Les aspects juridiques d’une activité immobilière : l’aménagement
Cet article a pour objectif de présenter la vision d’un » non-juriste » confronté aux implications juridiques de son activité professionnelle et s’appuiera sur une expérience opérationnelle des projets d’aménagement, pris dans une acception large incluant à la fois le processus de changement d’usage du sol et la réalisation des constructions.
Un processus juridique permettant une transformation physique
L’action d’aménager est une phase de transformation d’un site, rendue juridiquement possible à la suite d’une ou plusieurs autorisations délivrées par la puissance publique. Le processus se traduit par un changement d’usage et de propriété, et implique trois acteurs : les propriétaires initiaux du terrain, l’opérateur qui réalise la transformation et la collectivité publique en charge du droit des sols.
Il appartient en droit à la collectivité publique de définir les principales règles de constructibilité telles que la densité et la nature des constructions, dans un document d’urbanisme à l’échelle communale, le plan local d’urbanisme (PLU).
Le cas de figure le plus simple est celui où la transformation à opérer sur le site est compatible avec les impositions du PLU ; l’acteur principal du processus est alors l’opérateur, qui doit trouver un accord financier avec les propriétaires du terrain, et déposer une demande de permis de construire conforme aux règles d’urbanisme en vigueur. Cette configuration est fréquente et concerne la majorité des constructions, et on parle alors plutôt d’opérations de construction ou de promotion immobilière que d’opérations d’aménagement.
L’intervention d’un aménageur se justifie pleinement lorsque le document d’urbanisme ne permet pas de réaliser le projet envisagé. Sur le plan des autorisations administratives, il faut alors procéder en deux temps, en modifiant d’abord les règles de constructibilité du PLU, ce qui permet ensuite d’obtenir des autorisations de construire.
C’est dans cette configuration que le processus d’aménagement prend toute sa dimension. Une fois les principaux objectifs définis par la collectivité publique, un travail itératif démarre entre les trois acteurs précédemment cités : entre la collectivité et l’opérateur d’une part, notamment pour préciser si la réalisation du projet nécessite des financements publics ou au contraire permet de contribuer à la réalisation d’équipements publics ; entre l’opérateur et les propriétaires, d’autre part pour trouver un accord conciliant les prétentions financières de ces derniers et les impératifs économiques du projet.
On peut considérer que, la plupart du temps, les acteurs du projet parviennent à des accords contractuels : signature d’une concession d’aménagement entre collectivité et opérateur, et de promesses de vente du foncier entre propriétaires et opérateur.
À la frontière du droit public et du droit privé, l’aménageur devra veiller à l’équilibre entre la puissance de la collectivité publique gardienne du respect du droit de l’urbanisme, et la propriété privée garantie par le Code civil. Il arrive, sur certains projets, que cet équilibre ne soit pas obtenu, lorsque la collectivité a recours à l’expropriation pour maîtriser le foncier. Dans ce cas où le droit de l’urbanisme l’emporte sur le droit de la propriété, l’opérateur d’aménagement est très souvent une structure dépendant de la puissance publique, par exemple un établissement public ou une société d’économie mixte.
Des implications juridiques très variées
La réalisation de l’opération d’aménagement va mettre en présence et parfois en concurrence différentes branches du droit privé et du droit public :
- le droit immobilier fait ainsi appel au droit de l’urbanisme, qui regroupe notamment les règles applicables aux différents documents d’urbanisme. Ces derniers se hiérarchisent de la façon suivante : à l’échelle de l’agglomération, il y a le schéma de cohérence territoriale (SCOT), qui a remplacé les anciens schémas directeurs comme le SDRIF pour l’Île-de-France, puis au niveau communal le plan local d’urbanisme (c’est-à-dire l’ancien POS), et qui trouvent enfin leur application à travers les permis de construire ;
- le droit de la construction est également pris en compte dans les projets d’aménagement, à travers les règles du Code civil : il peut s’agir par exemple des distances à respecter par rapport à la propriété voisine pour pouvoir créer des fenêtres, des balcons, ou encore du respect des vues ou de l’ensoleillement ;
- le travail sur le terrain d’emprise de l’opération d’aménagement fait intervenir le droit de la propriété, pour les actes d’acquisition du terrain, mais aussi le droit des tiers riverains ;
- le processus intègre aussi le droit des contrats, tout d’abord au niveau de la concession d’aménagement conclue entre la puissance publique et l’opérateur, et par la suite pour toutes les ventes d’immeubles réalisées par l’aménageur auprès de tiers acquéreurs (avec par exemple le cadre juridique spécifique de la vente en état futur d’achèvement) ;
- la fiscalité occupe enfin une part importante dans ce type de projet. Il peut s’agir des différentes taxes d’urbanisme, par exemple la redevance pour non-création d’aires de stationnement, destinée à financer les parcs publics de stationnement, mais également de la fiscalité des acquisitions et reventes de terrains ou, plus récemment, la TVA réduite pour favoriser la construction de logements dans les secteurs prioritaires ou défavorisés…
Une réglementation toujours plus complexe
Les branches du droit décrites précédemment sont censées être bien connues et » maîtrisées » par les différents intervenants du processus d’aménagement. En pratique, les acteurs (collectivité, services de l’État, opérateurs) ont du mal à retrouver leurs repères en cas d’évolution significative des textes, ce qui conduit à fragiliser sur le plan juridique les autorisations obtenues. À cela vient s’ajouter la complexité induite par d’autres réglementations. En effet, depuis une vingtaine d’années, la prise en compte de l’environnement dans le processus, à la fois par l’aménageur et la puissance publique, est indissociable des procédures liées au droit de l’urbanisme.
