Des utopistes très réalistes
Utopistes contre réalistes, telle était l’affiche du récent colloque organisé, sous le titre » le sursaut sans tabou « , par le groupe X‑Sursaut. Six combats au programme, avec pour ambition d’amener les supporters à changer de champion. Six thèmes d’actualité : la pierre, la sécu, le travail, l’enseignement, le déficit et la rupture. Les débats furent de qualité, mais de combat il n’y eut guère, tant on s’aperçut rapidement que les adversaires étaient interchangeables. Le réalisme l’a emporté haut la main.
I. Faut-il supprimer les aides à la pierre ?
Ce qui est social, c’est l’occupant et non pas le logement
L’aide à la pierre concerne essentiellement le secteur locatif, rappelle Jean-François Gabilla (président de la Fédération des promoteurs et constructeurs). En l’accentuant encore, on déresponsabilise un peu plus les locataires et l’on n’adresse que des signaux négatifs aux propriétaires. En outre, l’aide concerne surtout le logement dit social et la création d’un logement social coûte trois fois plus cher que l’accession à la propriété. Pourquoi un logement social ne serait-il que locatif ? Ce qui est social, c’est d’ailleurs l’occupant et non pas le logement. Aidons ceux qui doivent être aidés, aussi bien à l’accession à la propriété qu’à la location. Pierre-André Périssol (ancien ministre du Logement) lui apporte un soutien plutôt que la contradiction. Il n’y a pas, dit-il, d’opposition réelle. L’aide à la pierre présente l’avantage de s’adapter à la conjoncture. L’aide à la personne présente des difficultés de sortie. Il faut que les aides soient compréhensibles. Il faut savoir changer de système quand le contexte évolue. Ne pas hésiter, lorsqu’on invente une aide nouvelle, à supprimer une aide ancienne devenue obsolète.
II. Faut-il supprimer le monopole de la sécu ?
La réponse est clairement non, affirme Jean de Kervasdoué (professeur au Cnam). Nous sommes chers en France parce que nous choisissons le plus cher : beaucoup d’hospitalisation, beaucoup de médecins, beaucoup de prescriptions. La concurrence n’y changerait rien. D’ailleurs, il ne faut pas confondre la médecine et la santé : le tiers des Anglais les plus pauvres vit plus longtemps que le tiers des Américains les plus riches. Il est tout à fait possible, selon lui, de maintenir un système solidaire, pour peu qu’on en ait la volonté. Évidemment, concède-t-il, nous ne contrôlons rien, ce qui n’est pas beaucoup. C’est en allant dans ce sens que Philippe Manière (directeur général de l’Institut Montaigne) se demande si l’on fait un bon usage de l’argent public. Est-il utile de dépenser tant ? Est-il raisonnable d’accepter un déficit de 6 % ? Il prend pour exemple le système américain des anciens combattants, public et centralisé, qui fonctionne bien parce qu’il existe un réel » management « , mais qui s’autorise à mettre les prestataires en concurrence. Oui pour la concurrence en matière de soins, non pour le financement, répond son adversaire. Les deux s’accordent in fine sur » un réalisme avec une pointe d’utopie « .
III. Un contrat de travail unique avec licenciement libre ?
Francis Kramarz (directeur du Crest) regrette que les personnes qu’on prétend protéger soient en fait les moins protégées, tant les droits protecteurs en apparence peuvent être facilement contournés. Il préconise un contrat qui stipule une durée minimale (et non pas maximale, comme avec l’actuel CDD), avec un coût de licenciement décroissant avec l’ancienneté. Mais, dit-il, il faut auparavant avoir fait des réformes, sur les notions d’ancienneté en particulier, et surtout s’attacher à informer et rassurer. Michèle Debonneuil (inspecteur général des Finances, membre de la commission Attali) insiste sur un sujet rarement abordé, celui du travail à temps partiel. Qu’ont fait les pays qui ont créé des emplois ? Les trois quarts de ces emplois sont à temps partiel et concernent en priorité les jeunes et les seniors. Elle propose pour ceux-ci un contrat sous forme de » temps partiel tremplin « , qui ne concernerait que 3 à 4 % de la population en âge de travailler, ce qui est précisément l’écart qui sépare la France des pays qui comptent moins de chômeurs que nous.
IV. Faire payer l’enseignement supérieur et sélectionner les étudiants ?
Nous vivons sous l’Ancien Régime, affirme Jacques Marseille (professeur à Paris I), avec la noblesse des grandes écoles, réservées aux élites ; le clergé des universités réputées, s’adressant aux plus aisés ; le tiers état des universités ordinaires. En fait, il y a bel et bien sélection à travers les études secondaires scientifiques. Il faut lutter contre plusieurs tabous : le niveau ridicule des droits d’inscription (180 euros par an, alors qu’un niveau de 1 500 euros serait décent) ; l’absence de sélection (le bac, premier grade universitaire, donne le droit de s’inscrire n’importe où) ; l’obligation faite aux enseignants de mêler pédagogie et recherche. Enfin, ajoute-t-il, on compte en France 85 universités alors que 20 suffiraient. Il faut, dit-il, préparer progressivement l’opinion à la rupture : on l’a fait pour les retraites et il a fallu douze ans, commençons donc à parler de l’université. Richard Descoings (directeur de Sciences Po), moins choqué par le nombre des universités que par la volonté de les traiter de façon unitaire, est d’accord pour une augmentation progressive des droits d’inscription et pour mettre fin à la sélection par l’échec, qui prévaut actuellement.
V. Ramener le déficit public à zéro dès 2009 ?
Aucun problème, pour Jean Peyrelevade (gérant de Leonardo France), qui condamne notre État » impécunieux et impuissant « . Sa recette (utopique) est très simple. Notre déficit annuel s’élève à 2,5 % du PIB, soit 45 milliards d’euros. Augmentons les recettes fiscales de 2 % : 15 milliards d’euros. Supprimons les allégements d’impôts prévus : 15 milliards. Supprimons en deux ans le déficit de la Sécurité sociale : 15 milliards encore. Le compte est bon.
Nombre de réformes n’ont pas abouti parce que le calendrier politique ne s’y prêtait pas
Pas si simple, rétorque Philippe Auberger (inspecteur des Finances, ancien rapporteur général du Budget). Le temps budgétaire et le temps politique s’écoulent de façon différente. Nombre de réformes n’ont pas abouti parce que le calendrier politique ne s’y prêtait pas. Nous approchons des élections municipales. Et d’ailleurs, pourquoi un déficit de zéro ? En Grande-Bretagne, par exemple, le déficit est admis mais la règle d’or est qu’il ne peut financer que des investissements. Nous ne ferons rien sans une réelle volonté politique, s’accordent à dire les conférenciers.
VI. Une vraie rupture ?
» Aide à la pierre ? Pourquoi pas, mais avec un vrai marché du logement. Réformer la politique de santé ? Remplaçons d’abord les tarifs par des prix. Un contrat de travail unique ? Pour quoi faire, en l’absence d’un marché du travail. Changer l’enseignement supérieur ? Le fruit est mûr. Voilà ma part d’utopie « , résume Alain Madelin (ancien Ministre), mais » au fond, je suis profondément réaliste « . Les réformes qui passent bien sont celles acceptées par l’opinon, conclut Gérard Worms (président de Rexecode). Les Français n’ont pas peur du mot rupture. Ils savent bien ce qu’il faut faire. Jouons à fond le jeu d’une société de confiance. » Que nos utopistes continuent à nous provoquer. Que nos réalistes continuent à imposer leur pragmatisme. »