Les facteurs humains contribueront-ils à l’aéronautique ?

Dossier : Trafic aérienMagazine N°535 Mai 1998Par : Jean-Jacques SPEYER, manager évaluation opérationnelle et communication Airbus Industrie Customer Services

Avion A330 au décollage
PHOTO AEROSPATIALE

Le défi des facteurs humains

Depuis son avè­ne­ment, l’aé­ro­nau­tique et l’as­tro­nau­tique ont sans cesse fait recu­ler des fron­tières en inno­vant de façon qua­si inin­ter­rom­pue dans les tech­niques, les concep­tions et les réa­li­sa­tions. Ces pro­grès ont constam­ment fait avan­cer la sécu­ri­té au point que l’a­via­tion est deve­nue un des moyens de trans­port, tant civil que mili­taire, les plus sûrs. Bien que l’on puisse actuel­le­ment par­ler de stag­na­tion en matière de sécu­ri­té aérienne, nos tra­vaux d’a­na­lyse confirment que les nou­velles tech­no­lo­gies – et tout par­ti­cu­liè­re­ment les auto­ma­tismes – ont signi­fi­ca­ti­ve­ment contri­bué à dis­tin­guer les appa­reils des der­nières géné­ra­tions – les A310/A300-600, B757/ B767, B737-300/400/500 et MD80/ 9011 ain­si que les A320/A330/ A340 et B777 – par rap­port aux avions des deux pre­mières géné­ra­tions – les B707 et DC‑8 qui furent sui­vis des B727, DC‑9, B737-100/200, B747-100/200/ 300, DC10 et A300B2/B4.

Comme illus­tré à la figure 1, chaque géné­ra­tion pré­sente sa propre » courbe d’ap­pren­tis­sage » en fonc­tion des années depuis la mise en ser­vice et s’ac­com­pagne sur­tout d’une réduc­tion signi­fi­ca­tive de son taux d’ac­ci­dents (par mil­lions de départs). Certes, il n’est pas dans notre pro­pos de com­pa­rer des construc­teurs d’a­vions. La sécu­ri­té serait-elle à vendre ?

Figure 1 – Taux d’accidents depuis la mise en service
Source : Air­bus Industrie

Il n’en reste pas moins vrai que selon l’a­dage désor­mais clas­sique plus des deux tiers d’ac­ci­dents feraient inter­ve­nir ce qu’il est com­mu­né­ment admis d’ap­pe­ler » les fac­teurs humains « .

Moins pudi­que­ment cela signi­fie que – quelque part dans l’en­gre­nage – c’est l’er­reur humaine qui déter­mine de façon par­fois irré­ver­sible, mais néan­moins pas tou­jours si nette, le cours des évé­ne­ments. La concep­tion, la construc­tion, l’en­tre­tien des appa­reils font certes appa­raître des défaillances méca­niques ou des défec­tuo­si­tés fonc­tion­nelles, mais le fac­teur humain s’est cepen­dant pro­gres­si­ve­ment impo­sé comme champ d’in­ves­ti­ga­tion, d’ex­pli­ca­tion et de cor­rec­tion dans le domaine des opé­ra­tions en vol. Ce » fac­teur humain » qui condi­tionne bien évi­dem­ment aus­si la concep­tion, la construc­tion et l’en­tre­tien de ces machines avant même qu’elles n’aient pris leur envol. L’er­reur humaine est ain­si le prix payé pour l’in­tel­li­gence humaine où qu’elle se mani­feste, sachons nous en sou­ve­nir avec humi­li­té. Ain­si donc tom­be­rions-nous inva­ria­ble­ment sur ces plus de deux tiers pour toute inter­ven­tion humaine, le res­tant étant à attri­buer à d’autres causes natu­relles ou fortuites !

Pro­gres­si­ve­ment, une vision sys­té­mique de la sécu­ri­té s’est impo­sée impli­quant tous les acteurs du pro­ces­sus, allant de la concep­tion à l’exé­cu­tion au sein d’une orga­ni­sa­tion d’hommes et de métiers. Alors que les plus grands doutes sub­sis­taient quant aux fon­de­ments scien­ti­fiques des­dits fac­teurs humains, les divers tabous et les diverses aller­gies ont cédé la place à une démarche plus ration­nelle vis-à-vis de ce domaine poten­tiel­le­ment pro­met­teur pour lequel pilotes et ingé­nieurs n’é­taient ini­tia­le­ment pas les mieux pré­pa­rés. Il est vrai que ce domaine ne se prê­tait guère à des trans­ferts de connais­sances directs et souples. Roger Green du Royal Air­craft Esta­blish­ment anglais ne disait-il pas que les divers champs d’ap­pli­ca­tions avaient la répu­ta­tion d’u­ti­li­ser un lan­gage inuti­le­ment com­pli­qué et éso­té­rique. La nébu­leuse des fac­teurs humains – comme on la sur­nomme – a cepen­dant jeté son dévo­lu sur le sec­teur pres­ti­gieux de l’aé­ro­nau­tique, se lan­çant pour ain­si dire un défi à elle-même…

Depuis que les fac­teurs humains ont fait quelque peu incur­sion dans l’in­gé­nie­rie des sys­tèmes, les construc­teurs d’a­vions en géné­ral ont fait l’ob­jet de vives cri­tiques concer­nant les inter­faces homme-machine. Bien que géné­ra­le­ment docu­men­tées celles-ci ont sou­vent été emprun­tées à d’autres fins et notam­ment pour des actions de lob­bying éma­nant aus­si bien d’as­so­cia­tions pro­fes­sion­nelles de navi­gants que de concur­rents ou ven­deurs de maté­riel aéro­nau­tique. Et sou­vent pour régler d’autres comptes !

Ain­si, les nou­velles inter­faces de sys­tèmes avio­niques auraient-elles ten­dance à com­plexi­fier à outrance l’i­mage que l’a­via­teur peut se faire du vol et de son envi­ron­ne­ment ! Les pro­grès en avio­nique embar­quée, l’au­to­ma­ti­sa­tion et la com­plexi­té en résul­tant déga­ge­raient l’é­qui­page des fonc­tions autre­fois dévo­lues au contrôle humain, telles que par exemple, le contrôle de la tra­jec­toire, le contrôle de la pous­sée des moteurs, la navi­ga­tion, le sui­vi des sys­tèmes et les tâches asso­ciées. Ain­si les pilotes seraient-ils relé­gués à des rôles de super­vi­sion dotés pour ce faire d’in­ter­faces opaques, ayant à sur­veiller des sys­tèmes mul­ti­fonc­tion­nels dont le fonc­tion­ne­ment ne se prê­te­rait pas à l’in­tui­tion et dont les logiques de fonc­tion­ne­ment seraient même dif­fi­ciles à appré­hen­der. De plus ceux-ci en seraient réduits à tra­vailler avec des infor­ma­tions inap­pro­priées assu­mant des res­pon­sa­bi­li­tés consi­dé­rables et après un entraî­ne­ment aus­si réduit qu’inadapté !


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Le réel défi auquel ont eu à faire face les construc­teurs aéro­nau­tiques est que la com­mu­nau­té des fac­teurs humains cher­chait à s’an­crer dans le domaine de la concep­tion aéro­nau­tique, des opé­ra­tions aériennes et de l’en­traî­ne­ment. Ce déve­lop­pe­ment est assez récent. Sans aucun doute les géné­ra­tions pré­cé­dentes se seraient-elles jadis trou­vées accu­sées d’in­suf­fi­sances notoires si la nou­velle dis­ci­pline y avait fait incur­sion plus tôt. Comme par exemple au début de l’a­via­tion com­mer­ciale à réac­tion, comme par exemple en matière de cal­cul men­tal et de pro­cé­dures de vol aux ins­tru­ments, tous deux d’ailleurs lar­ge­ment sim­pli­fiés avec les postes de pilo­tage contemporains.

