La dette des municipalités
La presse se fait volontiers l’écho des errements financiers coupables de quelques municipalités.
Mais peu est écrit et publié sur les finances ordinaires des communes sans histoire parce que soucieuses de gérer avec prudence leur budget et leur dette.
Et pourtant, par le biais des taxes locales – foncier bâti et habitation pour ne citer que les principales – chacun contribue aux recettes de sa commune, dont une part non négligeable est affectée au service – capital et intérêts – de la dette. Ainsi, nul ne devrait se désintéresser de la gestion qui est faite de la dette de sa commune.
Cette dette résulte d’emprunts contractés au fil des années passées, autant que de besoin pour des investissements d’utilité publique, pour des périodes de dix ou quinze ans, voire vingt ou vingt-cinq ans, le plus généralement à taux fixe.
Ceci explique la survivance aujourd’hui de remboursements à des taux d’intérêt annuel de 10 % et plus, taux des prêts consentis aux municipalités qui reflétait le rythme d’inflation des décennies précédentes et le coût corrélatif des ressources des organismes prêteurs (emprunts obligataires placés auprès du public).
L’inflation ayant été durablement maîtrisée et, en résultat, le loyer de l’argent ayant fortement baissé, les municipalités se sont souciées de refinancer à moindre coût leurs emprunts aux taux les plus élevés.
S’agissant des emprunts dont le remboursement anticipé s’accompagne du paiement d’une indemnité égale à un semestre d’intérêt du capital restant dû, les discussions avec les organismes prêteurs, sans être pour autant faciles, aboutissent à des accords de refinancement, soit à un taux fixe notablement moindre, soit à un taux variable le plus souvent indexé sur le PIBOR*, donc bas au départ.
Il n’en va pas de même des emprunts dont le remboursement anticipé est régi par la clause suivante :
» Une indemnité est due dans le cas où le taux de réemploi du capital par le prêteur est inférieur au taux initial du prêt donnant lieu à remboursement. Cette indemnité est égale à la différence, en valeur actualisée au taux de réemploi, entre :
– d’une part les annuités de remboursement qu’aurait produites le capital remboursé, sur la base du taux initial et sur la durée restant à courir,
– et d’autre part, les annuités d’un prêt de même montant au taux de réemploi. »
Sur cette indemnité dite » actuarielle « , le représentant d’un des organismes prêteurs la pratiquant porte le jugement écrit suivant :
» Une telle indemnité permet de neutraliser l’opération (de réaménagement) ; elle fait payer à l’emprunteur la majeure partie de la différence entre les intérêts dus au taux d’origine jusqu’à la fin du contrat et ceux calculés au taux de réaménagement.
C’est donc une opération quasiment blanche si l’on repart sur un emprunt au même taux que celui servant de calcul au réaménagement… à moins de choisir de repartir sur un prêt à taux révisable. »
On ne peut être plus lucide et clair sur le sort – sévère – réservé à l’emprunteur. Les chiffres » vécus » qui suivent l’illustrent.
Pour un emprunt de 302 000 F souscrit en 1994 pour une durée de quinze ans au taux fixe de 10,10 % auprès d’un établissement français spécialisé dans le financement des collectivités locales, la municipalité en cause a sollicité des offres de refinancement par un nouveau prêt, soit à taux fixe, soit à taux révisable indexé sur le PIBOR.
• En octobre 1996, le montant du capital restant dû s’élevait à 270 760 F. Pour un refinancement au taux fixe de 6,50 %, l’indemnité actuarielle s’élevait à 55 740 F, soit 21 % de ce capital. L’intégration de cette indemnité dans le nouvel emprunt conduisait à un montant de 326 500 F, supérieur de 8 % au montant initial… après trois années de service de la dette.
La proposition était difficilement acceptable.
• Mi-décembre 1996, après paiement d’une nouvelle échéance, le montant du capital restant dû s’élevait à 258 170 F. Pour un refinancement à taux variable indiqué être au départ 3,89 %, l’indemnité actuarielle s’élevait à 72 305 F, soit 28 % de ce capital. L’intégration de cette indemnité dans le nouvel emprunt conduisait à un montant de 330 475 F, supérieur de 9,4 % au montant initial.