En premier lieu, tout projet d’aménagement doit pouvoir s’intégrer dans l’environnement existant, sans risque pour les futurs habitants. En amont, le choix de l’implantation d’un projet devra respecter les zones de risques naturels prévisibles, qui sont délimitées par la puissance publique. Il existe aujourd’hui des plans de prévention des risques (PPR) naturels (d’inondation, d’effondrement de carrières ou de glissement de terrain) ou technologiques (présence d’installations classées potentiellement incompatibles avec l’arrivée de nouvelles populations). Dans ces zones, des prescriptions particulières sont édictées pour éviter tout risque, allant jusqu’à l’inconstructibilité.
Dans un second temps, une série d’études doit être réalisée pour explorer l’impact d’une opération projetée sur son environnement. Ainsi, l’aménageur devra vérifier la qualité du sol avant la réalisation du projet et le cas échéant procéder à sa dépollution de sorte que le terrain soit compatible avec l’usage projeté. Il devra également justifier du respect des règles de protection d’un autre élément : l’eau. Les études préalables devront apporter la démonstration de la non-pollution des eaux présentes sur le site (nappe, rivière, ru…) par l’imperméabilisation des sols et les effluents rejetés. Dans les zones sujettes à des pluies torrentielles, l’aménageur devra par exemple démontrer que l’imperméabilisation de certaines surfaces n’aggrave pas le risque hydraulique.
On pourrait encore, au risque de donner l’image d’un parcours d’obstacles sans fin, parler des études sur la qualité de l’air, sur le trafic engendré par une opération, ou en cas de démolition ou de réhabilitation, de la protection contre la présence d’amiante ou de plomb. Il faut tout de même admettre que la tendance lourde est à l’augmentation des réglementations à prendre en compte.
L’incertitude juridique
La conséquence de cette complexité croissante ne serait qu’un délai de réalisation allongé si les procédures ou règles étaient claires et connues de tous les intervenants. En pratique, des aspects juridiques implicites ou cachés rendent parfois le pilotage d’un projet d’aménagement plus aléatoire.
On a assisté à l’émergence d’un nouveau principe, le principe de précaution, reconnu lors du sommet de la Terre réuni à Rio en 1992 et introduit en droit interne français par le législateur. En présence d’un risque suspecté, ce concept va trouver à s’appliquer ; ainsi, pour prévenir la survenance d’un dommage » incertain « , la puissance publique veillera à l’adoption de mesures adéquates, pouvant aller jusqu’à mettre fin au projet.
Le Palais de justice de Paris. |
Certains projets d’aménagement se trouvent ainsi remis en cause pour des raisons non objectives, si l’on se réfère au droit ou à la technique, mais qui trouvent leur explication dans l’application du principe de précaution, considéré dans beaucoup de cas comme le gage d’une prise de risque maîtrisée.
Dans certaines situations, néanmoins, cette prudence peut aller à l’encontre des enjeux de la société sur le plan environnemental. Par exemple, lors d’une reconversion de site industriel présentant une pollution de nature chimique, et en l’absence de normes claires, il arrive que les conclusions des études de dépollution ne suffisent pas à l’administration, qui demande alors des précautions supplémentaires, dont le surcoût conduit in fine à abandonner le projet. Appliqué de cette façon, le principe de précaution aura évité de mettre en risque de futurs habitants ; mais il ne faut pas oublier que la pollution reste de ce fait en place, et que l’option retenue n’a pas pris en compte son impact à long terme sur les riverains du site.
Pour illustrer la fragilité juridique d’une opération d’aménagement, on peut aussi parler des risques induits par des actes parfois très anciens. C’est le cas d’un projet réalisé sur un terrain préalablement urbanisé sous forme d’un lotissement ; même si l’opération respecte parfaitement le droit de l’urbanisme, les constructions peuvent s’avérer incompatibles avec le cahier des charges du lotissement initial (qui peut dater d’une centaine d’années dans certains quartiers) ; dès lors, un riverain propriétaire d’un bien construit dans le cadre de ce lotissement ancien pourrait demander la démolition d’une construction neuve non conforme. Ce risque est certes minime car, avec le temps et les mutations successives, de moins en moins de personnes connaissent l’historique du site, mais il est bien réel en droit.
Du moins l’était-il jusqu’en janvier de cette année où un décret permet de faire » disparaître » ces règlements anciens, sauf demande explicite des colotis. Cette dernière évolution montre d’ailleurs que le droit peut aussi être une matière vivante, qui découle d’expériences vécues, et faisant ainsi preuve de bon sens.
Pour finir sur une note pas trop pessimiste, on peut tout de même constater que, malgré la complexité décrite dans cet article et des délais souvent très longs, les projets arrivent à se concrétiser. La réalisation d’une opération d’aménagement est désormais étroitement liée au respect d’un parcours juridique subtil. On pourrait même parler de » meccano juridique « , avec des procédures emboîtées ou reliées les unes aux autres. De ce fait, la compétence juridique des intervenants devient un facteur déterminant de réussite d’un projet. Dans un contexte législatif et réglementaire qui évolue rapidement, toujours dans le sens d’une complexité croissante, les pratiques professionnelles peuvent devenir obsolètes en quelques années.
L’aménageur » non-juriste » est ainsi amené à se tenir informé en temps réel des changements, pour actualiser sa pratique. Il doit surtout bien connaître ses limites, et s’entourer de spécialistes compétents dans les différents domaines, afin de diminuer le risque juridique.