Les fac­teurs humains jouent cepen­dant d’ores et déjà un rôle impor­tant dans l’of­fen­sive tous azi­muts que lance la com­mu­nau­té aéro­nau­tique civile pour amé­lio­rer la sécu­ri­té aérienne d’un ordre de gran­deur quan­ti­fiable. Ini­tia­tive poli­ti­que­ment indis­pen­sable pour accom­pa­gner la remar­quable crois­sance du tra­fic aérien qui sans doute ira de pair avec des acci­dents poten­tiel­le­ment nui­sibles au déve­lop­pe­ment ulté­rieur de l’a­via­tion com­mer­ciale. Ain­si les fac­teurs humains contri­buent-ils de façon de plus en plus signi­fi­ca­tive à mobi­li­ser les pilotes débu­tants, mais éga­le­ment les plus anciens, sur l’in­fluence du com­por­te­ment sur la per­for­mance. L’ap­pli­ca­tion des concepts de ges­tion des res­sources sur la sécu­ri­té et l’ef­fi­ca­ci­té de l’o­pé­ra­teur et des équipes de tra­vail asso­ciées au pro­ces­sus ont ain­si per­mis au domaine de s’im­po­ser. Les règle­ments amé­ri­cains et euro­péens insistent sur une prise de conscience gran­dis­sante des autres fac­teurs humains se sol­dant par une qua­li­fi­ca­tion sup­plé­men­taire à acqué­rir éven­tuel­le­ment en cours de carrière.

De la phase d’ouverture pendant les années 80 à la communication pendant les années 90

Il semble que la phase d’ou­ver­ture aux fac­teurs humains soit à pré­sent à peu près ache­vée des deux côtés de l’At­lan­tique. Le mot lui-même fut impor­té des États-Unis. La démarche ini­tiale s’ap­pa­ren­tait plu­tôt aux concepts des sciences du mana­ge­ment et de l’ad­mi­nis­tra­tion des affaires. Ces domaines for­ma­lisent maintes consi­dé­ra­tions affec­tant l’homme en situa­tion de tra­vail en socié­té et en coopé­ra­tion. Mais l’hé­ri­tage euro­péen en matière d’er­go­no­mie et de psy­cho­lo­gie cog­ni­tive devrait éga­le­ment appor­ter une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive et durable à la conceptualisation.

La phase d’ou­ver­ture au domaine pen­dant les années 80 a don­né pro­gres­si­ve­ment le relais à une période de com­mu­ni­ca­tion au cours de la décen­nie qui sui­vit. De par leur culture du com­merce à grande échelle les Amé­ri­cains – ils l’a­vaient bien com­pris – s’é­taient lan­cés très tôt dans les fac­teurs humains et le mar­ke­ting des concepts asso­ciés. Pen­dant la phase d’ou­ver­ture nous étions para­doxa­le­ment assez pré­sents mais de façon plu­tôt impli­cite. C’est cette période qui vit l’é­clo­sion qua­si com­plète de la famille Air­bus. Les toutes pre­mières études en matière de fac­teurs humains à Air­bus Indus­trie virent néan­moins le jour avec la cer­ti­fi­ca­tion de l’A300FF dès le début des années 1980 :

  • ana­lyses de tâches au moyen des procédures,
  • éva­lua­tion sub­jec­tive de la charge de tra­vail en situation,
  • mesures phy­sio­lo­giques sur l’im­pact de scé­na­rios de vol. Elles se pour­sui­virent pour la cer­ti­fi­ca­tion de l’é­qui­page à deux de l’A310 dès le début 1983 :
  • mesures de l’im­pact de la nou­velle tech­no­lo­gie sur la per­for­mance humaine (écrans catho­diques et ordi­na­teurs de ges­tion du vol),
  • modé­li­sa­tion de l’o­pé­ra­teur humain. Puis pour la cer­ti­fi­ca­tion de l’A320 dès le début 1988 :
  • mesures de l’im­pact de la nou­velle tech­no­lo­gie sur la per­for­mance humaine (com­mandes de vol élec­triques et manche laté­ral associé),
  • mesure de la charge de tra­vail inté­grant varia­bi­li­té car­diaque, per­for­mance avion, obser­va­tion de la situation,
  • éva­lua­tion du com­por­te­ment humain et de la ges­tion des res­sources au poste de pilo­tage. Incluant aux tra­vaux pré­ci­tés d’autres déve­lop­pe­ments pour l’ho­mo­lo­ga­tion de type de l’A330/A340 début 1992 :
  • mesure de l’at­ten­tion, de la vigi­lance, éva­lua­tions du repos et de la fatigue au cours de mis­sions long-cour­riers incluant B747-200/-400, B767, DC-10, A310/A320/A340.

Le cane­vas de base de cette approche » caisse à outils » est résu­mé par la figure 2.

Opé­ra­tion­nel­le­ment, l’in­ter­face homme-machine peut se carac­té­ri­ser par les trois attri­buts suivants :

  • à l’exé­cu­tion de toute tâche est liée une cer­taine exi­gence dépen­dant de la confi­gu­ra­tion maté­rielle du poste. L’en­chaî­ne­ment de ces tâches nous invite à effec­tuer des ana­lyses spécifiques,
  • le tra­vail inté­gré de toutes les fonc­tions de vol (le contrôle de la tra­jec­toire, la veille de tra­fic, la navi­ga­tion, les com­mu­ni­ca­tions, la ges­tion des sys­tèmes, le com­man­de­ment du vol) va de pair avec un cer­tain coût – l’ef­fort qui dépend entre autres du scé­na­rio, de l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail de l’é­qui­page et de la confi­gu­ra­tion du poste. L’ex­plo­ra­tion de ces effets nous conduit à effec­tuer des éva­lua­tions de la charge de tra­vail, de la vigi­lance et de l’activité,
  • le résul­tat de cette acti­vi­té atteint fina­le­ment une cer­taine qua­li­té dépen­dant des manœuvres pré­vues, de l’é­qui­pe­ment uti­li­sé et de l’o­pé­ra­teur, et peut être éva­lué direc­te­ment au moyen de para­mètres de per­for­mances et de dévia­tions par rap­port à des cri­tères à établir.

Figure 2 – Cane­vas de base
Source : Air­bus Industrie
Canevas de base - Airbus

La carac­té­ris­tique com­mune de toutes ces nou­velles méthodes est de fonc­tion­ner par ana­lyses com­pa­ra­tives. Des archi­tec­tures de poste, des pro­cé­dures d’a­vions ou des équi­pe­ments ayant fait leurs preuves opé­ra­tion­nelles servent effec­ti­ve­ment d’é­ta­lons de mesure face aux nou­veaux équi­pe­ments ou aux nou­veaux appa­reils à cer­ti­fier. Cette pra­tique était déjà clas­sique en essais en vol, les pilotes ayant tou­jours jugé par rap­port à leurs pra­tiques anté­rieures. Mais ces tra­vaux contri­buèrent à déve­lop­per des outils de mesures fiables, des méthodes quan­ti­fiant les juge­ments sub­jec­tifs et per­met­tant d’ap­pré­cier les fac­teurs humains chez Air­bus Industrie.

Au fil des années ces efforts ont per­mis de mener à bien les cam­pagnes suc­ces­sives de cer­ti­fi­ca­tions depuis l’A300FF jus­qu’à l’A340 et ont certes été cou­ron­nés de diverses dis­tinc­tions, prix et bre­vets inter­na­tio­naux. Mais cette acti­vi­té fut cepen­dant bien trop modeste pour faire face de plein fouet à un lob­bying d’en­ver­gure mon­diale éma­nant des États-Unis.

Comme trop sou­vent de ce côté de l’Eu­rope le savoir-faire ne cédait en rien sa place au faire savoir. Plu­tôt pré­oc­cu­pé par la tech­nique notre envi­ron­ne­ment cultu­rel était pour ain­si dire per­sua­dé que le pro­duit allait se vendre de par lui-même. Et que les argu­ments fac­teurs humains n’é­taient pas en même temps de pré­cieux et dis­crets ins­tru­ments de com­mu­ni­ca­tion et de com­mer­cia­li­sa­tion. L’i­dée même d’é­ven­tuel­le­ment sacri­fier à des argu­ments esthé­tiques était à exclure.

La déno­mi­na­tion » fac­teurs humains » a été prise trop à la lettre par des ingé­nieurs qui n’ont pas su suf­fi­sam­ment consi­dé­rer ce nou­veau champ d’ap­pli­ca­tion comme un véhi­cule de sup­port, de com­mu­ni­ca­tion et de dif­fu­sion de leur savoir-faire. Le tra­vail de dés­in­for­ma­tion ayant fait son œuvre, le défi­cit en matière de com­mu­ni­ca­tions attei­gnit son paroxysme avec la prin­ci­pale popu­la­tion d’u­sa­gers : les pilotes de ligne. Conscients de ce phé­no­mène vers le début de la décen­nie 90, Air­bus Indus­trie a su inver­ser cette ten­dance. Sous l’im­pul­sion dyna­mique de Pierre Baud, vice-pré­sident en charge de l’en­traî­ne­ment et du sup­port opé­ra­tion­nel, les divers acteurs du fac­teur humain (figure 3) furent iden­ti­fiés et firent l’ob­jet de com­mu­ni­ca­tions dûment ciblées. Nous étions deve­nus trop défen­sifs et ne met­tant pas assez l’ac­cent sur nos points forts, un fos­sé s’é­tait créé entre la réa­li­té et la per­cep­tion que ces publics avaient de nos produits.

