Une expérience concrète : le Collège de Polytechnique.
De dix ans d’activité du Collège de l’X, nous tirons aujourd’hui un bilan assez cru :
- 1 La montée en puissance des compétences technologiques et managériales dans la compétitivité des entreprises questionne en profondeur le rôle de la formation continue.
Il faut passer aujourd’hui à un nouveau mode de mise en forme, de distribution et d’intégration de la formation dans son contexte d’emploi. La formation continue doit se reconfigurer pour mieux s’articuler aux besoins de nos entreprises, avec deux mots d’ordre : alimenter les processus en “ juste à temps ”, associer étroitement délivrance de savoir et mise en oeuvre. - 2 Elle doit pour cela moderniser ses méthodes et ses outils, notamment à travers des techniques de coaching et un usage intensif des nouvelles technologies.
- 3 Ceci lui impose de trouver les moyens nécessaires, qu’ils soient financiers ou intellectuels, pour investir dans le matériel comme dans l’immatériel.
- 4 Trouver ces moyens passe par la construction de partenariats au long cours avec ses clients, qui permettront à la fois de financer leur acquisition et d’ajuster les méthodes et outils aux besoins et à leur évolution.
Un peu d’histoire
L’idée germa au milieu des années 80 : pourquoi l’X ne développerait-elle pas des actions de formation continue ? Les exemples, assez réussis, des écoles de commerce ou de certaines écoles d’application (ENST, ENPC…) incitaient à une réflexion sur le sujet et notamment la formation des dirigeants. Ce fut la mission confiée à D. Indjoudjian par le conseil d’administration de l’École. Les conclusions furent positives, et le projet prenait corps sous l’impulsion de son président, Bernard Esambert, du général Paul Parraud et de Maurice Bernard, alors directeur des Études.
Beaucoup de monde pour se pencher sur ce petit nouveau, preuve de l’intérêt qu’y portait la communauté polytechnicienne : Jacques Bouttes et Michel Berry pour l’A.X., Paul Combeau pour la Fondation, et un conseil scientifique fort de compétences et de personnalités.
La prudence détermina la stratégie de lancement. L’École avait certes décidé de s’engager dans la formation continue, mais elle souhaitait limiter les risques financiers. Elle constitua pour cela une équipe réduite, à partir d’un noyau de professionnels expérimentés dans les métiers de la formation continue des ingénieurs, et la dota d’un support logistique minimum.
Le Collège était le dernier entrant sur le marché de la formation continue. Il lui fallait se constituer un fond de commerce, une image. Sa préoccupation était de présenter un projet différent des concurrents, pour éviter toute concurrence frontale, préjudiciable à son développement. Ses atouts spécifiques, outre la notoriété de l’École, étaient et restent toujours la qualité des laboratoires de l’X d’une part, de l’autre sa capacité à accéder à des conférenciers dont la compétence et l’expérience sont largement reconnues, qu’ils soient dirigeants, praticiens ou théoriciens.
Arc-bouté sur ces piliers, le Collège a pu vivre ces dix années malgré les tensions du marché, qui s’est effondré au milieu des années 90, avec la guerre du Golfe et la crise économique, et ses relations de fils turbulent avec sa maison mère. La fréquentation des séminaires est très liée à la conjoncture. Ils correspondent à des budgets « fragiles », rapidement sacrifiés dès que l’activité se ralentit.
Son activité est stabilisée aujourd’hui à une soixantaine de séminaires par an, soit un millier de participants et près de 10 000 auditeurs depuis sa création.
École polytechnique © PHILIPPE LAVIALLE – ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Le projet du Collège
Le Collège voulait être un lieu de spécialisation « haut de gamme », d’excellence et d’ouverture.
Le Collège marquait une rupture par rapport au cursus scolaire. Il ne propose pas de formation approfondissante dans la suite logique des études à l’X : c’est la mission des écoles d’application. Sa cible se compose des dirigeants ou des ingénieurs, ayant déjà une bonne expérience d’entreprise.
