L’énergie mondiale face à la pénurie ou Colbert et les leçons du » peak wood »

Dossier : ÉnergieMagazine N°638 Octobre 2008
Par Jean BOSCHAT (86)
Par Philippe BIHOUIX

Aux limites des réserves fos­siles, sans alter­na­tive d’en­ver­gure suf­fi­sante, la pro­duc­tion mon­diale d’éner­gie fini­ra par entrer en décrois­sance. À moins d’une très hypo­thé­tique révo­lu­tion tech­no­lo­gique, il nous fau­dra faire face à une pénu­rie sans pré­cé­dent, qui inver­se­ra les ten­dances actuelles avec la réduc­tion des trans­ports, la relo­ca­li­sa­tion de l’é­co­no­mie, la réap­pa­ri­tion du réuti­li­sable et du répa­rable, et la fin de la culture de l’ob­so­les­cence programmée.

Depuis le démar­rage de l’ex­ploi­ta­tion indus­trielle du char­bon au XVIIIe siècle ou le pre­mier puits de pétrole de Penn­syl­va­nie en 1859, toutes les pro­duc­tions d’éner­gie fos­sile sont en crois­sance. Le choc pétro­lier des années soixante-dix n’a pas réduit, même tem­po­rai­re­ment, la consom­ma­tion de pétrole. Le nucléaire et l’hy­dro­élec­trique n’ont fait qu’ab­sor­ber une par­tie de la crois­sance de la demande. Le char­bon reste la deuxième source mon­diale d’éner­gie, et n’est pas réser­vé aux pays en déve­lop­pe­ment : la pro­duc­tion élec­trique et les indus­tries du monde déve­lop­pé en dépendent lar­ge­ment. À ce jour, la pro­duc­tion mon­diale d’éner­gies renou­ve­lables, hors hydro­élec­trique, reste négli­geable (moins de 1 %).

La consom­ma­tion annuelle mon­diale d’éner­gie pri­maire avoi­sine les 12 mil­liards de tep (tonnes équi­valent pétrole). Elle a été mul­ti­pliée par 5 depuis la Seconde Guerre mon­diale, sous le double effet de l’aug­men­ta­tion de la popu­la­tion (mul­ti­pliée par 2 dans les qua­rante der­nières années) et de la consom­ma­tion par per­sonne (mul­ti­pliée par 7 en moins d’un siècle).

Une demande en forte croissance

Récu­pé­rer plus qu’on investit
Il y a une limite phy­sique à l’aug­men­ta­tion méca­nique des réserves : il faut dans tous les cas récu­pé­rer plus d’éner­gie qu’on en inves­tit dans les opé­ra­tions d’ex­trac­tion. La pro­duc­tion off­shore consomme 10 à 15 % de son éner­gie pro­duite (15 barils consom­més pour 100 pro­duits). On monte à 25 %, voire 50 % (inves­tis sous forme de gaz) dans le cas des sables asphal­tiques de l’Al­ber­ta (Cana­da) : il faut consom­mer l’é­qui­valent d’un baril pour en extraire deux ! Cette contrainte incon­tour­nable ne per­met­tra pas d’ex­ploi­ter plus de 15 % (donc moins de 100 mil­liards de tep) de ces pétroles non conven­tion­nels. Sans comp­ter les contraintes de mise en pro­duc­tion. Seuls 7 à 9 mil­lions de barils par jour seraient pro­duits en 2030 par cette voie (6 à 8 % de la demande).