La consigne était claire : être davan­tage pré­sents aux sym­po­siums inter­na­tio­naux en matière de fac­teurs humains, de sécu­ri­té aérienne, de groupes de tra­vail pro­fes­sion­nels, d’as­so­cia­tions de navi­gants, d’ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, de milieux influents éco­no­miques, poli­tiques, voire aca­dé­miques. S’im­pli­quer dans des réseaux, nouer des alliances, tis­ser des connexions, des conni­vences, voire des influences. Mais ne pas bas­cu­ler dans la com­pro­mis­sion, ne pas réagir de façon défen­sive, res­ter fidèle au pro­duit et le repré­sen­ter digne­ment. En un mot, res­ter nous-mêmes et ne pas accep­ter le tra­fic de rumeurs à notre sujet. Il est vrai que pro­gres­si­ve­ment aus­si Air­bus Indus­trie pas­sait d’une posi­tion de » chal­len­ger » à celle de » lea­der » ex aequo sur la scène mon­diale des construc­teurs aéronautiques.

Et cet effort com­mence à por­ter ses fruits, la démarche de com­mu­ni­ca­tion s’est mise en place et l’i­mage de marque a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué. En ce qui concerne les fac­teurs humains le dis­cours s’est décli­né en deux directions :

  • des com­mu­ni­ca­tions de lob­bying (bro­chures et pré­sen­ta­tions) ou le bien-fon­dé de l’er­go­no­mie de nos postes font l’ob­jet d’ar­gu­men­taires clairs et pratiques,
  • des sym­po­siums fac­teurs humains orga­ni­sés par régions du monde à l’at­ten­tion des pilotes de maî­trise des com­pa­gnies aériennes, des asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles et syn­di­cales, des auto­ri­tés de cer­ti­fi­ca­tion et de navi­ga­bi­li­té, des milieux scien­ti­fiques et de la recherche, pour expo­ser nos thèmes, nos études et nos démarches en matière :
    – d’in­ter­faces homme-machine,
    – d’au­to­ma­tismes et d’automatisation,
    – de ges­tion des res­sources et du comportement,
    – d’é­tude de l’en­vi­ron­ne­ment et des effets sur les pilotes,
    – de retour d’ex­pé­rience et de rap­ports d’in­ci­dents en vol.

L’ergonomie des postes de pilotage de la toute dernière génération

Air­bus Indus­trie s’est impo­sé à l’é­chelle mon­diale en intro­dui­sant des tech­no­lo­gies de pointe ayant notam­ment trait au poste de pilo­tage. Les choix en matière d’er­go­no­mie furent tou­jours effec­tués en réponse à des besoins pra­tiques éma­nant des uti­li­sa­teurs de base et jamais comme buts en soi.

Figure 3 – Les acteurs du fac­teur humain
Source : R. Amal­ber­ti, 23 mai 1995
Sécurité des grands systèmes aéronautiques

1) Les com­mandes de vol élec­triques asso­ciées à des lois de contrôle dotées de pro­tec­tions très avan­cées du domaine de vol aug­mentent sen­si­ble­ment la sécu­ri­té du vol tout en réa­li­sant un manie­ment et des qua­li­tés de vol com­muns entre A319, A320, A321, A330 et A340.

2) L’u­ti­li­sa­tion ration­nelle des auto­ma­tismes per­met au pilote de voler en toute sécu­ri­té, avec pré­ci­sion, effi­ca­ce­ment et en res­pec­tant des contraintes tem­po­relles en rai­son de l’en­com­bre­ment de l’es­pace aérien. Les sys­tèmes auto­ma­ti­sés com­plètent l’homme, ils magni­fient en fait ses capacités.

L’homme est un déci­deur pos­sé­dant une mémoire inouïe : l’ex­pé­rience. Doté d’ins­tinct et de facul­tés d’a­dap­ta­tions extra­or­di­naires, il lui aura fal­lu domp­ter ses capa­ci­tés d’ap­pren­tis­sage, de com­pré­hen­sion, de volon­té et d’ex­pé­rience afin de se fami­lia­ri­ser avec l’en­vi­ron­ne­ment du vol pour lequel il n’é­tait pas ini­tia­le­ment conçu. L’homme est lent, impré­vi­sible et se fatigue. Il est plu­tôt médiocre pour la mani­pu­la­tion répé­ti­tive et pré­cise, il est lent à effec­tuer des cal­culs, pro­cède de façon séquen­tielle car non aguer­ri aux tâches paral­lèles. Indis­ci­pli­né, il perd son atten­tion et sa vigi­lance et s’en­nuie face à la routine.

C’est pour­quoi les auto­ma­tismes furent déve­lop­pés pour les aspects tac­tiques concernant :

  • la mani­pu­la­tion (comme par exemple le pilo­tage et l’at­ter­ris­sage auto­ma­tique, la pro­tec­tion de la per­for­mance au frei­nage, la pro­tec­tion de l’en­ve­loppe de fonc­tion­ne­ment du moteur, la pro­tec­tion de l’en­ve­loppe du domaine de vol),
  • le cal­cul rapide (par exemple le cal­cu­la­teur d’op­ti­mi­sa­tion du pro­fil de vol et de la vitesse, le cal­cu­la­teur de ges­tion du car­bu­rant, le cal­cu­la­teur de navigation),
  • les tâches répé­ti­tives et fas­ti­dieuses (par exemple le démar­rage moteur, le chan­ge­ment de des­ti­na­tion, le pilote auto­ma­tique, la ges­tion de la pous­sée des réacteurs).

Les aspects stra­té­giques et la prise de déci­sion res­tants tout entiè­re­ment dévo­lus à l’hu­main, les auto­ma­tismes n’é­tant en rien des pro­thèses, ils com­plètent les facul­tés intrin­sèques de l’é­qui­page qui accom­plit ain­si mieux sa mission.

3) Les inter­faces dotent les pilotes des meilleurs moyens adap­tés à leurs besoins et à leurs méthodes de travail.

Ces inter­faces concernent les infor­ma­tions néces­saires, adé­quates à la situa­tion et dis­po­nibles en fonc­tion de la phase de vol et de façon syn­thé­tique comme par exemple :

  • le sys­tème de ges­tion cen­tra­li­sée des sous-sys­tèmes, des pannes et des pro­cé­dures asso­ciées, per­met­tant de dis­tin­guer pannes mères et pannes consécutives,
  • les écrans catho­diques pour le pilo­tage à court terme (hori­zon arti­fi­ciel élec­tro­nique) avec échelles de vitesse asso­ciées en fonc­tion de la phase du vol et avec réfé­rences de vol adap­tées au pilo­tage d’as­siette en évo­lu­tion près du sol ou de tra­jec­toire par la suite,
  • les écrans catho­diques pour la navi­ga­tion à moyen terme (carte élec­tro­nique) cou­plés au sys­tème de ges­tion du vol ou en mode basique éga­le­ment avec sym­boles et codes de cou­leur asso­ciés à la phase de vol.

Ces inter­faces ont trait aux outils adap­tés à des actions ins­tinc­tives per­met­tant de sor­tir plus faci­le­ment de situa­tions pré­caires et ne met­tant pas en jeu la sécu­ri­té comme par exemple :

  • les manches laté­raux asso­ciés aux com­mandes de vol élec­triques, qui génèrent des qua­li­tés de vol dotées à la fois de sta­bi­li­té et de manœu­vra­bi­li­té, impli­quant des petits mou­ve­ments de pilo­tage pour les­quels le manche est l’ou­til le plus adap­té, la main étant plus sen­sible à des petits seuils de per­cep­tion qu’à de grands déplacements,
  • les manettes à crans fixes per­met­tant un contrôle élec­tro­nique direct de la pous­sée des réac­teurs sans sélec­tions indi­rectes et per­met­tant ain­si de suivre les indi­ca­tions de base telles que la vitesse, la ten­dance vitesse et le para­mètre de conduite moteur sans s’ex­po­ser à des risques en cas de blo­cages méca­niques ou embal­le­ments moteur divers.

Voi­ci en quelques argu­ments opé­ra­tion­nels – sans doute simples aux yeux des scien­ti­fiques – l’en­semble conden­sé des consi­dé­ra­tions qui ont pré­si­dé à l’é­vo­lu­tion de nos sys­tèmes et de nos postes de pilo­tage. Appuyant sou­vent leurs argu­ments sur des fac­teurs humains, nos cri­tiques se rendent sou­vent à l’é­vi­dence que la pra­tique du vol sur appa­reils de nou­velle géné­ra­tion les fait incli­ner en faveur de ces technologies.