Il veut offrir aux ingénieurs et aux dirigeants ce qu’ils ne trouveront pas ailleurs, notamment une approche plus scientifique des méthodes et des concepts de gestion. Il a l’ambition également d’être un lieu de contact avec l’évolution de la science et de ses applications.
Il a choisi deux axes majeurs pour se démarquer de ses prestigieux concurrents surtout présents dans le domaine du management généraliste (INSEAD, HEC…) : l’état de l’art scientifique, qui consiste à présenter les avancées d’une discipline employables par l’industrie, et l’accompagnement de l’ingénieur dans son métier et son évolution.
L’École a souhaité également que le Collège soit un outil de communication et de diffusion de la connaissance accumulée dans les laboratoires de l’X. Ils sont aujourd’hui au nombre de 24, pour l’essentiel dans les sciences dures, représentant plus de 1 500 chercheurs, dont un bon nombre de polytechniciens, soit un potentiel de savoir important tant qualitativement que quantitativement. Certaines équipes sont dans l’élite mondiale de leurs spécialités et sont parfois plus connues par l’industrie américaine ou japonaise, que par les entreprises françaises. La mission du Collège était de porter ce savoir vers son emploi industriel. C’est l’état de l’art scientifique.
Le manager ne peut plus se contenter d’accompagner le progrès dans l’entreprise ; il lui faut l’appréhender, le susciter et souvent l’anticiper. Dans le domaine technologique, sans aller jusqu’à maîtriser les évolutions – ce n’est pas son rôle d’être expert dans tous les domaines – il devra au moins les comprendre. C’est à ce type de besoin que le Collège essaye de répondre. Dans le domaine de la conduite de l’action, le métier de l’ingénieur requiert de plus en plus de savoir-faire, de savoir être qui conditionnent ses aptitudes, et par conséquent la compétitivité des activités auxquelles il contribue. Telle est son ambition dans l’accompagnement de l’ingénieur.
Ainsi, à la jonction des évolutions de la recherche et des réalités de l’entreprise, le Collège veut se positionner comme un vecteur de progression de la compétence managériale et de la compétence technologique. De la rencontre des savoirs et savoir-faire au plus haut niveau et de la transmission qui en est faite tout au long des sessions naît une compétence dynamique pour nos clients.
Le bilan de dix années d’activité
Dix années, c’est un temps significatif d’observation ! Les conclusions que l’on peut en tirer sont probantes quant aux attentes des participants et des donneurs d’ordre d’une part, à leur satisfaction d’autre part, et enfin aux bonnes conditions économiques de fonctionnement.
Le positionnement du Collège a peu évolué fondamentalement. Il s’est adapté à la demande, en sachant sacrifier à quelques modes, tout en restant dans les deux axes fondamentaux initiaux : la science et le métier de l’ingénieur (fût-il dirigeant !). Près d’un tiers de l’activité correspond à des séminaires intraentreprises, les entreprises préférant cette formule pour ajuster et maîtriser avec précision les finalités de l’action de formation. Tel est le cas d’un groupe industriel qui a créé, en collaboration avec le Collège, un cursus spécifique pour des ingénieurs, afin de revaloriser la fonction technique. La réputation de l’X et la qualité des intervenants concourent à donner une image forte à ce stage et à attirer les ingénieurs. Les intervenants sont pour la plupart eux-mêmes ingénieurs et praticiens d’entreprises, ils savent parler à ce public.
Quelles sont les attentes des participants ?
De tels séminaires permettent d’abord de se maintenir à l’état de l’art : dans des domaines qui évoluent rapidement, le participant souhaite vérifier si ses connaissances et ses pratiques sont toujours pertinentes, et il voudra si nécessaire les actualiser. Approfondir un domaine pointu est un objectif des participants, ce qui oblige le Collège à mobiliser les meilleurs experts du marché.
