé de vous parler aujourd’hui sur le sujet « La Finlande et l’Europe », une demande que j’ai acceptée avec grand plaisir.
L’adhésion à l’Union européenne – une étape importante
Pendant toute son histoire la Finlande a été située à la frontière des sphères politiques et culturelles de l’Occident et de l’Orient, mais elle a toujours été culturellement et socialement rattachée au côté occidental. La géopolitique a néanmoins toujours joué un rôle marquant dans la politique étrangère finlandaise.
Avec son adhésion, le 1er janvier 1995, à l’Union européenne, on peut dire que la Finlande a enfin pris la place qui lui revenait, conformément à son identité nationale, dans la communauté des nations de l’Europe de l’Ouest.
Ainsi, l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne a constitué une étape importante dans notre histoire. L’appartenance, pendant des siècles, à la sphère de la civilisation européenne a toujours été une évidence, mais ce n’est que l’adhésion à l’Union européenne qui a permis de conférer aux relations qu’entretient la Finlande avec le continent leur caractère spécifique. La coopération étroite menée depuis ces dernières années sur la base des valeurs et intérêts communs a permis de préciser la position de la Finlande vis-à-vis du reste du monde. Cette adhésion a également modifié l’opinion des Finlandais d’eux-mêmes.
Pendant la guerre froide, la Finlande a su rester, tant d’un point de vue politique, économique que culturel, un pays neutre. La neutralité, aujourd’hui un concept passé pour nous, se fondait sur la décision d’un peuple aspirant à l’indépendance de se tenir à l’écart des conflits politiques. L’appartenance à l’Union européenne nous signifie l’engagement total aux obligations communes. Dans une union on n’est pas neutre.
Lors de son adhésion à l’Union européenne la Finlande était, du point de vue de son économie, de la structure de son industrie ou encore de son PIB, plus avancée que de nombreux anciens pays membres. Depuis, la Finlande s’est efforcée de respecter les objectifs fixés, notamment en remplissant, parmi les premiers pays, les critères de convergence. La Finlande va faire partie de la troisième phase de l’Union économique et monétaire, l’UEM, qui sera mise en application au début de l’année prochaine, ce qui signifie un événement historique en Europe, et aussi mondialement.
Les changements profonds résultant de l’adhésion ont été ressentis aussi dans le domaine de la culture. Cela c’est traduit, par exemple, par une intensification rapide de l’apprentissage du français. En quelques années, l’apprentissage du français parmi les adultes en Finlande a doublé.
La Finlande en Europe – les voisins
Les relations de la Finlande avec ses régions voisines vont rester d’importance primordiale pour nous. L’adhésion de la Finlande, de la Suède et du Danemark à l’Union européenne n’a nullement mis en question la coopération nordique, qui se poursuit toujours entre les cinq pays nordiques. La Norvège et l’Islande n’ont pas adhéré à l’Union européenne, même si tous les pays nordiques font partie de l’Espace économique européen. C’est à proprement parler à cause de cette situation que les instances de la coopération nordique sont devenues d’importantes arènes pour traiter des questions d’intégration européenne.
La coopération nordique a pris une nouvelle dimension grâce au lien qui a été établi avec les trois pays Baltes redevenus indépendants (l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie). À l’instar de la Finlande avec l’Estonie, les pays nordiques s’efforcent, bilatéralement, d’affermir les bases de l’indépendance des pays Baltes, de stabiliser leur économie et leur politique et de les intégrer dans les structures de coopération européennes. Tout cela les prépare pour l’adhésion à l’Union européenne.
La mutation politique européenne a aussi ouvert des perspectives d’une coopération plus étendue et plus diversifiée dans la région de la mer Baltique. Au regard des objectifs politiques de la Finlande, il est significatif que le Conseil des États riverains de la mer Baltique comprenne de nouveaux et d’anciens membres de l’Union européenne, des pays désireux d’y adhérer ainsi que la Russie. La région de la mer Baltique prendra une place importante dans la coopération entre l’Union et la Russie.
Les régions voisines, autrement dit Saint-Pétersbourg, la Carélie et la péninsule de Kola, dominent la coopération bilatérale finno-russe. Les questions d’environnement et de sécurité nucléaire (centrales nucléaires) y occupent la première place. De même, le commerce entre les deux pays, qui s’était effondré avec le démantèlement de l’Union soviétique, a été réactivé, prenant de nouvelles formes grâce à la réforme économique entreprise en Russie.
Les relations entre la Finlande et la Russie restent importantes aussi dans la nouvelle situation en Europe. La forte implantation militaire de la Russie à proximité de la frontière orientale finlandaise n’est pas considérée comme un problème bilatéral, mais nous restons attentifs et soulignons l’importance du Traité sur la limitation des forces armées conventionnelles en Europe.