En géné­ral, le pilote est assez conser­va­teur face à l’in­no­va­tion. Nous aurions pu aller plus loin ! Mais nous avons déve­lop­pé des méthodes et des outils encore liés à l’exis­tant et ren­dant la fonc­tion de pilo­tage plus ins­tinc­tive et plus natu­relle. Étant don­né la ten­dance mar­quée des pilotes au scep­ti­cisme, il leur est bien nor­mal de ne pas immé­dia­te­ment ava­li­ser ces nou­veau­tés ! Après tout n’ou­blions pas que les anciennes réa­li­sa­tions avaient elles aus­si mis quelque temps à être intui­ti­ve­ment accep­tées. En tant que popu­la­tion bien dis­tincte, les pilotes ont en fait une très forte capa­ci­té à s’a­dap­ter car cela fait par­tie du métier : ils le font quo­ti­dien­ne­ment face à de nou­veaux envi­ron­ne­ments, face à des condi­tions de départ astrei­gnantes, à de nou­veaux publics, de nou­veaux membres d’é­qui­page, etc. Bref, ils sont sans cesse sol­li­ci­tés et cela cultive un état d’es­prit très cri­tique tant l’é­veil à l’i­nu­suel est indis­pen­sable pour faire face aux éléments.

C’est effec­ti­ve­ment après une période de contextes très vin­di­ca­tifs et très cri­tiques à l’é­gard d’Air­bus Indus­trie que les avions à com­mandes de vol élec­triques se sont pro­gres­si­ve­ment fait appré­cier de toutes parts. Air­bus Indus­trie en était arri­vé à une situa­tion para­doxale : ses prin­ci­paux détrac­teurs ne pra­ti­quant pas ses postes de pilo­tage, ses prin­ci­paux adeptes volant sur ses machines, les pre­miers rejoi­gnant les conver­tis au fur et à mesure !

Le rôle stimulant de la DGAC et la naissance du groupe HFOG à Airbus Industrie

Dès la fin 1993 la DGAC a lan­cé un réseau fac­teurs humains des­ti­né à sti­mu­ler la recherche appli­quée. Cette recherche a été orga­ni­sée selon deux axes :

  • le déve­lop­pe­ment d’une exper­tise appli­cable à la cer­ti­fi­ca­tion et à l’exploitation,
  • l’a­ni­ma­tion d’un réseau coopé­ra­tif entre équipes de recherche, com­pa­gnies et Airbus.Airbus Indus­trie a donc ani­mé ce réseau réunis­sant les contrac­tants res­pec­tifs des trois pôles thé­ma­tiques suivants :
  • l’é­va­lua­tion de la per­for­mance des équi­pages par la mise en jeu de nou­velles méthodes d’é­va­lua­tion qualitative,
  • l’au­to­ma­ti­sa­tion et la for­ma­tion pour exa­mi­ner l’ef­fet de la com­plexi­té et l’é­tude des erreurs humaines,
  • les com­mu­ni­ca­tions bord et sol-bord comprenant :
    – l’é­tude de la docu­men­ta­tion manuelle et électronique,
    – l’é­tude du par­tage de la repré­sen­ta­tion de la situa­tion entre membres d’équipage,
    – le déve­lop­pe­ment de nou­veaux sys­tèmes (GPS, GPWS, TCAS, FANS, datalink).

D’une part, il en advint une consi­dé­rable action de sen­si­bi­li­sa­tion et de dis­cus­sion en interne. D’autre part, la défi­ni­tion d’une véri­table poli­tique du faire savoir et du savoir dire vers l’ex­terne a été ren­due pos­sible. C’est-à-dire aux prin­ci­paux forums et sym­po­siums mon­diaux pour repré­sen­ter Air­bus Indus­trie de façon plus active et plus effi­cace en pré­sence des inter­lo­cu­teurs des autres construc­teurs, actifs sur ce domaine.

En 1994 un groupe d’ex­perts amé­ri­cains et euro­péens effec­tue pour le compte de la FAA un audit de fac­teurs humains sur les inter­faces des postes de pilo­tage d’a­vions modernes. Les conclu­sions de cette étude sont pré­sen­tées à l’au­tomne 1996 et laissent entre­voir de fortes évo­lu­tions à venir dans les règle­ments de concep­tion et de cer­ti­fi­ca­tion des futures géné­ra­tions d’a­vions et de sys­tèmes d’in­te­rac­tion homme-machine. L’am­bi­tion est de don­ner à l’in­dus­trie un fais­ceau com­plet de contraintes et de méthodes en fac­teurs humains à prendre en compte dans la concep­tion des outils. Les exi­gences iraient des contraintes d’er­go­no­mie phy­sio­lo­gique à celles por­tant sur la com­plexi­té des sys­tèmes, de leurs logiques d’u­ti­li­sa­tion, de leur com­pré­hen­sion et de la reprise en manuel. L’a­na­lyse de la charge de tra­vail ne suf­fi­rait plus comme variable essen­tielle. L’ac­cent devrait être mis sur la com­pré­hen­sion dyna­mique, l’in­tui­ti­vi­té, la vigi­lance, la confiance, la robus­tesse des sys­tèmes à la conduite par un équi­page opé­rant sous condi­tions non-opti­males dues au stress ou à la fatigue.

En 1997 un groupe opé­ra­tion­nel sur les fac­teurs humains est consti­tué à Air­bus Indus­trie. Sous la pré­si­dence d’un pilote d’es­sai et afin de coor­don­ner l’ef­fort en matière de concep­tion, de cer­ti­fi­ca­tion, d’es­sais en vol, d’o­pé­ra­tions, d’ins­truc­tion, de main­te­nance, de com­mu­ni­ca­tion et de for­ma­tion. Ce groupe se réunit pério­di­que­ment pour prendre des déci­sions col­lé­giales concer­nant les thèmes d’é­tudes, les déve­lop­pe­ments en cours, les com­mu­ni­ca­tions, les poli­tiques à tenir. Cette orga­ni­sa­tion matri­cielle a été choi­sie de pré­fé­rence à la créa­tion d’un groupe dis­tinct afin de pré­ser­ver la filia­tion des dif­fé­rents pro­ta­go­nistes à leurs domaines d’ac­tions pré­ci­tés. Évi­tant de créer une struc­ture indé­pen­dante, cette dis­po­si­tion per­met de gérer au mieux les res­sources humaines et finan­cières. Ain­si consi­dé­rons-nous les fac­teurs humains comme une dis­ci­pline hori­zon­tale ayant un impact sur toutes nos Direc­tions, et sur tous nos champs d’activités.

Du scep­ti­cisme ini­tial vis-à-vis des fac­teurs humains le groupe conserve des traces uni­que­ment dans son nom : l’a­cro­nyme anglais HFOG (hea­vy fog) signi­fiant « brouillard épais » en fran­çais ! Mais cette iro­nie gau­loise cache à peine la for­mi­dable impul­sion don­née au sujet et ce au plus haut niveau de la hié­rar­chie qui a ain­si vou­lu s’af­fran­chir une bonne fois pour toutes des moindres doutes quant à sa déter­mi­na­tion en la matière.

Un « Human Fac­tors Poli­cy Manual » a été éla­bo­ré, véri­table charte enga­geant Air­bus et ses par­te­naires dans la consi­dé­ra­tion sys­té­ma­tique des fac­teurs humains dans les thèmes précités.

Une « Air­bus Cock­pit Phi­lo­so­phy » a été éta­blie, véri­table docu­ment de référence :

  • pour les concep­teurs de postes, de sys­tèmes et de modi­fi­ca­tions s’y rapportant,
  • pour les règles opé­ra­tion­nelles de base décou­lant de ces concepts,
  • pour main­te­nir une cohé­rence de famille et assu­rer la com­mu­nau­té à tra­vers la famille,
  • pour opti­mi­ser les cours d’ins­truc­tion et les temps associés.

La phi­lo­so­phie de nos postes y est expli­ci­tée concer­nant le cock­pit « tout à l’a­vant », les écrans visuels, les auto­ma­tismes, les pro­tec­tions sys­tèmes, les alarmes, sym­boles et codes de cou­leur. L’ap­port des dif­fé­rents sys­tèmes est spé­ci­fié notam­ment pour les com­mandes de vol élec­triques, le pilote auto­ma­tique, les écrans visuels, les manches laté­raux, les com­mandes de poussée.