Les pré­vi­sions de crois­sance de la demande sont très fortes pour plu­sieurs rai­sons : les 12 mil­liards de tep de consom­ma­tion annuelle mon­diale (soit 1,8 tep par ter­rien) sont très inéga­le­ment répar­tis (8 tep aux États-Unis, 4 tep en Europe, 1,3 tep en Chine et 0,5 tep en Inde). Ali­gner la popu­la­tion mon­diale sur la moyenne euro­péenne de 4 tep condui­rait à tri­pler la demande mon­diale. La consom­ma­tion d’éner­gie pro­gresse de manière cor­ré­lée avec la crois­sance du PIB et chaque dol­lar de PIB sup­plé­men­taire aug­mente de 100 à 400 grammes d’é­qui­valent pétrole la demande mon­diale. De même, la mon­dia­li­sa­tion dope la crois­sance des échanges et accroît d’au­tant le besoin en pétrole. Si le besoin en mar­chan­dises trans­por­tées par per­sonne reste remar­qua­ble­ment stable dans les pays déve­lop­pés (autour de 70 kg par jour et par per­sonne), le nombre de kilo­mètres à par­cou­rir pro­gresse for­te­ment. L’ar­bi­trage entre coût du tra­vail et coût de l’éner­gie a été jus­qu’à pré­sent favo­rable aux délocalisations.

Les dif­fé­rents scé­na­rios de l’A­gence inter­na­tio­nale de l’éner­gie (AIE) tablent ain­si sur une demande annuelle de 15 à 17 mil­liards de tep à l’ho­ri­zon 2030, et envi­ron 20 mil­liards de tep à l’ho­ri­zon 2050.

Aux limites des réserves fossiles

La notion de réserve pour les éner­gies fos­siles est un sub­til mélange d’élé­ments tech­niques et éco­no­miques mais aus­si affaire d’ap­pré­cia­tion. Les réserves prou­vées sont celles » dont l’exis­tence est phy­si­que­ment prou­vée, et pro­duc­tibles de manière rai­son­na­ble­ment cer­taine, au niveau de tech­no­lo­gie actuel, au prix actuel « . Les réserves pro­bables et pos­sibles font appel à une dose d’ap­pré­cia­tion encore supérieure.

Com­ment aug­men­ter les réserves ? Pre­nons l’exemple du pétrole.

Décou­vrir de nou­veaux champs
Il reste de nou­velles réserves à décou­vrir (les géo­logues s’ac­cordent sou­vent sur envi­ron 150 mil­liards de tep). Mais l’off­shore trou­ve­ra bien­tôt ses limites, puisque au-delà de 3 000 m d’eau on quitte le pla­teau conti­nen­tal et ses dépôts sédi­men­taires. Et depuis la fin des années quatre-vingt, on découvre moins de pétrole qu’on n’en consomme (1 baril décou­vert pour 4 consom­més actuel­le­ment). La pro­duc­tion repose lar­ge­ment sur une soixan­taine de champs » super­géants » (plus de 700 mil­lions de tep), qui repré­sentent 40 % des réserves. 70 % à 80 % de la pro­duc­tion d’A­ra­bie Saou­dite, d’I­rak et du Koweït reposent sur 8 champs décou­verts avant 1970.

Les res­sources ultimes
La notion de » res­sources ultimes » per­met de s’af­fran­chir des quelques incer­ti­tudes liées au cal­cul des réserves prou­vées, pro­bables ou pos­sibles. Il y aurait envi­ron 4 200 mil­liards de tep (Gtep) de réserves ultimes, dont 3 000 Gtep de char­bon, 600 Gtep de pétrole/gaz conven­tion­nels et 600 Gtep de pétrole/gaz non conven­tion­nels. Lar­ge­ment de quoi embal­ler le cli­mat, mal­heu­reu­se­ment, puisque la consom­ma­tion de ces res­sources ultimes mon­te­rait la concen­tra­tion en CO2 à plus de 2 000 ppm (par­ties par mil­lion), soit 4 fois le niveau maxi­mal pré­co­ni­sé par le GIEC. Au taux de crois­sance actuel, soit 2 %, l’in­té­gra­li­té de ces res­sources ultimes serait consom­mée avant un siècle. On peut éloi­gner cette échéance en rédui­sant le taux de crois­sance (c’est ce qu’on fait pour se ras­su­rer en par­lant de réserves » en années de consom­ma­tion » comme si celle-ci était stable alors qu’elle n’a fait que croître par le pas­sé). On peut aus­si la rap­pro­cher en pre­nant en compte la limite extrac­tible au lieu des réserves ultimes (2 300 à 2 500 Gtep au lieu de 4 200).

