Capital investissement : questions posées et tentatives de réponse
En concentrant de plus en plus d’argent et de pouvoir, en suscitant des débats au Congrès américain et au Parlement britannique, le Private Equity soulève beaucoup de questions. En voici quelques-unes et des pistes pour y répondre.
Le Private Equity est-il une nouvelle forme de capitalisme ?
Le capitalisme a besoin d’un rouage essentiel qui permette à l’épargne de financer les entreprises et de leur trouver des propriétaires. Historiquement, sont apparues trois formes de capitalisme. Celui d’État illustré par les manufactures de Colbert et ses avatars modernes du secteur nationalisé. Celui des familles illustré par les trois cents ans du groupe Wendel et incarné aujourd’hui par les Bouygues, Arnault, Lagardère, Bolloré ou Pinault. Celui, enfin, du capitalisme des marchés financiers né au xixe siècle et qui représente toujours l’essentiel du circuit long de l’épargne vers les entreprises.
Avec le Private Equity, les grandes sources d’épargne au plan mondial, c’est-à-dire, les caisses de retraite, qu’on les appelle assurance-vie ou fonds de pension, ont privilégié un circuit court avec un seul intermédiaire : la société qui gère le Fonds d’investissement assure l’achat des entreprises, leur financement, la nomination des dirigeants, les décisions stratégiques et la liquidité du placement par la revente, le plus souvent en bloc, de l’entreprise.
C’est cette concentration de pouvoir qui assure le professionnalisme et l’efficacité de ce nouveau capitalisme.
Quels sont les atouts du Private Equity par rapport aux autres formes de capitalisme ?
Le premier est d’apporter à la fois du capital et de l’expertise. Dans le capitalisme financier, une longue chaîne de compétences s’efforce d’orienter au mieux l’épargne investie en actions et de gérer les pouvoirs associés : conseil en patrimoine, gérants de Sicav, analystes financiers, associations d’actionnaires, agences de notation, assemblées générales et conseils d’administration se partagent les rôles et se complètent pour choisir où et quand investir et exercer ce qu’on appelle une gouvernance efficace. Mais cet éclatement des compétences enlève la vue d’ensemble et rend plus difficile les analyses approfondies comme la prise de décisions stratégiques.
Le Private Equity a poussé au plus haut degré de professionnalisme l’expertise » avant achat « , ainsi que l’exercice du rôle d’actionnaire pleinement responsable, des orientations stratégiques et du contrôle de la gestion.
Beaucoup de grands groupes cotés ont pu vérifier que lorsqu’ils vendent certaines de leurs activités au Private Equity, l’acquéreur conduit des investigations préalables, due diligence, qui lui donnent in fine une meilleure connaissance que le vendeur des activités cédées ! Beaucoup de groupes familiaux qui, pour gérer une transmission progressive du capital se sont associés au Private Equity, ont pu constater l’efficacité de la gouvernance mise en place. Dans le capitalisme familial, seuls les groupes qui ont su professionnaliser la gouvernance survivent à la génération du fondateur.
Le second atout est de disposer d’un horizon de temps plus long que celui qu’imposent les marchés financiers. Le Private Equity investit après avoir arrêté une stratégie de développement à trois à cinq ans, dont la réalisation ne sera pas compromise par d’éventuelles fluctuations trimestrielles de résultats. Les gestionnaires de Private Equity ont eux-mêmes reçu de leurs » clients » épargnants un engagement à dix ans qui permet de mobiliser les capitaux nécessaires sur une longue période pour atteindre les objectifs de développement. Le capitalisme familial dispose aussi de cet atout avec plus de temps pour réaliser les projets mais souvent moins de capitaux pour les financer.
Le troisième atout est l’alignement fort d’intérêt entre les actionnaires et le management. Au prix d’une prise de risque patrimoniale personnelle élevée, les équipes dirigeant les sociétés appartenant au Private Equity peuvent, en cas de forte valorisation de leur entreprise, tirer de substantielles plus values. Et, fort heureusement, la pratique se répand d’élargir à l’ensemble des salariés cette offre attractive de devenir actionnaire de sa société. Le capitalisme financier est allé dans cette voie depuis longtemps par les stock options et les plans d’épargne d’entreprise investis en actions de l’entreprise, alors que cette pratique est plus rare dans le capitalisme familial. Mais le Private Equity l’a généralisée dans des proportions parfois telles qu’après deux ou trois transmissions en Private Equity, le management et les salariés peuvent prendre le plein contrôle de leur entreprise. Nul doute que la motivation qui en résulte contribue aux performances des entreprises détenues par le Private Equity. À noter un autre avantage lié à la prise de risque patrimonial, qui est logiquement un meilleur régime fiscal.
