Diriger en période troublée, trouver les conseils pertinents
Quand l’horizon s’obscurcit, que les menaces se précisent et que les événements s’accélèrent, le dirigeant doit agir sans précipitation mais avec fermeté, sachant que ses marges de manoeuvre ultérieures seront des plus restreintes. Avant de prendre des décisions majeures, il peut consulter des personnes de confiance, à condition de ne déléguer aucune de ses responsabilités. En pratique, l’exercice s’avère souvent périlleux et les résultats peuvent être désastreux.
Diriger en période troublée, c’est d’abord adopter un mode de gouvernance radicalement différent du mode habituel : décider et agir rapidement en fonction des priorités et des circonstances, communiquer auprès du personnel et à l’extérieur pour assurer la cohérence des actions et renforcer la confiance.
REPÈRES
Qu’est-ce qu’une crise ?
(Médecine) : Changement en bien ou en mal qui survient dans le cours d’une maladie et s’annonce par quelques phénomènes particuliers.
(Figuré) : moment périlleux et décisif. Trouble dans le fonctionnement normal d’une industrie ou d’un régime politique.
Un pis-aller : le branle-bas de combat
Les entreprises confient souvent à un gestionnaire des risques la responsabilité d’évaluer les risques principaux, leur gravité et leur probabilité ; préparer les plans d’action pour y parer ; prévenir les risques par des mesures adaptées ; prévoir les dangers et leurs conséquences ; tirer le bilan des expériences. La gestion des risques à 5 milliards d’euros ou plus (banque victime de fraude massive, distributeurs de crédits subprimes, rehausseurs de crédit, agences de notation) montre que les systèmes en place sont impuissants face à l’aveuglement collectif lors de bulles spéculatives, dont chacun sait pourtant qu’elles éclatent tôt ou tard. Constituer une cellule de crise en pleine panique, interrompre toute communication pendant quelques jours, élever des barrages en catastrophe sont des solutions de dernière extrémité parfois lourdes de conséquences.
À proscrire : la mobilisation permanente
La descente aux enfers de groupes industriels prestigieux (Alcatel-Lucent, Thomson) prouve si nécessaire que les dirigeants bardés de certitudes et impatients de voir toutes leurs équipes rangées derrière eux en ordre de bataille courent à l’échec.
Pire encore, en faisant des périodes troublées une situation permanente, ils se condamnent à l’impuissance lorsqu’une véritable crise surgit.
Leur crédibilité est aussi faible que celle des consultants qui agitent en permanence la menace de risques de tout genre.
Même lorsque la conjoncture est favorable, la tentation est grande pour un dirigeant d’exercer une pression extrême sur ses équipes pour surclasser définitivement les concurrents. La chute n’en est que plus brutale.
Dans une économie en bouleversement permanent (internationalisation, concurrence accrue, mutations technologiques, contraintes écologiques ou sociales), certains considèrent que la lutte pour la survie est un impératif de tous les instants : c’est une erreur magistrale, car la sérénité est l’atout majeur de ceux qui réussissent.
La bonne réponse : se préparer
Le dirigeant qui décrète le branle-bas de combat ou la mobilisation permanente postule implicitement que les périodes troublées justifient des mesures restrictives : réduction des coûts et des effectifs, cession ou arrêt d’activités, repli sur soi dans l’attente de circonstances plus favorables. Or, comme l’indique la définition médicale de la crise, les périodes troublées peuvent apporter des changements en bien comme en mal.
Le gardien de but face au penalty
Des études très sérieuses montrent que la majorité des gardiens de but bondissent dans la direction où ils pensent que le ballon va partir, avant même que le joueur adverse ait tiré. Alors que la position optimale pour arrêter le penalty est au centre, jusqu’au départ du ballon.
Les gardiens de but le savent, mais la crainte de se voir reprocher un bond trop tardif leur fait choisir une action prématurée qui réduit la probabilité de succès.
Comme le gardien de but rationnel, le dirigeant doit se méfier de ses intuitions et de ses émotions, pour fonder ses décisions sur l’analyse des faits et des données d’expérience.
Malgré les restrictions de crédit actuelles, les cessions d’actifs vont bon train, prouvant que les entreprises prêtes à acquérir de nouvelles activités sont aussi nombreuses que celles qui en cèdent.
Se préparer, c’est d’abord concevoir une stratégie qui intègre les scénarios de crise : on ne change pas de stratégie en période troublée, on accélère la mise en œuvre de décisions préparées de longue date, et on vérifie que la stratégie résiste au choc.
On ne change pas le gardien de but au moment où un penalty va être tiré, il doit simplement mobiliser des ressources différentes, ce qu’il a appris à maîtriser lors de l’entraînement. Se préparer c’est aussi construire et maintenir en alerte un système de vigilance : vigilance tous azimuts pour détecter les signaux faibles, observation rapprochée des signaux forts en relation directe avec les enjeux clés de la stratégie.
Dès lors, toute crise est prévisible.
Enfin, se préparer c’est former tous les acteurs de l’entreprise à affronter les situations dans lesquelles ils peuvent jouer un rôle décisif, à exercer les responsabilités qui leur sont déléguées. Car si le dirigeant est bien le responsable ultime des catastrophes qui frappent son entreprise, il ne saurait les prévenir à lui tout seul.
La vraie question : comment investir ?
Quels que soient les efforts entrepris pour faire coïncider les intérêts de l’entreprise et ceux du dirigeant, par la rémunération ou par les stock-options, par les perspectives de développement ou par la menace de sanctions, la gestion en période troublée révèle au grand jour les divergences éventuelles. Et le dirigeant, entouré de sa garde rapprochée, n’est pas toujours le mieux placé pour évaluer les préparatifs utiles.
Savoir qu’on est prêt donne de l’assurance et stimule les initiatives
Préparer l’entreprise à affronter des périodes troublées est un investissement lourd, quoique les dépenses ne soient pas immobilisées. C’est aussi un investissement rentable, même si certains dispositifs ne sont jamais utilisés, les événements envisagés ne se produisant pas : savoir qu’on est prêt donne de l’assurance et stimule les initiatives.
Les principes à respecter sont ceux qui s’appliquent classiquement aux investissements : quels sont les flux de trésorerie selon que la décision est positive ou négative ? La différence entre les deux flux justifie-t-elle la décision ? Si la stratégie vise à se concentrer sur son coeur de métier par une série de cessions et d’acquisitions, la trésorerie permet-elle de faire face aux aléas, le bilan est-il favorable quelle que soit la conjoncture ? Si la stratégie consiste à recruter massivement pour maîtriser toute une chaîne de valeur, ou au contraire à réduire les effectifs pour externaliser au maximum les tâches annexes, l’entreprise résiste-t-elle aux coups de la concurrence et aux variations de la demande ? Si la notoriété de l’entreprise est un facteur-clé de son développement, les dispositifs de prévention des risques (risques industriels, risques de santé pour les consommateurs…) sont-ils efficaces, la communication de crise est-elle adaptée ?
L’entreprise n’a pas nécessairement les ressources nécessaires pour se préparer à toutes les éventualités. Dès lors, le dirigeant doit construire et mettre en oeuvre un plan d’investissement cohérent avec la perspective de voir se succéder des périodes troublées et des périodes de fonctionnement normal.