Le tour du monde des énergies : geysers solaires au Pakistan
Multan – de la sécurité énergétique à l’aval
14 avril - à Lahore, nous n’aurons pas le loisir de flâner dans les jardins de Shalimar construits sous le règne de Shah Jahan, empereur moghol dont nous retrouverons la trace à Agra (Inde).
Cela ne nous empêche pas d’apprécier le climat agréable de la capitale du Pendjab, dont l’accueil chaleureux des habitants se traduit en copieuses brochettes et myriades de plats épicés. À peine aurons-nous présenté notre voyage aux écoliers du très britannique Aitchison college (ne seraient l’air sec et la poussière de la route, on se croirait transportées à Giggleswick au milieu des prés du Yorkshire), que nous filons à Multan.
Multan : près de la ville des sanctuaires, Alexandre le Grand aurait été atteint par la flèche empoisonnée qui le mena au trépas ; c’est par la fin de son aventure de conquérant que notre périple commence. Multan, l’une des plus vieilles villes habitées au monde, est entourée d’une plaine fertile où agrumes et manguiers ombragent de longs champs, dorés plusieurs fois l’année. À quelques jours près, c’eut été d’agapes de mangues dont nous nous serions rassasiées – nous nous contenterons du spectacle d’une moisson manuelle, découvrant au printemps les gestes des faucheurs, glaneurs et faiseurs de gerbes chantés par George Sand.
Multan est stratégiquement située au centre du pays. Dans sa périphérie, à Mahmood Kot, la raffinerie la plus moderne de la région fut installée. Reliée à Karachi par un pipe de brut et à Lahore par une ligne dédiée aux produits raffinés, elle est gérée par la Pak Arab Refinery Company [Parco, propriété conjointe des gouvernements du Pakistan et d’Abu Dhabi].
Sa position géographique paraît saugrenue : pourquoi transporter le brut depuis les côtes pour le traiter ensuite à l’intérieur des terres ? C’est que, dans un contexte de tension avec le voisin indien, les usines concentrées dans la région côtière de Karachi sont des proies trop faciles aux armes à longue portée modernes.
Manifestation de partisans du Garde des Sceaux sur la route d’Islamabad à Peshawar, avril 2007.
La » Mid-Country Refinery » emploie 1 600 personnes dans une usine si propre et si bien entretenue qu’on la croirait tourner à vide. Inaugurée en septembre 2000 avec un mois d’avance sur l’échéance prévue, cette raffinerie est la plus récente et la plus grande du pays, capable de traiter 100 000 barils/jour grâce à un investissement de près de 900 M$. Dans cet océan de modernité, la nature se rappelle à nous – du haut des vapocraqueurs, on aperçoit l’Indus.
Des brûleurs à faible émission de NOx et SOx s’activent, une torche sans fumée et un système de contrôle en ligne des rejets environnementaux ont été installés. On y produit du GPL, de l’essence, du kérosène et des jet-fuels, du diesel et du fioul, en utilisant notamment des colonnes de distillation à pression atmosphérique et sous vide, des plateformes CCR, de quoi purifier naphta et diesels, des unités de traitement à l’amine pour désulfuriser les liquides, et des systèmes de concentration des gaz. Ayant appris qu’elle dispose d’un système de traitement des effluents des plus modernes, nous nous intéressons plus particulièrement à l’unité de traitement des eaux usées.
Ayant la chance d’être logées sur place, nous apprécions de discuter avec le responsable des unités de vie construites autour de la raffinerie. Nous rendons également visite aux élèves de l’école qui accueille les enfants de familles venues des quatre coins du pays travailler pour Parco. C’est l’occasion de présenter la France, et surtout quelques-uns des projets visités pendant notre voyage. Les capteurs solaires thermiques font l’objet de nombreuses questions auxquelles nous ne savons répondre : pourquoi n’en voit-on pas plus sur les toits pakistanais ?
Des chauffe-eau solaires pour appâter le chaland ?
Vue partielle des longs toits de l’usine Irfan près de Lahore, où pourraient être installés des capteurs solaires
C’est à Islamabad qu’un embryon de réponse nous est apporté. Total Parco Pakistan Ltd, joint venture de distribution de produits pétroliers au Pakistan entre Total et Parco, a décidé la mise en place d’un projet pilote intéressant : l’installation de geysers solaires sur le toit de certaines stations-service, afin de chauffer l’eau utilisée dans les postes de lavage de véhicules. Pour créer SunWash, l’entreprise s’est appuyée sur l’expertise de la GTZ1 qui s’est chargée d’aider les fabricants locaux à améliorer la qualité de leurs produits.
