Un coentrepreneur providentiel
Deux fois par mois, François Cherruau quitte Saint-Malo, ses plages et son golf, pour mettre le cap sur Paris et la rue de Poitiers. C’est ici qu’il préside à l’essor des « investisseurs providentiels » français (business angels) issus des principales grandes écoles.
De l’enthousiasme et des sous
De dénomination typiquement anglo-saxonne, le « business angel » est une personne physique investissant une partie de son patrimoine dans une société innovante à potentiel. Il apporte en outre bénévolement, à l’entrepreneur qui fait appel à lui, une partie de son temps, ses compétences, ses réseaux de relations et son enthousiasme. Émanation de l’association XMP-Entrepreneur, qui aide d’anciens élèves des différentes écoles à créer ou à reprendre des entreprises, l’association XMP-Business Angels a vu le jour fin 2004.
Libre et responsable
De sa longue carrière dans les filiales du CEA, de Framatome ou à la tête d’entités personnelles, François Cherruau a gardé son enthousiasme pour l’innovation et un ennui certain pour les compte-rendus pléthoriques exigés par les lourdes organisations.
« Le rôle d’investisseur volontaire et partenaire permet de retrouver les sensations d’un patron libre et responsable, de participer à une aventure innovante, tout en respectant le libre-arbitre de l’entrepreneur qui est venu faire appel à nous. »
« Après un appel dans les bulletins de différentes écoles, nous avons pu réunir une quarantaine de personnes intéressées, rappelle François Cherruau. Il s’agissait de gens de même culture, prêts à investir et à s’investir.
Un premier groupe de travail s’est penché sur le concept de « business angels », typiquement anglo-saxon et déjà mis en œuvre en France par quelques associations, fédérées par France Angels. »
« Cette dernière association, dont nous faisons naturellement partie, nous a aidés à élaborer nos statuts et mettre au point nos modalités d’intervention. »
Entre « love money » et « capital risque »
Pour créer une entreprise, il suffit souvent d’un peu de love money, recueillie auprès de sa famille ou de ses amis (de l’ordre de 100 000 euros). Le « capital-risque » n’intervient que bien plus tard, à partir de quelques millions d’euros, pour le développement ambitieux d’entreprises déjà bien établies.
Entre les deux, il n’est guère que le business angel pour s’avérer capable de financer la phase de décollage et, de plus, d’aider l’entrepreneur. Véritable coentrepreneur, le business angel, aux dires mêmes des entrepreneurs aidés, sait « comprendre le business et non seulement l’aspect financier ; apprécier humainement l’entrepreneur ; aider à prendre des décisions pertinentes, voire non conformes aux procédures dites correctes ; aider à recruter ; trouver les partenaires nécessaires pour accompagner la croissance de l’entreprise ; en bref jouer le rôle de coach, parce qu’il est « passé par là ».
« Aux trois écoles de départ (X, Mines et Ponts) sont rapidement venues se joindre les Télécoms, Sup-aéro, Sup-élec et quelques autres. Nous comptons même, à titre individuel, un énarque et deux anciens d’écoles de commerce, sur un total « d’anges » qui dépasse aujourd’hui la centaine. »
Une procédure en deux étapes
« La procédure de base actuelle est très simple et repose essentiellement sur des liaisons par Internet, explique François Cherruau. Quelques camarades ont accepté de jouer le rôle d’animateur et sont informés en temps réel des demandes formulées par des entrepreneurs.
Si l’un d’eux juge le sujet digne d’intérêt, il prend contact avec l’entrepreneur et lui fait remplir une fiche résumée en deux pages et un business plan qui en compte une dizaine. La fiche résumée est adressée pour information à tous les membres et le dossier complet aux quelques uns qui manifestent leur intérêt. Si l’intérêt se confirme, une réunion est alors organisée avec le demandeur et un adhérent volontaire prend la direction de l’opération. Ce dernier se charge de rédiger les documents contractuels nécessaires, dont le « pacte d’actionnaire » qui liera l’entrepreneur et les investisseurs. »
Un investissement personnel et personnalisé
L’association XMP-Business-Angels s’adresse aux ingénieurs diplômés de l’École polytechnique, de l’École des ponts, des Écoles des mines et d’autres grandes écoles qui disposent de ressources qu’ils sont prêts à faire fructifier en investissant dans l’économie. Ils souhaitent que cet investissement puisse être bonifié au sein d’une entreprise qu’ils connaîtront et qui bénéficiera de leur expérience. Il s’agit d’un investissement personnel direct, réalisé éventuellement en compagnie de co-investisseurs qui partagent leurs valeurs.
L’armée des anges
Ils en ont, en Angleterre
On compte en France dix fois moins de « business angels » qu’en Grande-Bretagne… et l’on y crée dix fois moins d’emplois dans les entreprises innovantes. Pourtant, « nous créons autant d’entreprises qu’eux, les Français sont innovants et le capital-risque dispose d’autant d’argent. Mais, il ne sait pas s’investir dans le développement des jeunes entreprises. »
Le nombre de business angels de l’association XMP-BA est rapidement passé d’une trentaine au départ à plus de cent l’été dernier, dont une quinzaine d’animateurs, « ce qui en fait vraisemblablement à ce jour la plus importante organisation française du genre », s’enorgueillit François Cherruau.
Une quarantaine d’entre eux ont investi dans une vingtaine d’entreprises (sur deux cent cinquante projets présentés), pour des sommes relativement modiques (22 000 euros par ange, en moyenne, avec un minimum de 3 000 euros), « ce qui montre bien que l’investissement en argent compte moins que l’investissement personnel en temps et en conseil. »
Pour tisser des liens plus concrets que ceux d’Internet, François Cherruau organise des réunions bimensuelles de présentation, par les entrepreneurs eux-mêmes, de certains projets jugés particulièrement attractifs dans un des grands amphithéâtres de nos Écoles : ces réunions sont ouvertes aux adhérents mais aussi, par voie de publicité dans les bulletins d’anciens, aux non-adhérents qui le souhaitent. Elles sont généralement précédées de conférences sur des thèmes intéressant les business angels.
« Apporter sa compétence, vivre la vie de l’entrepreneur sans en connaître les nuits agitées, voilà de quoi satisfaire ceux qui ont vécu la vie de l’entreprise et se sentent quelque peu en manque. Mais les jeunes sont aussi fortement intéressés et le quart des adhérents est âgé de moins de trente-cinq ans. »
Fier du chemin parcouru et admirant depuis sa fenêtre l’enfilade spectaculaire de la rue de Verneuil, François Cherruau est aux anges.