Enfin, une « Human Fac­tors Com­mu­ni­ca­tions Poli­cy » a été éta­blie spé­ci­fiant le fond et la forme de nos com­mu­ni­ca­tions, les thèmes à abor­der, les posi­tions à adop­ter et les besoins des dif­fé­rents publics aux­quels nous sommes cen­sés nous adresser.

Ces démarches sont venues à un moment capi­tal où le grand public com­mence à mar­quer un inté­rêt gran­dis­sant pour les ques­tions de sécu­ri­té dans la mesure où le nombre des acci­dents aériens est sus­cep­tible d’aug­men­ter au même rythme que le tra­fic qui s’ac­croît à un rythme d’en­vi­ron 6 % l’an.

Les facteurs humains contribueront-ils à la sécurité ?

Les cri­tiques les plus ration­nels de jadis stig­ma­ti­saient les fac­teurs humains comme un nou­veau « phy­si­ca­lisme » ten­tant de réduire les acti­vi­tés humaines à des méca­nismes élé­men­taires. Dans ce qui pré­cède nous avons expli­qué que ce sen­ti­ment ini­tial a ouvert la voie à une assez vive réac­tion de com­mu­ni­ca­tion externe et à la mise en place d’une poli­tique de concer­ta­tion interne et de recherche asso­ciée. La mis­sion fac­teurs humains de la DGAC a sur ce plan bien fonc­tion­né et nous pen­sons avoir eu dans son ensemble le bon mélange de com­por­te­ments proac­tifs et réactifs.

Les modèles et concepts savants de James Rea­son ont certes per­mis d’y voir plus clair en matière de :

  • pro­ces­sus orga­ni­sa­tion­nels et fac­teurs de situation,
  • condi­tions de tra­vail locales,
  • défenses, bar­rières et sauvegardes,
  • défaillances actives et défaillances passives,
  • fac­teurs déclenchants.

Figure 4 – Scé­na­rio d’accident
Source : James Reason
Scénario d'accident aéronautiques

En gros, il s’a­git de décrire com­ment des indi­vi­dus et des orga­ni­sa­tions peu­plées de navi­gants tech­niques, de navi­gants com­mer­ciaux, d’in­gé­nieurs de main­te­nance, de ges­tion­naires et de contrô­leurs aériens tra­vaillent ensemble, inter­agissent, uti­lisent leurs connais­sances, leurs habi­le­tés, résolvent des dif­fi­cul­tés, com­mettent des erreurs, les cor­rigent ou ne les cor­rigent pas.

Seule une approche sys­té­mique où le contexte glo­bal est pris en consi­dé­ra­tion per­met ain­si l’ap­proche la plus objec­tive et com­plète pos­sible, capable de s’ins­crire dans une vraie démarche de pré­ven­tion et de sécu­ri­té. Rea­son nous éclaire sur le para­doxe récur­rent : les acteurs de pre­mière ligne dis­tants des déci­sions dont ils assument les res­pon­sa­bi­li­tés, les déci­deurs dis­tants des ter­rains où les opé­ra­tions directes se déroulent. La figure 4 illustre les risques à gérer afin d’é­vi­ter la conjonc­tion pro­bable des cir­cons­tances opé­ra­tion­nelles et organisationnelles.

René Amal­ber­ti nous éclaire quant à lui sur le para­doxe lié à l’er­reur humaine sur le ter­rain. Au sens large, si l’on prend la défi­ni­tion du cher­cheur, les opé­ra­teurs humains en com­mettent en moyenne de deux à cinq par heure. Si l’on s’en tient aux stan­dards pro­fes­sion­nels les mêmes acteurs n’en com­mettent même pas une par vol, voire une par mois. La plu­part sont en réa­li­té aus­si­tôt cor­ri­gées par l’ac­teur de pre­mière ligne ou par le sys­tème tech­nique bien avant toute pro­pa­ga­tion ou consé­quence durable pour l’opération.

L’é­ra­di­ca­tion com­plète des erreurs et des petits méca­nismes de récu­pé­ra­tion serait cepen­dant de nature à sté­ri­li­ser la dyna­mique de l’in­te­rac­tion homme-machine et par là les nom­breux liens avec le pilote qui à terme peuvent rendre fiables des inter­faces soi-disant fra­giles. Amal­ber­ti les qua­li­fie d’er­reurs sources et se demande :

  • si leur com­pré­hen­sion ne pour­rait pas éven­tuel­le­ment nous apprendre à amé­lio­rer leurs méca­nismes de base,
  • quels contextes situa­tion­nels ou orga­ni­sa­tion­nels seraient de nature à inhi­ber ces méca­nismes de pré­ven­tion et de correction.

Les fac­teurs les plus sen­sibles à la non-récu­pé­ra­tion d’er­reurs se situent à deux niveaux :

  • ceux qui seraient liés à la défaillance des méca­nismes de contrôle de la prise de risque et à la repré­sen­ta­tion des connaissances,
  • ceux qui seraient liés à toutes les situa­tions d’i­na­dé­qua­tions inter-humaines (conflit, rela­tion­nel, com­mu­ni­ca­tion, état géné­ral, com­po­si­tion de l’é­qui­page) où les méca­nismes de pro­tec­tion se trou­ve­raient compromis.

Air­bus Indus­trie – sous l’im­pul­sion dyna­mique de Pierre Baud – s’est réso­lu­ment atta­qué à ces domaines en menant une poli­tique d’ins­truc­tion réso­lu­ment adap­tée au client :

  • intro­dui­sant des cours plus sim­pli­fiés et plus adap­tés insis­tant avant tout sur l’ex­per­tise opé­ra­tion­nelle et non sur l’ex­per­tise d’ingénierie,
  • pre­nant en compte la culture et l’ex­pé­rience des sta­giaires ain­si que leur pro­gres­sion et la pos­si­bi­li­té de remé­dier à temps à des insuffisances,
  • valo­ri­sant le juge­ment et le bon sens ain­si que la capa­ci­té à pas­ser d’un mode d’au­to­ma­tisme à un autre plu­tôt que celle visant à les uti­li­ser tous,
  • inté­grant la ges­tion des res­sources des équi­pages (per­son­nel navi­gant tech­nique, com­mer­cial et per­son­nel de main­te­nance) dans les cours de base et dans la mesure du pos­sible adap­tée à la culture du client,
  • inté­grant les notions de fac­teurs humains dans la péda­go­gie et les méthodes d’ins­truc­tion des dif­fé­rents modules de tran­si­tion de types.

Le trans­fert de connais­sances, l’é­vo­lu­tion de l’ex­per­tise, la fami­lia­ri­sa­tion avec un nou­vel avion sont tou­jours sujets à des méca­nismes de mise en confiance, de rétrac­tion et de rou­tine qui exposent tout construc­teur, toute com­pa­gnie à des phé­no­mènes de non-récu­pé­ra­tion d’er­reurs certes fac­tuels, mais insuf­fi­sam­ment clairs pour per­mettre d’en faire une pré­vi­sion plus ou moins fiable.

L’é­tat de l’art et de la science des fac­teurs humains est-il dès lors suf­fi­sam­ment avan­cé pour pou­voir gui­der des concep­tions futures sans risque de les contraindre, voire de les empê­cher de pro­gres­ser ? Autre­ment dit, les fac­teurs humains sont-ils à ce stade suf­fi­sam­ment prêts à pou­voir pré­dire l’er­reur humaine non récu­pé­rée lors de l’é­va­lua­tion opé­ra­tion­nelle pour la cer­ti­fi­ca­tion d’une concep­tion ou d’une tech­no­lo­gie avancée ?