Le lavage à l’eau chaude est certes facturé à un tarif légèrement supérieur au lavage classique mais il lave » plus propre » et en un temps réduit. En outre, la consommation d’eau est significativement diminuée. Ce projet n’est pas une révolution technique, mais s’attache à changer les moeurs.
Les panneaux sont visibles de toute la station-service ; ils attirent l’oeil… et les questions des clients. SunWash est-il pour autant un succès commercial dans un pays où la sensibilisation à l’environnement est encore faible ? Difficile à dire, alors que la station n’est opérationnelle que depuis peu. Le gérant de la station bougonne et trouve l’affaire peu rentable ; l’entreprise, elle, y croit au point de vouloir répliquer l’installation sur d’autres sites, bien qu’elle eut préféré voir son partenaire conseil choisir une technologie moins onéreuse au risque d’être moins efficace2.
Du textile et de ses coûts de production
Cette visite en tête, nous aurons le plaisir de discuter avec les responsables techniques d’Irfan Textiles de l’intérêt d’installer des capteurs thermiques sur les toits de leur usine où sont fabriquées toutes sortes de vêtements de marques sport destinés à l’export. M. Irfan est sensible à l’idée d’utiliser l’énergie solaire pour diminuer sa facture énergétique (électrique et diesel). En 2005, il avait approché une équipe australienne qui se proposait d’installer quelques chauffe-eau solaires, mais aussi, et à notre étonnement sincère, une série de climatiseurs solaires. L’investissement avait alors été jugé trop élevé, mais l’intérêt est toujours là. Les besoins de la manufacture ? 1,05 MW d’électricité tirés du réseau et d’une unité de génération propre (gaz et diesel), mise en ligne pour compenser les irrégularités de tension et de puissance liées au manque de capacité électrique pakistanais ; 400 000 à 500 000 litres d’eau chaude par cycle de 8 heures.
Les responsables énergie de l’usine font déjà la chasse aux pertes énergétiques de l’entreprise. L’automatisation du contrôle des vitesses et du courant délivrés aux séchoirs et la mise en parallèle des réservoirs d’eau chaude ont permis d’économiser 20 % de leurs consommations énergétiques ; des campagnes de sensibilisation des employés (par voie d’affichage en particulier) ont été lancées ; le suivi des dépenses de chaque unité a été mis en place et des audits énergétiques menés : l’entreprise a suivi les recommandations du centre national de conservation de l’énergie, ENERCON3, et espère aller plus loin encore dans la réduction de ses coûts de production.
L’option renouvelable est ainsi étudiée, dans un contexte de coûts énergétiques nationaux croissants, avec un intérêt qu’accroîtrait assurément l’exemption des équipements en jeu de droits de douane, telle qu’en pourrait décider le gouvernement.
Le secrétariat du Premier ministre à Islamabad, où siège l’AEDB.
Promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique
La suspension de l’Assemblée nationale4 en 1999 a fait du gouvernement pakistanais l’acteur omnipotent de la définition et du lancement des politiques économiques nationales. Afin de réduire son exposition aux marchés pétroliers, il a pour stratégie de développer les ressources propres du pays : hydrauliques, éoliennes et charbonnières5.
C’est dans cette optique que l’Alternative Energy Development Board [AEDB] a été mis en place en 2003 avec pour ambition qu’en 2050, 10 % de l’électricité pakistanaise soit d’origine renouvelable (objectif intermédiaire de 5 % en 20306 ). La politique de développement des énergies renouvelables établie en 2006 vise la sécurité énergétique (diversification du mix énergétique), l’accélération du développement (notamment des zones rurales), l’équité sociale (hausse du faible niveau de consommation énergétique par habitant) et la protection de l’environnement (local et mondial).
Les gisements renouvelables exploitables sont importants : 300 MW de potentiel micro-hydraulique dans les régions montagneuses du Nord, insolation nationale comprise entre 4,7 et 6,1 kWh/m2 (moyenne journalière sur l’année), évaluation de la vitesse du vent autour de 7 m/s dans le corridor éolien de Gharo (région du Sind). Le gouvernement table sur une série d’incitations pour leur trouver exploitant : un » security package » rassurant pour l’investissement (notamment étranger), l’exemption de différents impôts, l’abaissement des taxes d’importation, et enfin l’établissement de l’AEDB comme guichet administratif unique pour les installations de moins de 50 MW. Couplé aux ambitions de la politique de conservation de l’énergie de 2006, voilà qui devrait attirer investissements et compétences pour un développement plus durable du pays. À moins que les remous institutionnels ne freinent toute velléité d’action.
D’Islamabad à Peshawar – digression touristique
Vendeur de l’Arms Bazaar, propriétaire d’une étonnante épée.
