Le logement, un bien « démarchandisé »
Ces propos sont extraits d’une conférence du groupe « logement » de X‑Sursaut, animée par Hubert Lévy-Lambert (53) et Olivier Mitterrand (62).
En France 3,5 millions de ménages sont mal logés, auxquels se rajoute 1 million de ménages ne trouvant pas de logement. Or, sur les 30 millions de logements existants (hors résidences secondaires), uniquement 25 millions sont occupés. Par ailleurs, sur les 4,3 millions de logements sociaux existants, 80 % sont occupés par des ménages dont les ressources ne les rendent plus éligibles, à supposer qu’ils ne l’aient jamais été. Cette situation du logement français est donc loin d’atteindre un optimum collectif. Ce déséquilibre trouve sa source dans l’intrusion intempestive et déraisonnable d’acteurs tiers au sein de cette mécanique complexe que forment les marchés du logement. Ces acteurs sont les personnels politiques, relayés en cela par les fonctionnaires et les magistrats. Ils animent une dynamique décisionnelle, dont les prémisses datent de 1914 (premières lois de blocage des loyers). Loin de créer la confiance dont se nourrit toute société normale, leurs interventions génèrent un climat de défiance et par conséquent un appel croissant à des moyens de se soustraire au dialogue que peuvent établir les marchés. Il en résulte une spirale sans issue conduisant à une » démarchandisation » croissante de la filière logement.
Des interventions intempestives
Le concept de zonage conduit à geler des terrains pour des affectations qui se révéleront souvent erronées
Sous des prétextes vertueux, celui d’empêcher les abus de situation dominante (bailleur-locateur et vendeur-acheteur) ou le mitage de l’espace rural, celui de favoriser l’amélioration du confort, de coordonner la lutte contre les fléaux (inondations, termites), celui de construire une société meilleure et bientôt un développement durable, des décisions politiques inappropriées se multiplient. Elles se constatent à chacun des maillons de la filière logement, se prévalent de concepts opérationnels désuets et inadaptés (comme le zonage) et se mettent en place en retard avec souvent une concertation minimaliste. L’ensemble de ces interventions conduit à une hypersegmentation des marchés concernés, nuisible puisque, d’une manière très générale, l’optimum de la somme est meilleur que la somme des optimums. Qui plus est, ces interventions, mobilisant une grande diversité de structures politiques, administratives et judiciaires, sont incapables de se concrétiser en solutions opportunes pour des situations dont le caractère nécessairement particulier va de pair avec sa variabilité. Le coût de la » pénalité réglementaire » qui en résulte a été évalué à 46 milliards d’euros selon une étude de l’institut Turgot de Vincent Bénard (mars 2007). La France est un pays peu dense où l’investissement en infrastructures de transport est l’un des plus élevés en Europe. Paradoxalement la production de foncier y est faible et, qui plus est, dédiée principalement à l’habitat dispersé alors que le processus de densification des villes, qui est un des processus naturels du développement économique, semble bloqué. Les causes de ces dysfonctionnements se trouvent dans l’organisation à plusieurs niveaux des prises de décisions en matière d’urbanisme. Cette organisation les rend, au mieux, mal planifiées et incohérentes et les expose aux considérations électoralistes. À cela se rajoutent les méfaits des concepts de zonage qui conduisent à geler des terrains pour des affectations qui se révéleront souvent erronées. Les propriétaires de terrain à construire sont les seuls bénéficiaires de cette situation. Ils tirent cette rente foncière d’investissements en infrastructure et de décisions conduisant à la raréfaction du terrain. Pour compenser la hausse des prix du foncier les élus sont amenés à décider au niveau national des aides à la pierre colossales (33 milliards d’euros par an).
Des surcoûts qu’il faut répercuter
Pour compenser la hausse des prix du foncier les élus sont amenés à décider au niveau national des aides à la pierre colossales
De leur côté, les promoteurs héritent de la rareté du foncier. Les opérations sont difficiles à trouver et nécessitent un entregent permettant de briser l’opacité de certains mécanismes d’attribution. À ces contraintes se rajoutent les aléas de l’insécurité juridique liée à une promulgation continue de lois, des possibilités des recours de tiers et des arcanes administratifs liés à l’application d’une réglementation foisonnante sur le respect de normes techniques ainsi que sur la proximité de monuments historiques. Tout cela aboutit à des surcoûts qu’il faut bien répercuter dans les prix lorsque la promotion est faite à titre privé. Mais la formation des prix, elle-même, est contrainte par les obligations de pourcentage de logements sociaux de la loi SRU ainsi que par la concurrence des programmes de logements sociaux dont les conditions de production et de financement bénéficient d’avantages particuliers. Il en est jusqu’aux méthodes de financement qui sont sujettes à interventions politico-administratives puisque les financements en PPP (Partenariat public privé) d’origine étrangère semblent freinés par la complexité des arcanes juridiques français. Le secteur locatif s’installe de plus en plus dans une dynamique faisant s’enchaîner protections des locataires avec contre-mesures des propriétaires. Cette situation réduit la frange de la population éligible à ce marché et explique en cela l’hésitation des locataires en secteur HLM à se risquer dans le secteur locatif libre et la faible propension des Français à être propriétaires (57 % le sont).
Réconcilier contraintes sociales et marché
Un frein à la revente
Les marchés secondaires du logement, ceux qui concernent la revente de son bien par un particulier, sont aussi affectés. L’application sans discernement des principes de précaution aux ventes de logement obligeant à des contrôles techniques systématiques et la loi Aurillac sur les ventes à la découpe ajoutent des coûts aux frais de mutations déjà existants et contribuent à freiner les ventes de logement ancien. De fait la tendance à long terme du nombre de transactions immobilières rapporté au parc immobilier est quasiment stable (environ 1 % par an).
Recréer les conditions d’une confiance dans les marchés de la filière du logement ne peut se limiter à démanteler cet interventionnisme puisqu’il est exclu de renoncer aux objectifs de protection sociale. La véritable solution serait d’appliquer le principe des médecins : primum non nocere, c’est-à-dire de laisser jouer les lois du marché et ensuite, corriger les excès qui sont constatés. Ou, autrement dit, donner à tous les acteurs les mêmes règles du jeu, n’intervenir que pour canaliser les mécanismes de marché et corriger les excès tout en veillant à organiser le dialogue social. Cela pousse aux trains de réformes suivants : libérer la production de foncier, en particulier en la replaçant dans un jeu politique pertinent ; faire du zonage urbain l’exception ; réintégrer le droit immobilier dans le droit commun ; démanteler l’aide à la pierre (HLM) en faveur de l’aide à la personne (APL) ; donner aux actions politico-administratives les moyens de la cohérence grâce à une agence de coordination dont la règle d’intervention serait de ne pas nuire au fonctionnement normal des marchés.
EN SAVOIR PLUS SUR INTERNET
http://www.foncier.org/statistiques/graphactu.doc
http://www.mon-immeuble.com/etudes/etu05/etudeSENAT07.05.htm
http://www.foncier.org/statistiques/Urbanissimo2004.htm
http://ministeredelacrisedulogement.org/index.php/crise-du-logement/le-foncier‑2/