Mieux récu­pé­rer
Le taux de récu­pé­ra­tion est actuel­le­ment d’en­vi­ron 35 %. Puits déviés, injec­tion d’eau ou de gaz, etc., devraient per­mettre de conti­nuer à gagner quelques points dans le futur, soit quelques dizaines de mil­liards de tep. Les pro­prié­tés phy­siques des roches-mères et des hydro­car­bures ne per­mettent pas d’en­vi­sa­ger beau­coup plus.

Aug­men­ter les prix
Les réserves sont ce qui est » pro­duc­tible au prix actuel « , donc toute élé­va­tion du prix aug­mente méca­ni­que­ment les réserves. On peut aller cher­cher du pétrole et du gaz plus loin à un coût plus éle­vé (off­shore pro­fond, huiles lourdes, sables asphal­tiques, schistes bitumineux).

Revoir les évaluations
On peut aus­si aug­men­ter » vir­tuel­le­ment » les réserves, en révi­sant le niveau d’ap­pré­cia­tion : c’est dif­fi­cile pour les com­pa­gnies pétro­lières cotées et assez sur­veillées, mais plus simple pour cer­tains pays pro­duc­teurs. Plu­sieurs pays majeurs de l’O­PEP ont ain­si fait un bond dans leurs réserves prou­vées (sans nou­velles décou­vertes) suite à la mise en place des quo­tas cal­cu­lés sur les réserves en 1985.

Pro­duire du pétrole de synthèse

Ali­gner la consom­ma­tion moyenne mon­diale sur l’Europe condui­rait à tri­pler la demande

N’at­ten­dons pas trop des pro­cé­dés » Coal to Liquid » et » Gas to Liquid » : pour pro­duire ce car­bu­rant de syn­thèse, 50 % du conte­nu éner­gé­tique d’o­ri­gine est per­du, et il s’a­git tou­jours de réserves fos­siles… En pra­tique, le phé­no­mène du » peak oil » inter­vient. Sché­ma­ti­que­ment, une fois la moi­tié des réserves sor­ties de terre, la pro­duc­tion va pas­ser par un maxi­mum puis décli­ner (plus ou moins vite, ce qui per­met d’ap­pe­ler le pic » pla­fond » ou » pla­teau »). Le pic est déjà là pour le pétrole (hier selon l’E­ner­gy Watch Group, 2010 selon l’AS­PO, avant 2020 selon Total) : 33 des 48 pays pro­duc­teurs y sont déjà pas­sés. Il inter­vien­dra dans quelques années pour le gaz, à peine quelques décen­nies pour le char­bon, selon l’u­sage que nous en ferons.

Vivre sans énergies fossiles ?

Confron­té à cette aug­men­ta­tion de la demande et aux réserves limi­tées d’éner­gie fos­sile, le réflexe natu­rel est de recher­cher des sources d’éner­gie alter­na­tives. Com­men­çons par le plus com­plexe, mais qui a sou­vent la faveur des médias quand il s’a­git des alter­na­tives dans les trans­ports : l’hydrogène.

L’hy­dro­gène
Sédui­sant sur le papier comme moyen de sto­ckage de l’éner­gie, notam­ment pour les sources inter­mit­tentes comme l’éo­lien et le solaire, son ren­de­ment laisse cepen­dant à dési­rer, sans comp­ter les pro­blèmes de déploie­ment d’un réseau de dis­tri­bu­tion et de stockage.

Au taux de crois­sance actuel l’intégralité des « res­sources ultimes » serait consom­mée avant un siècle

À titre d’ordre de gran­deur, la pro­duc­tion de 2 mil­liards de tep sous forme d’hy­dro­gène (soit envi­ron 600 mil­lions de tonnes) pour cou­vrir 80 % des besoins mon­diaux actuels de mobi­li­té néces­si­te­rait 30 000 TWh de pro­duc­tion élec­trique, soit une mul­ti­pli­ca­tion par 10 du parc nucléaire exis­tant. En France, il nous » suf­fi­rait » d’a­jou­ter 48 GW (34 EPR) pour nos 25 mil­lions de tep uti­li­sés dans les trans­ports ! Dif­fi­cile poli­ti­que­ment et indus­triel­le­ment. L’hy­dro­gène res­te­ra donc mar­gi­nal. Voyons main­te­nant les autres alter­na­tives aux éner­gies fos­siles : renou­ve­lables et nucléaire. Nous avons construit un scé­na­rio théo­rique, très extré­miste, pour voir si nous pour­rions » vivre sans les éner­gies fos­siles » avec nos habi­tudes actuelles. Sur quoi est-il construit ?