Dans l’Union européenne, la Finlande œuvre activement à l’établissement de liens avec la Russie et au soutien de sa politique de réforme, notamment en faisant progresser et en mettant à profit le programme TACIS d’assistance technique. Sans une politique de longue haleine, un clivage réel – normatif et matériel – menace d’apparaître aux frontières ouest de la Russie.
La dimension septentrionale – ou la dimension nordique – à savoir les régions du nord extra-européennes devient une composante de plus en plus importante dans les relations extérieures de l’Union européenne. Les régions de Barents et de la Russie du nord-ouest offrent de nombreux débouchés grâce à leurs ressources pétrolières et de gaz naturel. Le développement de l’industrie forestière et de l’infrastructure de la région, notamment du réseau de transport et d’énergie, profitera, à long terme, à toute l’Europe. Le Conseil de Barents est un parfait exemple d’instance régionale dépassant les frontières de l’Union européenne et renforçant la dimension nordique de celle-ci.
La Finlande membre de l’Union européenne
Lorsque, pendant la guerre froide, la Finlande participait à la coopération européenne, une distinction était faite entre objectifs économiques et objectifs politiques. Membre de l’Union européenne, la Finlande donne sa pleine contribution aussi bien à la coopération économique que sociale et politique de l’Union. Comme je viens de le dire, la Finlande va participer, conformément au traité de Maastricht, à la troisième phase de l’Union économique et monétaire (UEM) à compter de 1999.
Région lacustre de Saimaa.
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En matière de politique extérieure et de sécurité commune (PESC), la Finlande reste attachée à son caractère intergouvernemental et à son indépendance des décisions des États membres, notamment en matière de défense et dans d’autres domaines vitaux.
Les composants traditionnels de la politique étrangère de la Finlande (coopération nordique, rapports avec les pays de l’ex-Union soviétique, action à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et aux Nations unies) ont pris une dimension nouvelle depuis l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne. La même constatation vaut avec l’aide au développement. Par le biais de la PESC, la Finlande participe pleinement à l’examen des questions internationales dans le cadre de l’Union européenne, même si les relations bilatérales, par exemple avec les États-Unis et les pays voisins, gardent une importance nationale pour la Finlande.
En sa qualité de signataire du traité de Maastricht, la Finlande a souscrit à l’objectif à long terme de doter l’Union européenne d’une politique de défense commune. La Finlande estime néanmoins que les développements attendus dans un avenir prévisible n’appellent aucun changement de sa politique de sécurité fondée sur la non-appartenance aux alliances militaires et sur une défense indépendante et crédible. Les Finlandais admettent cependant que la solidarité politique apportée par l’adhésion à l’Union européenne aide à promouvoir notre sécurité.
De son côté la Finlande assiste activement au développement des capacités de « crisis management » de l’Union et participe aux opérations de paix dans les Balkans et ailleurs. La Finlande a rejoint l’Union de l’Europe occidentale comme observateur et elle a fait savoir qu’elle entendait apporter sa contribution aux missions de gestion des crises qui pourraient éventuellement être confiées à l’Union de l’Europe occidentale. Dans le cadre du Partenariat pour la paix (PPP), la Finlande développe, par conséquent, son aptitude à coopérer avec l’Otan.
Selon une analyse finlandaise, l’Otan et l’engagement militaire des États-Unis en Europe resteront des éléments constructeurs et stabilisateurs de la sécurité européenne. De la même manière, la non-appartenance de la Finlande et de la Suède à quelque alliance militaire que ce soit est de nature à promouvoir les conditions stables en Europe du Nord. La prévention de nouvelles fractures et le besoin de sauvegarder la stabilité sont les considérations sur lesquelles repose l’attitude finlandaise face à l’élargissement de l’Otan.
La Finlande est favorable à l’élargissement de l’Union européenne aux pays Baltes et à l’Europe centrale et orientale, estimant que l’objectif d’adhérer à l’Union européenne renforce la démocratie, l’État de droit et l’économie de marché dans les pays concernés. L’élargissement de l’Union européenne pourrait ainsi, à notre avis, générer une stabilité croissante en Europe, pourvu que l’Union européenne veille à développer activement des relations de partenariat et de coopération avec les pays qui, comme la Russie, resteront à l’extérieur de l’Union européenne, et à renforcer les conditions indispensables à la politique de réforme dans ces pays.
Les questions globales
En tant que membre de l’Union européenne, la Finlande ne cherche pas à s’isoler du reste du monde ou à agir uniquement au sein de l’Union. Au contraire, elle est en train de renforcer ses relations avec les autres continents, notamment avec l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. L’Union européenne constitue un moyen permettant de promouvoir ces relations.
Dans l’examen des questions globales, l’Organisation des nations unies et les conférences spécialisées placées sous ses auspices conservent un rôle central. La Finlande estime que le Conseil de sécurité (ou l’OSCE) doit continuer à être le mandat politique des missions internationales de maintien de la paix et de gestion des crises auxquelles la Finlande peut prendre parti.