Alors que les règle­ments inter­na­tio­naux de la FAA et de la JAA vou­draient ten­ter de faire évo­luer conjoin­te­ment la prise en compte des fac­teurs humains, de l’a­vis même des meilleurs experts la réponse à cette ques­tion ne peut être unilatérale :

  • les mesures de fia­bi­li­té humaines res­tent vaines quant à la pré­dic­tion d’er­reurs ; les ana­lyses fonc­tion­nelles de tâches en situa­tion de contexte opé­ra­tion­nel peuvent indi­quer des poten­tia­li­tés plus ou moins mar­quées et pareille approche fut déjà adop­tée dans le pas­sé notam­ment par Air­bus Indus­trie ; enfin le retour d’ex­pé­rience joue un rôle capi­tal per­met­tant éga­le­ment de mettre au point toutes sortes de codes de recom­man­da­tions pra­tiques ayant trait à des phases de vol impli­quant la sécu­ri­té : guides de consignes géné­rales pour faire face aux cisaille­ments du vent, pour pré­ve­nir l’im­pact du ter­rain en vol sta­bi­li­sé, pour l’ap­proche et pour l’at­ter­ris­sage, pour le décol­lage, pour parer à la fatigue, orga­ni­ser les repos et gérer la vigi­lance, etc.,
  • la concep­tion des postes de pilo­tage va déjà très loin dans le sens d’un ren­for­ce­ment de la sécu­ri­té aérienne ; il n’en serait pas de même en ce qui concerne la main­te­nance et le contrôle du tra­fic aérien ; les ana­lyses orga­ni­sa­tion­nelles pour­raient sans doute indi­quer des condi­tions pro­pices – les risques – au déclen­che­ment d’er­reurs dans les divers pro­ces­sus d’or­ga­ni­sa­tion des opé­ra­tions, de la main­te­nance et de l’instruction,
  • les éva­lua­tions opé­ra­tion­nelles directes impli­quant des études de la per­for­mance humaine ou de mesures phy­sio­lo­giques pour­raient aider à anti­ci­per cer­tains effets liés aux nou­velles tech­no­lo­gies comme cela a déjà été effec­tué par le pas­sé chez Air­bus Indus­trie pour les éva­lua­tions de la charge de tra­vail de l’é­qui­page à deux.

Alors que la FAA et la JAA tentent d’har­mo­ni­ser leurs règle­ments de cer­ti­fi­ca­tion, les deux prin­ci­paux construc­teurs Air­bus Indus­trie et Boeing pré­sentent des posi­tions com­munes en ce sens qu’ils veulent se foca­li­ser sur un cer­tain nombre d’as­pects où de réelles retom­bées sont atten­dues en matière de sécu­ri­té aérienne. Ain­si, plu­tôt que de revoir de fond en comble les règle­ments FAR ou la JAR, pré­fé­rons-nous iden­ti­fier les normes exis­tantes en la matière et amé­lio­rer les pièces jointes rela­tives aux interprétations.

Déjà l’an­nexe 6 de l’OA­CI, le code de l’a­via­tion civile de la DGAC et les règle­ments opé­ra­tion­nels de la FAA et de la JAA imposent-ils depuis peu aux novices comme aux anciens de pas­ser res­pec­ti­ve­ment un cer­ti­fi­cat d’i­ni­tia­tion ou de com­plé­ment aux dis­ci­plines du domaine.Toutes hési­ta­tions quant à la néces­si­té et à l’ef­fi­ca­ci­té de ces exi­gences peuvent être éli­mi­nées si les péda­gogues savent com­ment faire accep­ter les notions de per­for­mances et de limi­ta­tions humaines par les acteurs directs. Ces notions de base concernent impé­ra­ti­ve­ment les domaines suivants :

  • la phy­sio­lo­gie de base, l’in­fluence des condi­tions de vol et de l’é­tat de santé,
  • le trai­te­ment de l’in­for­ma­tion, le fonc­tion­ne­ment cog­ni­tif et le com­por­te­ment (mémoire, moti­va­tion, atten­tion, charge men­tale, prise de décision…),
  • le stress, la vigi­lance, la charge de tra­vail, la per­for­mance, la fatigue, le sommeil,
  • les sciences sociales, la culture et la ges­tion des res­sources humaines,
  • la concep­tion des avions, de leurs postes de pilo­tage, de la docu­men­ta­tion, des pro­cé­dures et des cur­ri­cu­lum d’ins­truc­tion de base et avancée.

Les cours brie­fings de la socié­té Dédale offrent des approches péda­go­giques concrètes, à adap­ter cultu­rel­le­ment et à dif­fu­ser indus­triel­le­ment à tra­vers le monde. Une meilleure com­pré­hen­sion, une meilleure accep­ta­tion par une plus grande popu­la­tion d’u­sa­gers ne pour­ront dès lors que contri­buer à rendre les acteurs de base mieux conscients de leurs limites et expériences.

Le retour d’expérience

L’a­na­lyse des besoins du pilote s’ap­puie sur son prin­ci­pal acquis : l’ex­pé­rience. S’ac­cu­mu­lant tout au long des car­rières, l’ex­pé­rience consti­tue l’es­sence même du métier. Une par­tie de l’ex­pé­rience se par­tage entre pro­fes­sion­nels, une par­tie est même indis­pen­sable au par­tage avec d’autres orga­ni­sa­tions proches de la sécu­ri­té d’a­près des pro­to­coles à éta­blir de façon sage et rigoureuse.

Figure 5 – Modèle AIRS
Source : Air­bus Industrie
Madèle AIRS d'Airbus

Ce besoin d’in­for­ma­tion concerne des situa­tions remar­quables influen­cées par des faits tech­niques, par des condi­tions envi­ron­ne­men­tales, des fac­teurs opé­ra­tion­nels. Il peut ain­si s’a­gir de pro­blèmes, d’in­ci­dents, voire d’er­reurs qui exposent l’a­vion à un cer­tain risque qu’il vau­drait mieux iden­ti­fier et maî­tri­ser. La com­pé­ti­tion ne peut faire par­tie d’une déon­to­lo­gie saine et durable. Le retour d’ex­pé­rience orga­ni­sé offre une pers­pec­tive de pro­grès en sécu­ri­té aérienne mal­gré les ques­tions juri­diques concer­nant la res­pon­sa­bi­li­té, la confi­den­tia­li­té, la réten­tion de l’in­for­ma­tion, les bases de données.

Ces aspects sont encore plus cri­tiques aux États-Unis où les consé­quences finan­cières asso­ciées sont sou­vent plu­tôt spec­ta­cu­laires. Une étude du NTSB amé­ri­cain por­tant sur 37 acci­dents majeurs de 1978 à 1990 révé­la quelque 302 erreurs spé­ci­fiques, le plus sou­vent liées aux pro­cé­dures, à la prise de déci­sions et à la dif­fi­cul­té de détec­ter et de faire remar­quer l’er­reur d’un autre membre d’é­qui­page. Cette étude se vou­lait inci­ta­tive vis-à-vis de la FAA afin de revoir ses pro­grammes d’o­pé­ra­tions (pro­cé­dures et check-lists) et d’ins­truc­tions en vol (per­for­mances humaines et ges­tion des res­sources) pro­duits par excel­lence du retour d’expérience.

Comme indi­qué par l’A­ca­dé­mie natio­nale de l’Air et de l’Es­pace le retour d’ex­pé­rience repose essen­tiel­le­ment autour de quatre axes principaux :

  • le rap­port d’in­ci­dents volon­taire et le rap­port d’in­ci­dents obligatoire,
  • l’in­tro­duc­tion et le codage des évé­ne­ments dans les bases de données,
  • l’a­na­lyse et la com­pré­hen­sion des évé­ne­ments significatifs,
  • la com­mu­ni­ca­tion de l’in­for­ma­tion aux com­mu­nau­tés d’utilisateurs.

Jean Paries de Dédale sou­tient que l’ab­sence abso­lue d’er­reurs, de pannes ou d’élé­ments patho­gènes ne garan­tit en rien la sécu­ri­té d’un envi­ron­ne­ment aéro­nau­tique. Celle-ci résulte plu­tôt d’ac­tions immu­ni­taires fai­sant suite à des inter­ven­tions de détec­tion et à des mesures de pro­tec­tion. Mais pour réa­li­ser cela il faut impé­ra­ti­ve­ment mettre en place des sys­tèmes de rap­ports pour les­quels la notion de blâme est à revoir com­plè­te­ment et qui incluent plu­sieurs niveaux de confi­den­tia­li­té. Sinon les sources res­tent taries à jamais et les infor­ma­tions per­ti­nentes enfouies dans le secret. L’a­na­lo­gie par rap­port au sys­tème immu­ni­taire est claire : les agres­sions contri­buent à la sécu­ri­té du sys­tème entier au tra­vers de l’ef­fi­ca­ci­té des contre-mesures. La quan­ti­té et la vigueur de ces attaques per­mettent néan­moins de se faire une opi­nion sur la pro­ba­bi­li­té de défaillances et de ges­tion de risques associés.

À vrai dire le retour d’ex­pé­rience devrait fonc­tion­ner au tra­vers d’une struc­ture multicouches :

  • les acteurs de pre­mière ligne (les pilotes, les contrô­leurs aériens, les équipes de main­te­nance en ligne et aux hangars),
  • les opé­ra­teurs (com­pa­gnies aériennes, aéro­ports, centres ATC) influen­çant les mis­sions et condi­tions de tra­vail des acteurs de pre­mière ligne,
  • les construc­teurs fonc­tion­nant en aval des com­pa­gnies aériennes pro­po­sant des ser­vices après-vente et de sup­port opérationnel,
  • les auto­ri­tés de tutelle sur­veillant la navi­ga­bi­li­té et spé­ci­fiant règle­ments et direc­tives de concep­tion et d’utilisation.

