Le service ferroviaire à l’heure de l’ouverture européenne

Dossier : La mutation du service publicMagazine N°635 Mai 2008
Par Jean-Philippe BERNARD (52)

À soixante-dix ans, la SNCF est à l’aube d’une nou­velle jeu­nesse. Les contraintes d’environnement entraînent un regain d’intérêt pour le che­min de fer, peu pol­luant. Dopé par le TGV, le trans­port de voya­geurs à longue dis­tance est en expan­sion. Le tra­fic de proxi­mi­té n’est pas en reste, mar­qué par le suc­cès des trans­ports régio­naux. Le fret fer­ro­viaire a eu des résul­tats déce­vants, mais une reprise est pré­vi­sible grâce aux efforts de la SNCF, au dyna­misme des nou­veaux opé­ra­teurs et à la créa­tion de nou­velles auto­routes fer­ro­viaires. Des efforts d’adaptation et des inves­tis­se­ments sont néces­saires pour faire face aux aug­men­ta­tions pré­vi­sibles du trafic.

REPÈRES
Créée en 1937, la SNCF est aujourd’hui un éta­blis­se­ment public indus­triel et commercial.
Elle pos­sède 35 filiales dont Geo­dis, pre­mier trans­por­teur rou­tier en France, et Keo­lis, pre­mier opé­ra­teur pour les trans­ports urbains. Le groupe a réa­li­sé un chiffre d’affaires de 21,9 mil­liards d’euros en 2006, en hausse de 5 % sur 2005.
RFF (Réseau fer­ré de France), éga­le­ment éta­blis­se­ment public, gère depuis 1997 les infra­struc­tures fer­ro­viaires : 29000 kilo­mètres de lignes dont 1 500 à grande vitesse. La SNCF et les autres opé­ra­teurs versent des péages à RFF pour la cir­cu­la­tion de leurs trains.

La SNCF est-elle encore un ser­vice public ? On peut légi­ti­me­ment s’interroger main­te­nant puisque la SNCF n’assure plus qu’environ 10 % du tra­fic des per­sonnes et 12 % de celui du fret (78,7 mil­liards de voya­geurs-kilo­mètres et 40,9 mil­liards de tonnes-kilo­mètres en 2006). On ne peut pas com­pa­rer la SNCF à l’enseignement, aux ser­vices d’urgence, à la san­té, à la four­ni­ture d’énergie pour les­quels la notion de ser­vice public n’est pas contes­table. Pour­tant, le trans­port fer­ro­viaire des voya­geurs en zone urbaine est tou­jours un ser­vice public. Il ne doit pas être inter­rom­pu et l’État est le garant de sa conti­nui­té. Le ser­vice mini­mum a été intro­duit par la loi d’août 2007 rela­tive à la conti­nui­té du ser­vice public dans les trans­ports ter­restres. On devrait ain­si limi­ter les consé­quences des grèves qui exas­pèrent la popu­la­tion et qui servent de pré­texte à la dif­fu­sion d’informations très fan­tai­sistes sur la SNCF.
Le che­min de fer a connu un qua­si-mono­pole. Il y a depuis long­temps concur­rence et com­plé­men­ta­ri­té avec la route, le trans­port aérien, l’oléoduc, la voie flu­viale ou la voie mari­time. Depuis peu s’est ouverte la concur­rence entre opé­ra­teurs fer­ro­viaires, puisque le fret est libé­ra­li­sé dans l’ensemble des pays de l’Union euro­péenne. Encore peu nom­breux en France, les concur­rents de la SNCF étaient huit à assu­rer 8 % du ton­nage trans­por­té fin 2007. Le tra­fic inter­na­tio­nal de voya­geurs sera ouvert à la concur­rence en 2010 et il en sera sans doute de même plus tard pour les ser­vices voya­geurs natio­naux et régionaux.
La Com­mis­sion euro­péenne fait pro­gres­si­ve­ment accep­ter par les États membres sa vision du che­min de fer : finances assai­nies, apu­re­ment des dettes, cla­ri­fi­ca­tion des aides appor­tées par les États, finan­ce­ment des infra­struc­tures par les États, liber­té d’accès aux infrastructures.
En 1996, la situa­tion finan­cière de la SNCF était très pré­oc­cu­pante, avec un défi­cit annuel impor­tant et un endet­te­ment équi­valent à 20 mil­liards d’euros. RFF a repris à sa créa­tion l’essentiel des dettes de la SNCF qui a pu réta­blir sa situa­tion finan­cière. Son résul­tat posi­tif a même atteint 657 mil­lions d’euros en 2007. De son côté, RFF reste endet­té et doit faire face au retard pris dans l’entretien des voies les moins uti­li­sées du réseau pour les­quelles une impor­tante opé­ra­tion de renou­vel­le­ment est néces­saire. On estime glo­ba­le­ment que le coût pour les contri­buables du che­min de fer fran­çais dépasse 10 mil­liards d’euros par an. Réduire le concours de l’État, sans mettre en cause les inves­tis­se­ments, consti­tue une indis­cu­table priorité.