Dommage que l’ourdou nous soit illisible ! Les ralentissements causés ce week-end du 21 avril sur la route qui mène d’Islamabad à Peshawar par les attroupements d’hommes en blanc arborant tantôt le rouge, le vert ou le noir en attributs de tête de ceinture et de drapeau nous eussent été plus compréhensibles ! Le Garde des Sceaux pakistanais venait d’être » remercié » par le Président. Le hic, c’est qu’à moins d’un an des élections présidentielles, il ne l’a guère apprécié. Et ses partisans se sont chargés de le faire bruyamment savoir, réussissant à faire annuler la décision du chef d’État – qui devra plus tard trancher l’épineuse question du cumul possible de son statut de chef des armées avec celui de président de sa république islamique.
À mesure que nous approchons les zones tribales7 qui longent la frontière afghane, nous croisons moins de femmes ; celles qui sont dans la rue portent plus souvent la burka que la dupatta des Lahories dont nous avions pensé que s’en couvrir les cheveux nous aiderait à être moins remarquées. Les couleurs turquoise et rouge coquettement choisies tranchent trop sur les rues poussiéreuses, le ciel gris et les tenues variant uniformément du blanc à l’ocre. Ceci dit, notre présence féminine n’eut pu que détonner dans le marché aux armes (Arms bazaar) de la vallée où l’on nous accueille dans la maison d’hôtes à copieuses platées de mouton rôti.
Pas moins d’ailleurs que celle de cette épée française, retrouvée clamant son XVIIIe siècle entre trois rangées de kalakovs et autres uzis faits main dans l’une des ruelles où différents artisans fabriquent munitions et armes les plus variées. On nous proposa d’en tester l’ergonomie – d’où l’utilité du » stage mili » sans lequel moucher la cible mise en place par nos hôtes eut été moins aisé !
À quelques kilomètres, la célèbre Passe de Khyber permet à de longues files de camions acheminant vivres et abris en Afghanistan de traverser l’Hindu Kush. Défilé reliant la Perse à l’Inde, elle a vu passer tous ceux qui se sont intéressés aux richesses du Gange et de l’Indus : Alexandre, Babur fondateur de l’empire Moghol, la Grande-Bretagne impérialiste… Montagnes sèches creusées de tunnels, elles sont contrôlées par les » Fusils de Khyber8 » qui ne recrutent qu’au sein de la tribu Afridi, et contribue aujourd’hui aux efforts antiterroristes du gouvernement pakistanais.
Dans cette région sensible, Islamabad est loin et les affiliations claniques structurent les relations commerciales et politiques. Mokhtar Khan est de ces caméléons qui vivent de frontières perméables, parlent six langues et se fondent en un rire dans toute société ; il nous fait l’honneur de nous introduire auprès de ses amis. Nous découvrons l’atmosphère joyeuse de ces soirées entre hommes où l’on discute poésie et aspirations démocratiques, écoute les chansons traditionnelles rythmées d’un trio orchestral assis en bout de salle, et danse au coeur du cercle formé par les dix convives, un verre de Bourbon à la main. C’est un tapis, diverses étoffes et un luth qui s’ajoutent à nos bagages : de quoi faire sensation à Delhi, si nous ne les avions laissés auprès de notre hôte à Lahore !
Passe de Khyber : vue sur Torkham point et la frontière afghano-pakistanaise
Car il faut déjà repartir – et vous proposer nos aventures indiennes dans un prochain article. À moins que vous ne souhaitiez en trouver un avant-goût sur le blog de : www.promethee-energie.org ! Remerciements : ces étonnantes rencontres n’eussent été possibles sans le soutien logistique apporté par l’équipe de Total Parco Ltd, que nous tenons à sincèrement remercier.
1. Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit GmbH, organisme de coopération technique allemand.
2. L’ensoleillement pakistanais est tel que sans effort d’équipement, l’eau d’une bassine posée sur un toit atteint rapidement des températures élevées.
3. Créé en 1987.
4. Rétablie dans ses fonctions le 10 octobre 2002 en conformité avec la décision prise en 2000 par la Cour suprême de justice. 5. L’un des cinq plus grands gisements de charbon au monde se trouve sous le désert du Thar, à l’Est du pays.
6. D’après l’organe régulateur du secteur électrique [NEPRA], le pays disposerait actuellement d’une capacité totale installée de 20 GW, alors que la demande s’élève à 23 GW – et va croissant. 50 GW seraient disponibles sous forme de gros barrages hydrauliques dans le Nord du pays (dont 6,5 utilisés à ce jour).
7. PATA : provincially administered tribal area.
8. Khyber Rifles Frontier Corps.