Les limites du nucléaire
Mul­ti­plier le parc nucléaire par 25 est dif­fi­ci­le­ment ima­gi­nable, pour au moins deux raisons :
• il fau­drait impé­ra­ti­ve­ment pas­ser à la géné­ra­tion IV (les sur­gé­né­ra­teurs uti­li­sant l’u­ra­nium 238 ou le tho­rium comme com­bus­tible), car les réserves d’u­ra­nium 235 sont de l’ordre du siècle au rythme actuel, et toute crois­sance du parc rédui­ra les réserves (le prix de l’u­ra­nium aug­mente d’ailleurs actuel­le­ment dans le sillage du pétrole). Celle-ci ne devrait pas être prête au déploie­ment indus­triel avant 2040 ;
• la capa­ci­té indus­trielle est limi­tée : il fau­dra déjà renou­ve­ler le parc vieillis­sant de la géné­ra­tion II dans les décen­nies qui viennent, avant de son­ger à l’aug­men­ta­tion de capa­ci­té ; 50 % d’aug­men­ta­tion de capa­ci­té à l’ho­ri­zon 2040 semble déjà très ambi­tieux, donc 2 500 % à l’é­chelle d’un siècle, par exemple, paraît irréaliste.

L’hy­dro­élec­trique
Envi­ron 700 mil­lions de tep (Mtep) sont pro­duits actuel­le­ment (pour les spé­cia­listes, nous avons pris un fac­teur de conver­sion des 3 000 TWh sem­blable au ther­mique et au nucléaire). Cette pro­duc­tion pour­rait encore presque dou­bler (au prix de quelques arbi­trages envi­ron­ne­men­taux douloureux).

Le solaire photovoltaïque
En mul­ti­pliant la pro­duc­tion actuelle par 200 (9 fois les pré­vi­sions de l’AlE à 2030, plu­sieurs cen­taines d’an­nées de pro­duc­tion au rythme actuel de fabri­ca­tion des pan­neaux pour four­nir les 20 mil­liards de mètres car­rés de pan­neaux), on atteint 450 Mtep. Dif­fi­cile mal­heu­reu­se­ment d’en faire autre chose qu’un appoint (sauf le solaire ther­mique en appli­ca­tion décentralisée).

L’éo­lien
Nous pou­vons pro­duire 2,3 mil­liards de tep (Gtep) en mul­ti­pliant la pro­duc­tion par 60, soit 7 fois les pré­vi­sions de l’AIE à 2030.

La géo­ther­mie
Les res­sources sont très loca­li­sées mais non négli­geables. Nous rete­nons 5 fois les pré­vi­sions de l’AIE à 2030 comme hypo­thèse de tra­vail, soit 230 Mtep.

Les bio­car­bu­rants
En y dédiant 10 % des terres arables (au prix d’ar­bi­trages dif­fi­ciles avec les besoins agri­coles ali­men­taires) on attein­drait 140 Mtep à rai­son d’une tep par hec­tare (en y dédiant l’in­té­gra­li­té des terres arables, on pro­dui­rait moins de 40 % du pétrole consom­mé actuellement).

La bio­masse
La mise en coupe réglée d’un quart des forêts mon­diales à usage éner­gé­tique uni­que­ment (arbi­trages dou­lou­reux en pers­pec­tive avec les zones pro­té­gées, le bois d’oeuvre et la pâte à papier) rap­por­te­rait envi­ron 3 Gtep. Tous ces efforts gigan­tesques, tant en déploie­ment indus­triel (a‑t-on réel­le­ment les res­sources en hommes et en métaux pour cela ?) qu’en arbi­trages envi­ron­ne­men­taux et socié­taux déli­cats, nous per­met­traient d’at­teindre » seule­ment » 7,5 Gtep, soit deux tiers de la consom­ma­tion actuelle.