Le TGV est devenu international

Le tra­fic TGV a aug­men­té de 6,5 % en 2006, avec une hausse record de 10,4 % pour L’Eurostar

La mise en ser­vice du TGV depuis 1981 consti­tue cer­tai­ne­ment le suc­cès le plus spec­ta­cu­laire de la SNCF. La vitesse com­mer­ciale sur les lignes les plus récentes a été por­tée à 320 km/h. Londres est à deux heures quinze de Paris. Plu­sieurs mil­liers de kilo­mètres de lignes nou­velles sont pro­gram­més. De nou­velles rela­tions vers l’Italie et l’Espagne vont encore accen­tuer le carac­tère inter­na­tio­nal du TGV. Une alliance euro­péenne, « Rail­team », vient d’être créée par sept réseaux sur le modèle des grandes alliances aériennes.
La construc­tion des lignes nou­velles fera appel à des Par­te­na­riats publics pri­vés (PPP), ce qui est déjà le cas pour la sec­tion Per­pi­gnan-Figue­ras, en direc­tion de Barcelone.

Toujours des trains classiques

Le rôle des trains clas­siques, com­po­sés d’une loco­mo­tive remor­quant des voi­tures, ne cesse de dimi­nuer, mais quelques grandes lignes, par exemple Paris-Tou­louse, sont encore des­ser­vies par de tels trains. Des rela­tions de nuit ont été conser­vées, mais elles ont per­du de leur impor­tance là où elles sont concur­ren­cées par le TGV, par exemple sur Paris-Mar­seille-Côte d’Azur. Des liai­sons inter­na­tio­nales sont éga­le­ment assu­rées par des trains clas­siques, ain­si Paris-Rome, Paris-Vienne ou Paris-Ber­lin. Des maté­riels par­ti­cu­liers (Tal­go) peuvent cir­cu­ler sur les deux écar­te­ments de voies, fran­çais et espa­gnol, sur Paris-Madrid et Paris-Barcelone.

Six mille trains express régionaux

REPÈRES
La contri­bu­tion finan­cière des Régions aux TER est impor­tante. Ain­si la Région Nord-Pasde- Calais aura inves­ti 750 mil­lions d’euros pour dis­po­ser d’un maté­riel neuf ou réno­vé et un mil­liard d’euros pour amé­lio­rer les infra­struc­tures d’ici 2015.

Le trans­port public, ou trans­port de proxi­mi­té, repré­sente 85 % des trains de voya­geurs mis en cir­cu­la­tion par la SNCF. Le poten­tiel d’expansion est consi­dé­rable puisque l’automobile assure envi­ron 90 % de ce type de dépla­ce­ments. Ce tra­fic com­prend les « Trains express régio­naux » (TER), le « Tran­si­lien » (Île-de-France) et les trains interrégionaux.
Plus de six mille « Trains express régio­naux » (TER) trans­portent chaque jour envi­ron 600 000 voya­geurs. La déci­sion, prise en 1990, de confier la res­pon­sa­bi­li­té de ces ser­vices fer­ro­viaires aux Régions a conduit à un essor consi­dé­rable. Des conven­tions ont été signées à par­tir de 2002 entre les Régions et la SNCF. En dix ans, 4,5 mil­liards d’euros ont été inves­tis pour l’achat de maté­riels modernes. La crois­sance du tra­fic a atteint 9,6 % en 2006.

Cinq mille trains en Île-de-France

REPÈRES
Les trans­ports publics en Île-de-France sont finan­cés par les voya­geurs (35 %), les entre­prises (ver­se­ment trans­port), l’État, la Région et les dépar­te­ments. Le Syn­di­cat des trans­ports d’Île-de-France (STIF) verse à la SNCF une sub­ven­tion d’exploitation (1,3 mil­liard d’euros en 2006).