Le quatrième atout est l’optimisation financière quasi permanente, c’est-à-dire le choix des modes de financement qui soient les plus adaptés à la génération de cash de l’entreprise. Le Private Equity utilise le plus possible les ressources d’emprunt et en évitant d’immobiliser inutilement le capital. Ce fameux levier d’endettement suscite à son tour beaucoup de questions. Mais il contribue fortement à la sur performance.
Peut-on prouver quantitativement la sur performance du Private Equity ?
Toute preuve quantifiée nécessite en économie de longues séries de chiffres pour des résultats » statistiquement significatifs « . Le Private Equity collecte beaucoup de données, mais avec des séries disponibles beaucoup moins longues et moins complètes que celles fournies par les entreprises cotées.
Néanmoins, les quinze dernières années ont montré une surperformance de 5 à 10 % dans les rendements annuels du Private Equity par rapport aux placements boursier comparables. La meilleure démonstration en est fournie par les performances comparées publiées par les grands Fonds de pensions nord américains.
L’autre volet de la sur performance se mesure dans les entreprises détenues par le Private Equity. En France, l’AFIC1 a fait faire une étude détaillée sur un échantillon d’entreprises assez vaste, et donc probant, même s’il est difficile d’en démontrer la représentativité. Le résultat est que les entreprises détenues par le Private Equity ont une croissance plus rapide et créent plus d’emplois que les autres. Voilà en tout cas un champ de recherche fécond à proposer à de jeunes chercheurs en économie.
Le recours massif à l’endettement ne fait-il pas peser un risque insupportable aux entreprises détenues par le Private Equity ?
Il est important de rappeler à ce sujet que le Private Equity ne se résume pas au LBO. Tout le secteur du Venture Capital, capital-création, et capital-développement opère sans endettement. Pour le LBO, le recours aux financements bancaires est la règle. Mais la dette ne pèse pas directement sur les entreprises. Elle finance leur acquisition par une » société mère » et le droit, comme la pratique, protègent la société » fille » d’un prélèvement financier excessif au profit de la » mère « . En outre, une grande partie de ces dettes est un » prêt sur gage » qui n’est remboursable qu’au moment de la revente. Plus risquées et ayant des échéances à huit ou dix ans, ces dettes ressemblent beaucoup à des Fonds Propres, sauf qu’elles sont prioritaires par rapport au capital et rémunérées à des taux intermédiaires entre dette bancaire classique et rentabilité attendue des Fonds propres.
Porté par la très grande liquidité du marché, le Private Equity ne risque-t-il pas une crise grave en cas de « credit crunch » ?
Il est incontestable que le cercle vertueux des taux d’intérêts bas, d’une offre de dette abondante de la part des banques, d’une très bonne rentabilité de ces crédits à forte marge et à faible taux de défaut, a fortement contribué à gonfler les moyens à disposition du Private Equity… et les prix des entreprises achetées. La situation peut changer brutalement, comme en juillet dernier, empêchant la conclusion de certaines transactions et rendant le crédit plus cher. Pour autant, cette tension ne mettra pas en péril l’ensemble du marché : les transactions passées sont protégées par les contrats de crédit signés et une couverture du risque de taux. Les transactions futures seront moins faciles à financer. Mais, à condition de revoir les marges bancaires à la hausse et les taux d’endettement à la baisse, un nouvel équilibre entre offre et demande de crédit s’établira spontanément. Le prix à payer sera un peu moins » d’exubérance » dans les prix, ce qui défavorisera les vendeurs, mais pas les acheteurs. Donc un refroidissement, mais pas une crise.
Jusqu’où ira la » prise de part de marché » du Private Equity sur les autres capitalismes ?
Question difficile. Mais même si le Private Equity a de nombreux atouts, les trois autres capitalismes ont les leurs. Les frontières entre eux peuvent se déplacer, mais aucun ne disparaîtra. Les grands manipulateurs des vases communicants sont les grandes caisses de retraite de par le monde, surtout celles d’Amérique et d’Europe du Nord. Ce sont elles qui décideront quelle part de l’épargne qu’elles gèrent doit aller vers le Private Equity ou vers les marchés actions traditionnels.
Elles sont passées en moyenne de 5 % il y a dix ans à près de 10 %, voire même 15 %, aujourd’hui. Le jour où elles feront plus confiance aux placements boursiers qu’aux mega transactions de KKR ou Blackstone, le Private Equity plafonnera à son niveau d’équilibre.
Même si le tâtonnement autour de cet équilibre se fait au prix de certaines désillusions, sous-performance ou même échecs retentissants, les atouts du Private Equity lui promettent un avenir très porteur. Aussi porteur que celui qui attend les entrepreneurs, car rarement l’environnement économique mondial a été aussi favorable aux créateurs de richesse et aux gestionnaires de capital.
1. AFIC : Association Française des Investisseurs en Capital.