La décision du Conseil municipal fut donc de conserver cet emprunt au taux de 10,10 %, alors même que le seuil de l’usure - taux à ne pas dépasser, applicable par tous les établissements bancaires à compter d’octobre 1996 – venait d’être fixé à 11 % pour les crédits d’investissement d’une durée supérieure à deux ans à taux fixe.
Mais cette obligation ne concernait que les prêts aux entreprises !
Certes, les établissements prêteurs doivent servir les emprunts obligataires qu’ils ont placés sur le marché durant la dernière décennie à des taux attractifs en regard du rythme d’inflation de l’époque : soit, s’agissant d’un de ces établissements :
- 10 % en 1987,
– 8,9 % et 9 % en 1988,
– 10,4 % en 1990.
Est-il pour autant normal que, à travers ces établissements, le budget des communes finance les revenus de capitaux obligataires à des taux élevés désormais sans rapport avec le coût actuel de l’argent, alors que l’absence de tout risque et la faible probabilité de nouvelle inflation ne le justifient plus ?
Et, s’agissant des rentiers détenant ces titres obligataires, que leur sert de toucher de confortables intérêts, si ces revenus sont utilisés à payer des impôts locaux fixés à des taux élevés pour contribuer à un budget communal gonflé du remboursement à des taux quasi usuraires d’une dette de fait non renégociable ?
En cause est cette clause d’indemnité actuarielle, dont nombre d’organismes publics français à vocation de financement des collectivités locales tirent leur sécurité financière et bénéficient d’un avantage devenu exorbitant et abusif, et par là contradictoire à leur vocation même.
Cette clause ne devrait-elle pas être déclarée – par circulaire, décret ou loi selon que le cas l’exige – » léonine et donc illégale « , sinon dans son principe, du moins au regard des conditions actuelles et prévisibles du loyer de l’argent.
Corrélativement, les organismes prêteurs, pour assurer le nécessaire équilibre de leurs comptes entre coût des ressources et rendement des emplois, seraient conduits à amortir leurs emprunts publics aux taux les plus élevés avant leur date contractuelle d’amortissement – et pour ce faire en tant que de besoin officiellement déliés des engagements contraires pris à l’émission de ces emprunts – à proportion des montants de dette à taux quasi usuraire dont les communes demanderaient le refinancement à moindre taux, sans pénalité plus sévère que le semestre d’intérêt du capital restant dû ?
Une telle politique au service des collectivités locales conduirait sans doute à des résultats financiers moins brillants des organismes prêteurs. Mais elle serait conforme à leur finalité, et d’une actualité et utilité certaine.
En effet, pour la commune dont les chiffres » vécus » ont été cités, les économies de remboursement de dette qu’elle réaliserait du fait de taux ramenés de 10 % à – disons – 5 %, dégageraient à budget égal les ressources suffisantes à engager un(e) jeune employé(e) municipal(e)… contribuant ainsi au programme gouvernemental de création d’emplois permanents par les collectivités locales.
Que conclure ?
Est-ce là une rigidité parmi tant d’autres du système financier, rigidité dont il convient de s’accommoder comme un moindre mal en regard des conséquences en chaîne que provoquerait la remise en cause de » contrats » librement conclus entre municipalités, organismes prêteurs, et souscripteurs et actionnaires de ces organismes ?
Est-ce là une rigidité… française, parce que n’existant pas dans d’autres pays ou y ayant existé mais ayant été corrigée par des mesures adéquates qui auraient valeur d’exemple à suivre ?
L’auteur serait vivement intéressé à recevoir, sur ce sujet de l’indemnité actuarielle et sur les réformes proposées, tant les témoignages de camarades engagés comme lui dans la gestion du budget de municipalités et autres collectivités que les réactions de camarades responsables à titre et niveau divers des établissements prêteurs dont la politique est mise en cause.
Pierre Moulin
Hameau de la Belle Étoile
84760 Saint-Martin-de-la-Brasque
Tél. : 04.90.07.71.41.
Fax : 04.90.07.71.31.