En Île-de-France, le trans­port fer­ro­viaire des voya­geurs est assu­ré conjoin­te­ment par la RATP et la SNCF. Plus de 5 000 trains trans­portent chaque jour 2 mil­lions de voya­geurs sur 1 345 kilo­mètres de lignes. La hausse du tra­fic s’est éle­vée à 4 % en 2006.
Le Syn­di­cat des trans­ports d’Île-de-France (STIF), pré­si­dé par le pré­sident de la Région Île-de-France, est l’autorité orga­ni­sa­trice du trans­port public en Île-de-France. Plus de 12 mil­lions de voya­geurs sont trans­por­tés chaque jour par les pres­ta­taires de ser­vices que sont la RATP, la SNCF et les com­pa­gnies pri­vées de cer­taines lignes d’autobus (Optile).
Le renou­vel­le­ment du maté­riel rou­lant fait l’objet d’un effort consi­dé­rable. Une nou­velle géné­ra­tion d’automotrices, les « Nou­velles auto­mo­trices tran­si­liennes » (NAT), va entrer pro­chai­ne­ment en ser­vice. Mais il fau­drait aus­si renouer avec les grands inves­tis­se­ments en matière d’infrastructure, comme pen­dant la période glo­rieuse qui a vu la réa­li­sa­tion des lignes du RER.

CDG Express
La créa­tion d’une rela­tion de qua­li­té entre la gare de l’Est et l’aéroport Charles-de- Gaulle sera bien­tôt entre­prise. Son finan­ce­ment sera assu­ré dans le cadre d’une concession.

Ce sont main­te­nant les rela­tions entre ban­lieues qu’il faut créer. Il manque à Paris une ligne cir­cu­laire comme il en existe dans cer­taines capi­tales où elle joue un rôle majeur (la « Yama­note Line » à Tokyo, par exemple).

Une nou­velle géné­ra­tion d’automotrices va amé­lio­rer le confort des voya­geurs tran­si­liens. © SNCF

Trois cents trains interrégionaux

REPÈRES
Le nombre de voya­geurs trans­por­tés par la SNCF a dépas­sé le mil­liard en 2006. Le tra­fic TGV est pas­sé de 21 mil­liards de voya­geurs-kilo­mètres en 1995 à 44 mil­liards en 2006.
L’État verse 2,6 mil­liards d’eu­ros par an pour équi­li­brer le régime de retraite des cheminots.
L’augmentation de la durée de vie moyenne des che­mi­nots est de plus de quinze ans depuis 1909.

Des trains inter­ré­gio­naux com­plètent le réseau TER et assurent des rela­tions comme Paris-Tou­louse, Bor­deaux-Nantes, Bor­deaux-Lyon, Lyon-Nantes, Paris-Nevers, Paris-Orléans-Tours, Paris-Cher­bourg, etc. Envi­ron 300 trains cir­culent chaque jour sur 25 lignes et trans­portent 60 000 voya­geurs. Ces ser­vices ont don­né lieu à de nom­breuses dis­cus­sions du fait de leurs résul­tats finan­ciers médiocres (80 mil­lions d’euros de pertes en 2006). Ils sont main­te­nus sous la dési­gna­tion de Corail Intercités.

Un repli sévère pour le fret

La SNCF et La Poste s’associent pour créer Fret GV, socié­té de fret fer­ro­viaire à grande vitesse

Le tra­fic de fret de la SNCF est pas­sé de 74 mil­liards de tonnes-kilo­mètres en 1974 à un peu plus de 40 mil­liards en 2006. Pen­dant la même période, le tra­fic, tous modes de trans­port confon­dus, a pra­ti­que­ment dou­blé en France. Les résul­tats finan­ciers sont éga­le­ment déce­vants puisqu’une perte de 260 mil­lions d’euros a été consta­tée en 2006. Il est évident que le tra­fic du fret doit être équi­li­bré finan­ciè­re­ment. Il ne doit être sub­ven­tion­né ni par les voya­geurs ni par les contribuables.
La chute du fret fer­ro­viaire est un phé­no­mène propre à la France. Des mou­ve­ments sociaux trop fré­quents ont des consé­quences désas­treuses sur les délais d’acheminement. Il faut com­bler un défi­cit de pro­duc­ti­vi­té de 20 à 30 % par rap­port aux nou­veaux opé­ra­teurs. L’objectif est de reve­nir à l’équilibre finan­cier avec un tra­fic de 50 mil­liards de tonnes-kilo­mètres en 2012.
Enfin est envi­sa­gée la créa­tion d’opérateurs de proxi­mi­té, sur le modèle des short lines qui a fait ses preuves aux États-Unis. Il consiste à drai­ner les wagons iso­lés à l’échelle locale pour ensuite les mas­si­fier sur les plates-formes de tri. Les opé­ra­teurs longue dis­tance sous-traitent aux opé­ra­teurs de proxi­mi­té les pre­miers et der­niers kilomètres.