Ain­si le retour d’ex­pé­rience doit-il se struc­tu­rer en plu­sieurs étages, chaque niveau d’a­gré­ga­tion ayant à trans­mettre l’in­for­ma­tion à un niveau supé­rieur avec des besoins spé­ci­fiques de com­mu­ni­ca­tion entre niveaux dis­tincts. D’a­près les degrés d’ur­gences tem­po­relles plu­sieurs boucles sont à organiser :

  • les boucles courtes pour faire face à des crises impré­vues, trai­tant essen­tiel­le­ment d’é­vé­ne­ments ou d’in­ci­dents qui requièrent des mesures de défense immédiates,
  • les boucles longues afin d’in­fluer sur les normes éta­blies et les règle­ments, ayant prin­ci­pa­le­ment un impact sur les orga­ni­sa­tions et les struc­tures d’entreprises.

Dès 1995 Air­bus Indus­trie s’est doté d’un sys­tème de rap­port confi­den­tiel, le Confi­den­tial Repor­ting Sys­tem (CRS) essen­tiel­le­ment axé sur l’é­change de don­nées à la suite d’in­ci­dents cri­tiques ayant un impact direct sur la sécu­ri­té. Les inci­dents se rap­portent prin­ci­pa­le­ment aux cas fai­sant l’ob­jet de rap­ports obli­ga­toires par les pilotes à l’in­té­rieur des com­pa­gnies. Cette approche s’ac­com­pagne d’un pro­to­cole contrac­tuel de confi­den­tia­li­té entre Air­bus et les com­pa­gnies clientes dési­rant adhérer.

En com­plé­ment, dès 1997, Air­bus Indus­trie s’est orien­té vers la col­lecte d’é­vé­ne­ments com­muns ayant trait à des inci­dents plus ano­dins, à des infor­ma­tions dénuées de tout carac­tère dra­ma­tique mais per­ti­nentes pour l’a­mé­lio­ra­tion du pro­duit. Les évé­ne­ments se rap­portent sur­tout à des faits fai­sant l’ob­jet de rap­ports volon­taires de la part des pilotes. Cette démarche illustre l’im­por­tance que nous atta­chons aux infor­ma­tions qui se situent à la base de l’i­ce­berg et dont l’ac­cu­mu­la­tion pro­gres­sive peut être un élé­ment pré­cur­seur pré­cieux à sur­veiller pour la régu­la­ri­té et la sécu­ri­té des opé­ra­tions. Cette ini­tia­tive s’est effec­tuée en coopé­ra­tion avec Bri­tish Air­ways et a débou­ché sur la créa­tion de l’Air­crew Infor­ma­tion Repor­ting Sys­tem (AIRS).

Au fil des ans Bri­tish Air­ways s’est éta­bli comme véri­table réfé­rence en matière de sécu­ri­té aérienne au moyen d’une gamme éten­due de modules infor­ma­tiques ras­sem­blés dans le sys­tème BASIS (Bri­tish Air­ways Infor­ma­tion Ser­vices). BASIS regroupe ain­si, par­mi de nom­breux autres logi­ciels, la sai­sie d’in­ci­dents pure­ment tech­niques, opé­ra­tion­nels, ou liés à la main­te­nance, l’a­na­lyse sys­té­ma­tique des para­mètres de vol, la simu­la­tion par visua­li­sa­tion de ces paramètres.

C’est ain­si qu’Air­bus Indus­trie a spé­ci­fié l’in­clu­sion des fac­teurs humains dans un logi­ciel de rap­port d’in­for­ma­tion et d’in­ci­dents. Ce logi­ciel est conforme aux spé­ci­fi­ca­tions infor­ma­tiques des modules BASIS. À l’heure actuelle Air­bus dis­tri­bue gra­tui­te­ment l’AIRS aux clients dési­rant adhé­rer au réseau. Cette approche s’ac­com­pagne d’un cours de fac­teurs humains des­ti­né aux coor­di­na­teurs qui recueillent les ques­tion­naires confi­den­tiels dûment rem­plis par les pilotes ayant volon­tai­re­ment rap­por­té. Il va sans dire que l’AIRS va de pair avec un pro­to­cole contrac­tuel de confi­den­tia­li­té. Les coor­di­na­teurs qui décryptent les ques­tion­naires les trans­crivent avec le logi­ciel AIRS et ce au moyen d’un lan­gage » fac­teurs humains « . Celui-ci est basé sur une taxi­no­mie de mots clefs consti­tuant un voca­bu­laire capable de décrire les influences posi­tives et néga­tives ayant accom­pa­gné l’é­vé­ne­ment rela­té. La dis­tinc­tion entre défaillances actives (erreurs et vio­la­tions) et pas­sives (orga­ni­sa­tion­nelles et patho­gènes) est ici fon­da­men­tale. Le modèle de la figure 5 illustre la struc­ture de base de cette approche.

La fon­da­tion de l’en­semble repose sur la confi­den­tia­li­té sans laquelle aucune infor­ma­tion ne cir­cu­le­ra, sans laquelle aucun véri­table retour d’ex­pé­rience ne peut com­men­cer. Une dis­tinc­tion fon­da­men­tale est à faire entre :

  • les rap­ports de sécu­ri­té aérienne :
    – publics et obligatoires,
    – trai­tant le » quoi « ,
    – ana­ly­sant les incidents ;
  • les rap­ports fac­teurs humains :
    – confi­den­tiels et volontaires,
    – s’en­qué­rant du » pourquoi « ,
    – ana­ly­sant des situa­tions et leurs causes et effets.

Air­bus Indus­trie dote actuel­le­ment ses com­pa­gnies clientes de cet outil les unes après les autres. Les infor­ma­tions col­lec­tées vont per­mettre d’in­fluen­cer la concep­tion (besoins et spé­ci­fi­ca­tions), les opé­ra­tions (pro­cé­dures et docu­men­ta­tion) et l’ins­truc­tion (pro­grammes et scé­na­rios) à condi­tion de pro­mou­voir le retour d’ex­pé­rience comme un véri­table ser­vice client et de bien orga­ni­ser l’é­change des infor­ma­tions enfouies dans ces don­nées entre le construc­teur et les compagnies.

Des bases de don­nées inertes et inex­ploi­tées ne rajoutent en fait rien à la sécu­ri­té. Des infor­ma­tions per­ti­nentes et repré­sen­ta­tives peuvent cepen­dant y contri­buer. Les ques­tions spé­ci­fiques et directes sur des aspects opé­ra­tion­nels nous guident en per­ma­nence et nous indiquent les besoins de retour d’ex­pé­rience. Sans cesse sommes-nous abreu­vés de ques­tions ayant trait à la com­pré­hen­sion de la docu­men­ta­tion opé­ra­tion­nelle ou rela­tive à des pro­cé­dures d’o­pé­ra­tions spécifiques.

Une nou­velle approche prag­ma­tique s’est ain­si révé­lée de façon non livresque : de mieux dis­tin­guer les connais­sances décla­ra­tives propres aux ingé­nieurs des connais­sances pro­cé­du­rales propres et indis­pen­sables aux uti­li­sa­teurs. Les manuels d’o­pé­ra­tions sont désor­mais conçus avec une forte orien­ta­tion vers la mis­sion : l’in­for­ma­tion est struc­tu­rée et rédi­gée en fonc­tion de la com­pré­hen­sion des pro­cé­dures nor­males ou suite à ano­ma­lies et de la com­pré­hen­sion des sys­tèmes. Les des­crip­tions et les sché­mas com­pli­qués et exhaus­tifs sont évi­tés, les cha­pitres, sous-cha­pitres, para­graphes et phrases sont mieux cali­brés, la ter­mi­no­lo­gie stan­dar­di­sée ain­si que la phra­séo­lo­gie, la syn­taxe et l’an­glais sim­pli­fiés et dis­po­nibles pour les diverses cultures d’u­ti­li­sa­teurs dans le monde.