Le nucléaire
Compte tenu de ce qui pré­cède, en pre­nant 20 Gtep comme consom­ma­tion future (hypo­thèse » réa­liste » de 8 mil­liards d’ha­bi­tants à » seule­ment » 2,5 tep/an), il nous fau­drait, pour com­plé­ter notre pro­duc­tion renou­ve­lable avec du nucléaire, pro­duire autour de 80 000 TWh (en y dédiant la moi­tié à la pro­duc­tion d’hy­dro­gène pour les usages de trans­port), donc mul­ti­plier le parc actuel par 25 ! Et les autres tech­no­lo­gies ? Là encore, on se heurte à l’ordre de gran­deur ou à la matu­ri­té technologique.

Les vagues
Outre le fait que les régions du monde inté­res­santes sont assez limi­tées, elle res­te­ra mar­gi­nale. Un sys­tème comme Pela­mis, déployé sur 1 000 km de côtes, pro­dui­rait… moins de 4 % de la pro­duc­tion élec­trique française.

Les cou­rants marins
Les hydro­liennes pré­sentent l’in­té­rêt d’être des sources moins inter­mit­tentes que les éoliennes… mais le bilan des opé­ra­tions (main­te­nance sous-marine, etc.) reste à démon­trer et le poten­tiel est limité.

Le prix de l’énergie va inexo­ra­ble­ment mon­ter pour ajus­ter la demande à l’offre contrainte

La fusion
La fusion ne pré­sente stric­te­ment aucun inté­rêt par rap­port à la fis­sion géné­ra­tion IV. Elle pro­duit aus­si des déchets, et tant que le tri­tium est pro­duit à par­tir du lithium, elle n’offre pas une source illi­mi­tée, mais com­pa­rable à la sur­gé­né­ra­tion (soit quelques mil­liers d’années).

Les nou­veaux biocarburants
Les bio­car­bu­rants de géné­ra­tion 2 (déchets verts) et 3 (algues) offrent l’in­té­rêt de ne pas être en com­pé­ti­tion avec la pro­duc­tion ali­men­taire. Mais on se heurte encore à des limites phy­siques : pro­duc­tion pri­maire nette (géné­ra­tion 2) ou com­pé­ti­tion dans l’u­sage des sur­faces (les algues doivent rece­voir les rayons du soleil pour croître).

Une décrois­sance inexorable
Lâchons le mot : à moyen terme, la pro­duc­tion mon­diale d’éner­gie va donc entrer en décrois­sance. La consom­ma­tion mon­diale devra s’y adap­ter. Nous ne par­lons pas néces­sai­re­ment de choc pétro­lier ou éner­gé­tique. Mais dans un méca­nisme de mar­ché, le prix va inexo­ra­ble­ment mon­ter pour ajus­ter la demande à l’offre contrainte. Nous aurons éga­le­ment des pro­blèmes liés à la pénu­rie pour les appli­ca­tions non éner­gé­tiques des res­sources fos­siles (maté­riaux, lubri­fiants, engrais…). À par­tir de ce constat simple, nous pou­vons dres­ser quelques consé­quences pro­bables pour les entre­prises, et d’a­bord les chan­ge­ments de para­digme que vivront sans doute les géné­ra­tions actuelles ou futures.

Relo­ca­li­ser
Le ren­ché­ris­se­ment de l’éner­gie aidant, les arbi­trages local-glo­bal fini­ront par s’in­ver­ser. Après la vague des délo­ca­li­sa­tions, nous devrions assis­ter à une relo­ca­li­sa­tion de l’é­co­no­mie, à une » réin­dus­tria­li­sa­tion « , les échanges dépen­dant for­te­ment du pétrole.