Des auto­routes ferroviaires
En 2003, une « auto­route fer­ro­viaire » de 175 km a été créée entre Cham­bé­ry et Turin. Elle a trans­por­té 20 000 camions en 2006. Une deuxième auto­route fer­ro­viaire a été mise en ser­vice en sep­tembre 2007 entre Bet­tem­bourg (à la fron­tière du Luxem­bourg) et Perpignan.
Deux autres sont pré­vues. Elles relie­raient Bayonne à Bré­ti­gny et à Dourges (Nord-Pas-de-Calais).
Les trains, com­po­sés de wagons spé­cia­li­sés pour le trans­port des véhi­cules rou­tiers, roulent sur les lignes exis­tantes. Des trains de 1 500 mètres de long (750 mètres actuel­le­ment) per­met­traient de dou­bler le tra­fic. Dans un délai rai­son­nable, les auto­routes fer­ro­viaires pour­raient assu­rer un tra­fic de l’ordre de 25 mil­liards de tonnes-kilomètres.

Un personnel stable et bien formé

La sécu­ri­té du trans­port fer­ro­viaire est étroi­te­ment liée à la com­pé­tence et à la conscience pro­fes­sion­nelle des agents. De 500 000 envi­ron au moment de la créa­tion de la SNCF, il y a soixante-dix ans, encore de l’ordre de 350 000 en 1961, l’effectif est aujourd’hui de 164 000 agents. Le tra­fic a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té et la pro­duc­ti­vi­té a donc pro­gres­sé indis­cu­ta­ble­ment, même si elle souffre de la com­pa­rai­son avec le Japon (voya­geurs) ou les États-Unis (fret). On recense 190 000 retrai­tés et 112 000 pen­sions de réver­sion. La réforme du régime spé­cial des retraites a été à l’ordre du jour à la fin de l’année 2007.


Un train Moda­lohr sur la rela­tion Bettembourg-Perpignan.

De brillantes perspectives

La poli­tique des trans­ports va de plus en plus devoir prendre en compte la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Le che­min de fer est bien pla­cé. La situa­tion est par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable en France puisque la trac­tion est en majo­ri­té élec­trique et l’électricité en majo­ri­té nucléaire.

L’automobile assure envi­ron 90 % des dépla­ce­ments de proximité

Les conclu­sions du Gre­nelle de l’environnement ont été très nettes. Dans l’avenir, le réseau TGV assu­re­ra l’essentiel du tra­fic à moyenne dis­tance au détri­ment du tra­fic aérien. La part du fer­ro­viaire aug­men­te­ra dans les trans­ports à courte dis­tance de la vie quo­ti­dienne. Ce sera par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour l’Île-de-France.
En ce qui concerne le fret, la part du fer­ro­viaire devrait aug­men­ter de 25 % d’ici 2012.
C’est donc à un tra­fic beau­coup plus impor­tant qu’il faut se pré­pa­rer, ce qui sup­pose un gros effort d’adaptation de la part de la SNCF, de RFF et des nou­veaux opé­ra­teurs et aus­si d’importants investissements.
Par­tout dans le monde, on constate un renou­veau d’intérêt pour le che­min de fer et des inves­tis­se­ments impor­tants sont effec­tués. L’industrie fer­ro­viaire a de beaux jours devant elle.

Quelques com­pa­rai­sons internationales
JAPON

Le tra­fic voya­geurs est consi­dé­rable, du fait d’une popu­la­tion impor­tante et très active sur un ter­ri­toire réduit. Avec 8,7 mil­liards de voya­geurs en 2006, il est 9 fois plus impor­tant que celui de la SNCF. Le tra­fic de fret est très modeste. La pro­duc­ti­vi­té du per­son­nel est très éle­vée. Les prin­ci­pales entre­prises fer­ro­viaires ont été pri­va­ti­sées. En 1964, les che­mins de fer natio­naux du Japon ont mis en ser­vice entre Tokyo et Osa­ka le pre­mier ser­vice fer­ro­viaire à grande vitesse sur ligne nou­velle dans le monde.
ÉTATS-UNIS
Les grands réseaux de che­min de fer, qui sont des entre­prises pri­vées, ont aban­don­né les voya­geurs pour se consa­crer au fret. Le tra­fic est énorme et repré­sente 70 fois celui de la SNCF. Le rail assure 40 % du tra­fic de fret. Les normes tech­niques sont très favo­rables (charge par essieu, gaba­rit géné­reux, atte­lage automatique).
ALLEMAGNE
1,8 mil­liard de voya­geurs (sur des dis­tances plus courtes qu’en France). 96,4 mil­liards de tonnes-kilo­mètres de fret contre 40,9 pour la SNCF. Une par­tie du capi­tal de la Deutsche Bahn va être cédée à des inves­tis­seurs pri­vés, le réseau fer­ré res­tant pro­prié­té de l’État.
INDE
Pays émergent en voie de déve­lop­pe­ment rapide : déjà 4,8 mil­liards de voya­geurs et 726 mil­lions de tonnes de fret en 2006. Inves­tis­se­ments mas­sifs. Lignes nou­velles à grande vitesse à l’étude.

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