À cet égard l’in­ter­face homme-papier est deve­nue net­te­ment plus convi­viale, l’ac­cent ayant été mis sur les blocs d’ac­tions et l’er­go­no­mie d’u­ti­li­sa­tion. L’ar­ri­vée de la docu­men­ta­tion élec­tro­nique nous a aus­si induits à envi­sa­ger réso­lu­ment de stra­ti­fier la docu­men­ta­tion de nos futurs avions en trois niveaux dis­tincts : un pre­mier niveau néces­saire aux opé­ra­tions en vol, un second niveau requis pour l’ins­truc­tion et le recy­clage, un troi­sième orien­té vers l’ap­pro­fon­dis­se­ment des connais­sances, la com­pré­hen­sion ou le diag­nos­tic. D’autres cri­tères existent éga­le­ment pour stra­ti­fier en trois niveaux et nous uti­li­sons pré­ci­sé­ment des méthodes fac­teurs humains pour les déter­mi­ner et les valider.

Conclusion

L’ap­proche fac­teurs humains, long­temps tenue comme peu appli­cable à des métiers tech­niques, est désor­mais consi­dé­rée comme une aide effi­cace per­met­tant de réduire la pro­ba­bi­li­té de cer­tains types d’ac­ci­dents. L’in­tro­duc­tion pro­gres­sive de for­ma­tions per­met­tant aux équi­pages de mieux maî­tri­ser les méca­nismes d’er­reurs indi­vi­duels et col­lec­tifs a beau­coup contri­bué à ouvrir les esprits.

Il y a bien­tôt vingt ans que John Lau­ber – alors à la NASA, main­te­nant à Air­bus – avait iden­ti­fié les défauts de com­mu­ni­ca­tion et de lea­der­ship comme prin­ci­paux fac­teurs cau­saux récur­rents d’ac­ci­dents. Il y a bien­tôt dix ans qu’Air­bus Indus­trie inté­gra un module de ges­tion des res­sources à ses cours de tran­si­tion machine – l’Air­crew Inte­gra­ted Mana­ge­ment (AIM) – sous l’im­pul­sion de Jean Pinet, patron à l’é­poque du centre d’ins­truc­tion et ardent défen­seur du sujet trai­té dans cet article. Depuis l’AIM a cédé la place à l’A­CRM – l’Air­bus Crew Resource Mana­ge­ment – qui traite, de façon plus appro­fon­die encore, les méca­nismes d’er­reurs et de per­for­mance, la conscience de la situa­tion, la per­for­mance en groupe, la com­mu­ni­ca­tion, les pro­cé­dures et pra­tiques, la prise de déci­sion. Et qui intègre ces notions au sein des cours de tran­si­tions pour les pilotes, les per­son­nels com­mer­ciaux de bord et ceux de la main­te­nance afin de mieux faire coexis­ter ces membres d’équipe.

Les fac­teurs humains consti­tuent néan­moins un domaine bien plus vaste que le CRM et connaissent depuis cinq ans un véri­table chan­ge­ment d’é­chelle. Le contexte de l’a­via­tion moderne explique cette évo­lu­tion : d’une part tous les opé­ra­teurs de pre­mière ligne doivent rece­voir une for­ma­tion pour apprendre à maî­tri­ser leurs capa­ci­tés phy­sio­lo­giques et intel­lec­tuelles. Mais d’autre part cette évo­lu­tion est en passe de tou­cher éga­le­ment les for­ma­tions des ingé­nieurs aéro­nau­tiques en géné­ral et notam­ment ceux char­gés de la concep­tion, des opé­ra­tions et de la maintenance.

Il reste cepen­dant des scep­tiques et leurs remarques sont encore tou­jours consi­dé­rées comme les bien­ve­nues. Ils concèdent qu’a­vec du recul, l’a­via­teur fami­lia­ri­sé avec les fac­teurs humains arrive géné­ra­le­ment à pou­voir expli­quer le dérou­le­ment de scé­na­rios d’in­ci­dents, d’ac­ci­dents ou d’autres phé­no­mènes impor­tants. En revanche, dans le feu de l’ac­tion, les fac­teurs humains ne sont peut-être pas aus­si effi­caces car les ins­tincts de base :

- éloignent des connais­sances cog­ni­tives acquises intellectuellement,
– rap­prochent des réac­tions auto­ma­tiques acquises au prix d’an­nées d’é­du­ca­tion, de for­ma­tion, de pra­tique et de recy­clages permanents.

Les modèles cog­ni­tifs et les ana­lyses des fac­teurs humains, disent-ils, ont trait à un tout autre réfé­ren­tiel de temps que la confron­ta­tion et la prise de déci­sion ins­tan­ta­nées, requises en vol.

Acteur prin­ci­pal ayant méti­cu­leu­se­ment exa­mi­né les ques­tions cru­ciales rela­tives à l’in­tro­duc­tion des » glass cock­pits » pour sa com­pa­gnie, le Cap­tain John Bent avance que l’a­via­tion moderne doit son salut à une ges­tion effec­tive des risques. Cathay Paci­fic a pré­pa­ré l’in­tro­duc­tion de ses A330/A340 en impli­quant dix-huit mois à l’a­vance deux de ses ins­truc­teurs en chef sur A320 chez la com­pa­gnie sœur Dra­go­nair. Ain­si Cathay Paci­fic mit très tôt tout en œuvre pour se pré­mu­nir contre les bar­rières clas­siques à cette ges­tion du risque :

  • recherche et pré­pa­ra­tion inadé­quates à la mise en ligne d’ap­pa­reils de nou­velle technologie,
  • état d’es­prit inap­pro­prié à cer­tains niveaux de prise de déci­sion de la hiérarchie,
  • com­mu­ni­ca­tions inadé­quates ou inap­pro­priées entre concep­teurs et utilisateurs,
  • sélec­tion et ins­truc­tion inap­pro­priées des équi­pages techniques,
  • struc­tures de coopé­ra­tion et de com­mu­ni­ca­tion insuf­fi­santes entre membres de l’or­ga­ni­sa­tion ou de l’é­quipe de lancement,
  • inca­pa­ci­té à trai­ter rapi­de­ment des défec­tuo­si­tés tech­niques ou opérationnelles.

Acteur prin­ci­pal ayant fidè­le­ment œuvré au Ser­vice pré­ven­tion et sécu­ri­té des vols d’Air France, le Com­man­dant Ber­trand de Cour­ville sou­tient ardem­ment que les erreurs, les dys­fonc­tion­ne­ments et les ano­ma­lies rap­por­tés sont des moyens de régu­la­tion et d’a­dap­ta­tion pour les indi­vi­dus comme pour les opé­ra­tions aériennes d’une com­pa­gnie. Le pre­mier effort doit donc consis­ter à créer les condi­tions favo­rables à la meilleure visi­bi­li­té pos­sible de ces évé­ne­ments en créant, au-delà de moyens mis en place, une méthode et une culture du retour d’expérience.

Dans ce contexte, il faut savoir tirer le meilleur par­ti de l’é­vo­lu­tion vers les fac­teurs humains. Les thèmes abor­dés, les concepts déve­lop­pés et les modèles uti­li­sés sont ain­si et sans aucun doute un sup­port de réflexion utile pour orien­ter des choix de concep­tion de postes ou de pro­cé­dures, de doc­trines opé­ra­tion­nelles et de pré­ven­tion, de phi­lo­so­phies péda­go­giques voire de for­ma­tion des dif­fé­rents inter­ve­nants du sys­tème aéronautique.

L’objectif des construc­teurs est de conce­voir et de vendre des avions com­pé­ti­tifs qui répondent aux besoins du mar­ché. Pour cela nous savons bien qu’il faut res­ter à l’écoute car les hommes, les méthodes et les contraintes changent et intro­duisent en per­ma­nence de nou­velles exi­gences d’adaptation et de sécu­ri­té. Les fac­teurs humains contri­bue­ront à l’aviation si leurs concepts et leurs méthodes res­tent suf­fi­sam­ment concrets pour pou­voir aider à élu­ci­der de réelles ques­tions tech­niques et opérationnelles.

Un jour d’ailleurs le vocable “fac­teurs humains” s’effacera-t-il peut-être pour for­mer un ensemble plus cohé­rent avec la tech­nique et son uti­li­sa­tion. Cédant ain­si la place à des concepts de causes à effets, ils incar­ne­ront fina­le­ment une approche sys­té­mique inté­grant tous les faits contri­bu­tifs. Mais le cadre trop strict et théo­rique de ces concepts a occul­té trop sou­vent la réa­li­té pra­tique du vol. C’est en cela que les pra­ti­ciens du pilo­tage sont sou­vent tom­bés d’accord. Ce n’est pas l’homme que nous étu­dions mais l’aviation que nous vou­lons pra­ti­quer et développer.

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Ano­nymerépondre
29 juillet 2013 à 12 h 48 min

Excellent rap­port pour le
Excellent rap­port pour le fac­teur humain

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