Séminaire Aristote. © PHILIPPE LAVIALLE – ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Pour les participants, ces séminaires sont également une occasion d’échanges avec d’autres responsables, ce qui induit des séminaires de taille limitée et bien ciblés.
Enfin, une dernière attente concerne l’exploration d’un domaine neuf. Il s’agit d’y trouver quelques points de repère, des méthodes. À ce titre, le Collège a organisé, en avril dernier, un colloque sur le thème L’entreprise face aux révolutions de la société de l’information. Plus de 150 dirigeants y ont participé. Quelques idées fortes, bien assimilées, à rapprocher d’autres expériences personnelles, leur ont fait estimer que cette journée leur a été très profitable ; ce sont autant de points de repère, de pièces de puzzle, qui leur permettent d’avancer de manière significative dans leur propre stratégie.
Échanger, approfondir, vérifier, découvrir sont quelques mots-clés pour caractériser les attentes des participants.
Des conditions à respecter
Il y a donc une vraie demande pour une formation continue telle que le Collège la pratique. Le concept est bon, encore faut-il que le produit ou le service correspondant satisfasse à certains critères « opératoires ».
Nous en avons identifié quatre principaux. D’abord, la durée des sessions : nos clients souhaitent des sessions de un ou deux jours. Ils n’ont pas la disponibilité suffisante pour se dégager au-delà de deux jours, sachant que la durée moyenne de formation des managers est de 2,5 jours par an. Ceci n’est pas le cas de certains séminaires scientifiques dont l’objet est d’assurer une véritable formation et qui durent trois à cinq jours.
Le deuxième critère concerne le contenu de l’intervention : beaucoup d’exigence quant à ce contenu ! Les participants attendent des exposés synthétiques, à la pointe du savoir et de l’expérience, incitant au dialogue et à la réflexion. La qualité des conférenciers reste donc un élément essentiel du séminaire. Le Collège a la chance de disposer d’un remarquable réseau d’intervenants, dans les laboratoires de l’École évidemment, mais aussi dans le milieu industriel.
Enfin, le dernier critère déterminant porte sur les échanges potentiels entre participants ; c’est une « promesse » du Collège dans son offre de séminaires, qui correspond à un vrai besoin et qui nous incite à limiter le nombre de participants à chaque session.
Les nouvelles attentes du marché
La demande évolue du fait de deux événements majeurs : l’arrivée massive des nouvelles technologies et l’internationalisation.
Il s’agit, d’abord, de lever l’obstacle de la distance qui restreint la distribution de savoir dès qu’on s’éloigne de quelques centres majeurs. Certaines grandes entreprises (RATP, EDF, France Télécom, SNCF) ont déjà lancé quelques expériences internes en ce sens. Elles sont relativement concluantes, mais elles impliquent un investissement important, tant dans le matériel que dans l’immatériel (reconstruction des cours, adaptation de la pédagogie, formation de formateurs spécialisés…).
Poursuivre des échanges au-delà du séminaire est toujours un besoin fort ; le séminaire, dans sa forme traditionnelle, limite le volume et la pertinence des échanges et des questions. On a toujours plus de questions trois jours plus tard, quand on est revenu dans son contexte, que le jour même. L’outil Internet ouvre la voie à ce type d’échange.
En deuxième lieu, nous constatons dans certaines entreprises le souci que le savoir transmis soit imprégné de la culture maison : le vocabulaire, des concepts, des outils. Ceci ne peut résulter que d’une coopération étroite entre le Collège, ses intervenants et l’entreprise. Nous procédons ainsi avec quelques grandes entreprises ; c’est un travail d’ingénierie pédagogique, lourd et coûteux, une véritable coproduction, mais dont les résultats sont très significatifs car ancrés dans la réalité opérationnelle. Mais cela implique que l’entreprise ait une stratégie claire en matière de gestion des carrières et des compétences et la volonté de construire avec le Collège une relation de progrès mutuel, au long cours.