Du fait du changement qualitatif des missions de maintien de la paix et des nouvelles exigences auxquelles elles sont soumises, la Finlande peut néanmoins admettre que les Nations unies en confient le commandement opérationnel à une autre organisation, comme à l’Otan dans le cas de l’opération de l’IFOR. Cela, comme la révision des règles de recours à la force armée dans le but de faire face aux nouvelles exigences, a permis la participation de la Finlande à l’opération de l’IFOR en Bosnie.
Pour la Finlande il importe que le Conseil de sécurité conserve toute sa capacité opérationnelle, tandis que sa composition devrait mieux refléter les rapports de forces internationaux.
La Finlande dans la nouvelle Europe
Mesdames et Messieurs
D’après Montesquieu, la liberté européenne trouve ses origines dans le Nord. Dans les régions peu peuplées aux conditions climatiques parfois dures, les hommes ont eu besoin les uns des autres, la fraternité et l’égalité étaient vitales. La Finlande n’a pas connu de féodalisme en tant que tel, et l’organisation démocratique y apparaît naturelle et se base sur la tradition. La mise en exergue de ces valeurs, considérées comme profondément européennes, se reflète entre autres dans les priorités de la Finlande en matière de politique européenne : la mise en valeur de l’équité sociale, d’une transparence judiciaire ou encore de l’éducation ont un effet sur les choix opérés dans les questions concernant tous les domaines, de l’environnement jusqu’à la politique étrangère.
La Finlande est un État-providence européen moderne et libéral dont les partis politiques agissent ensemble conformément à une stratégie commune. L’objectif est d’atteindre, en mettant l’accent sur l’éducation et la recherche, un tel niveau de progrès que, mesuré au moyen de l’indice de niveau de vie de l’ONU, la Finlande se situe parmi les cinq premiers pays du monde d’ici à l’an 2010. Ce but est également inscrit dans un rapport rendu récemment par le gouvernement au Parlement. Outre le PIB, cet indice mesure aussi des valeurs comme l’éducation, la liberté, l’égalité, la culture, l’environnement et l’accès à la nature.
Nos États-providence « endurcis » du Nord, qui depuis peu ont la possibilité de profiter des fruits de la prospérité, ont dû s’adapter à de nouvelles situations en faisant preuve de l’avantage de la flexibilité ainsi qu’en donnant vie au concept de globalisation et de mondialisation. L’utilisation de nouvelles technologies de communication est un exemple de la capacité de ces pays à adopter rapidement les outils de l’avenir : par rapport à l’effectif de sa population, la Finlande est en effet à la tête du monde en ce qui concerne l’utilisation de l’Internet et des téléphones mobiles.
La Finlande comme président de l’Union européenne
La Finlande assumera la présidence de l’Union européenne pendant la deuxième moitié de l’année 1999, conduisant ainsi l’Union européenne au troisième millénaire.
De nombreux projets significatifs concernant l’avenir de l’Union européenne se tiendront pendant la présidence finlandaise : préparatifs relatifs à l’élargissement, réforme du cadre financier, achèvement de la réforme des fonds structurels, poursuite de la mise au point de l’UEM, évaluation des résultats institutionnels de la CIG, développement de la politique relative à la Méditerranée, etc.
Des manifestations culturelles sont d’ores et déjà programmées pour la présidence et pour l’an 2000 lorsque Helsinki sera l’une des capitales culturelles de l’Union.
En assumant la présidence de l’Union européenne, un pays doit prendre en considération les intérêts communs de toute l’Union européenne et agir en faveur des objectifs fixés par celle-ci. Rapprocher la mer Baltique dans le nord et la Méditerranée dans le sud constitue l’une des missions importantes de l’Union européenne aussi pendant la présidence de la Finlande. Ces dernières années l’Union européenne a renforcé avec succès sa dimension méridionale avec le processus de Barcelone. La dimension septentrionale et la dimension méridionale permettent d’instaurer efficacement la stabilité, soulignant l’importance de cette dimension septentrionale.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
L’intégration européenne est née de la guerre, elle a été construite sur les ruines, elle a grandi dans un esprit de cohésion. Sa puissance réside dans sa liberté de choix et elle puise sa force dans les valeurs communes. La force qui, politiquement, cimente l’intégration se trouve dans l’Union européenne et ses institutions, garantes de la continuité.
Il y a un demi-siècle, les pères fondateurs des Communautés européennes avançaient la vision d’une nouvelle Europe. Cette vision s’est, à maints égards, réalisée. L’Europe a désormais besoin d’une vision du nouveau millénaire, elle a besoin de décideurs qui osent croire en la force de l’intégration.
Dans sept mois, la Finlande assumera la présidence européenne. Plusieurs dossiers importants pour l’Union européenne devront être décidés au cours de l’année prochaine, ce qui constitue un défi de taille. La Finlande est prête à assumer cette responsabilité comme l’un des États membres de l’Union européenne, et comme l’un des pays de La Nouvelle Europe.
Je vous remercie.