Enfin, l’offre doit s’internationaliser. Nous avons vécu l’exemple d’un groupe multinational, souhaitant lancer une vaste opération de formation à la gestion par projet sur l’ensemble de ses filiales européennes. Il souhaitait une maîtrise d’œuvre unique, notamment pour la conception de la formation, mais des offres locales quant à la réalisation. Il faut donc que, face à une telle problématique, le Collège trouve des partenaires européens et construise un réseau d’écoles ou de centres universitaires associés.
Ainsi, quatre attentes nouvelles se dégagent : diffuser la formation au plus près du lieu de travail, permettre des échanges au-delà du séminaire, intégrer le savoir à la culture de l’entreprise, présenter une offre internationale. Il est évident que ces constats sur les attentes et leurs évolutions sont à nuancer suivant le public et le domaine d’action du Collège.
L’activité de formation continue est-elle économiquement viable ?
Le marché existe, il est solvable. Mais il est très concurrentiel et les marges y sont limitées ; il n’y aura de bonne formation continue que si l’activité est durablement rentable. Les organismes ont à organiser leur rentabilité, pour assurer la pérennité de l’offre.
Il serait risqué de généraliser à l’ensemble de la profession les constats faits sur les dix années du Collège, mais on peut en tirer quelques conclusions intéressantes.
La pérennité de l’offre passera par des investissements significatifs dans les technologies et dans la pédagogie. Le Collège se situe dans la moyenne de la profession dont la rentabilité reste fragile. De ce fait les à‑coups de conjoncture mettent en danger l’activité, ce qui a conduit le Collège à changer de structure financière dans le courant de 1998.
La première cause de cette rentabilité faible réside dans la nature du marché ; très émietté et dispersé, il conduit à des coûts de distribution très élevés. Comment atteindre dans l’entreprise les ingénieurs ou dirigeants concernés par nos séminaires « pointus » ? Si nous ne disposons pas de relais au sein de l’entreprise pour nous guider la tâche est ardue et coûteuse : gestion soignée de fichiers commerciaux, mailings, suivi téléphonique, autant d’énergie dépensée que nous ne pouvons consacrer aux développements de l’offre et à la recherche pédagogique.
C’est en outre un domaine où la concurrence joue pleinement, avec certains confrères qui, de par leurs structures ou leurs objectifs (la formation est un moyen de promotion d’une autre activité) travaillent à coût marginal.
Enfin, c’est un secteur où, par comparaison avec d’autres prestations intellectuelles telles que le conseil, l’ingénierie informatique ou organisationnelle, le coût de l’offre est bien moins rémunéré. Il est de l’intérêt des entreprises de veiller à ce que cette activité très importante pour leur compétitivité ne soit pas durablement sous-payée. Il est de leur responsabilité de construire une politique de formation s’ancrant dans la durée, et de spécifier leurs besoins en maîtres d’ouvrage capables de susciter une offre rentable, diversifiée et attractive.
L’enjeu de la formation est majeur pour l’entreprise ; elle doit savoir s’organiser en conséquence et la financer.
Et le futur
La formation continue de l’École doit se faire reconnaître comme un volet spécifique de son action. Il lui faut développer une offre en permanence pertinente, et aujourd’hui la prolonger sur l’ensemble de la chaîne de gestion des compétences, mais également disposer d’un marché mieux organisé. Elle doit se doter de structures et de moyens adaptés, en renforçant ses fonctions pédagogiques, éditoriales et marketing, et en développant des liens approfondis avec ses clients.
Le Collège veut développer une logique de relation à forte valeur ajoutée, avec ses clients. Au-delà de la simple distribution de savoir, c’est la coproduction du savoir-faire, l’élévation de la connaissance et de la compétence dans l’entreprise que nous visons. Notre mission est de transformer avec nos clients un savoir académique en actif industriel. Nous avons besoin de leur appui pour la mener à bien.