Sto­cker et moins transporter
Une recon­fi­gu­ra­tion com­plète de la chaîne logis­tique s’im­po­se­ra dans de nom­breux sec­teurs : le juste à temps est très consom­ma­teur d’éner­gie (c’est du stock sur la route ou dans les airs) et l’ar­bi­trage devrait rede­ve­nir favo­rable à des sché­mas de sto­ckage plus per­ti­nents pour des modes de trans­port moins éner­gi­vores, mais plus contrai­gnants (bateau, train).

Répa­rer et réutiliser
La réap­pa­ri­tion du réuti­li­sable et du répa­rable se fera au détri­ment du jetable : retour des consignes pour les bois­sons, modu­la­ri­té dans la concep­tion des objets, etc. Le jetable est très (trop) consom­ma­teur d’éner­gie et de matières pre­mières pour tenir face à une ten­sion énergétique.

Col­bert et le » peak wood » du XVIIe siècle
Un seul moment dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té est com­pa­rable à ce qui s’an­nonce. À par­tir du milieu du XVIIe siècle se pro­file une crise éner­gé­tique grave en Europe occi­den­tale, notam­ment en Angle­terre et en France. La source d’éner­gie prin­ci­pale est le bois, la défo­res­ta­tion pour l’a­gri­cul­ture et la sur­ex­ploi­ta­tion le rendent de plus en plus rare et cher.
Les forêts du Nou­veau Monde sont à por­tée de main, mais construire des bateaux en bois pour aller cher­cher du bois n’est pas phy­si­que­ment ren­table (il fau­drait mettre plus d’une uni­té pour récu­pé­rer une uni­té… comme pour une par­tie du pétrole non conventionnel !).
Le » peak wood » est là ! L’Eu­rope s’en sor­ti­ra grâce à la mise en place de régle­men­ta­tions fortes (res­tric­tions éta­tiques, plans de ges­tion) et une double révo­lu­tion tech­no­lo­gique. En France, Col­bert éta­blit en 1669 l’or­don­nance rela­tive à la créa­tion et à l’en­tre­tien des bois et forêts. Il replante mas­si­ve­ment pour pré­pa­rer l’a­ve­nir (en tant qu’an­cien ministre de la Marine, il sait qu’il faut 3 000 chênes cen­te­naires pour construire un bateau de guerre). Nous lui devons une bonne par­tie de nos forêts.
La double révo­lu­tion tech­no­lo­gique vien­dra d’An­gle­terre. Vers 1700–1710, Tho­mas Save­ry invente la pompe à vapeur, Tho­mas New­co­men la machine à vapeur. La com­bi­nai­son des deux per­met­tra l’ex­ploi­ta­tion des mines de char­bon sou­ter­raines, en pom­pant les nappes phréa­tiques. La révo­lu­tion indus­trielle pou­vait démarrer.

Faire durer et conserver
On devrait voir la fin de la culture de l’ob­so­les­cence pro­gram­mée, qui nous fait consom­mer tou­jours plus et rem­pla­cer nos pro­duits de consom­ma­tion cou­rante (pro­duits bruns, télé­pho­nie, infor­ma­tique, etc.) à un rythme jamais atteint auparavant.

Ceux qui se pré­pa­re­ront à temps à ces chan­ge­ments, en termes d’in­no­va­tion pro­duits et ser­vices, de réflexion sur la concep­tion, la fabri­ca­tion, la dis­tri­bu­tion et la fin de vie de leurs pro­duits, de posi­tion­ne­ment mar­ke­ting, de ges­tion du risque, seront les gagnants de cette muta­tion éner­gé­tique mon­diale. Bien enten­du tous les sec­teurs ne seront pas logés à la même enseigne, entre la capa­ci­té plus ou moins grande à sor­tir de » l’o­léo­dé­pen­dance » et la per­cep­tion, par des clients ten­dus sous ambiance infla­tion­niste, de l’u­ti­li­té réelle des biens et ser­vices ren­dus. Mais c’est d’a­bord la capa­ci­té à regar­der la réa­li­té en face et l’an­ti­ci­pa­tion qui feront les gagnants et les per­dants de demain.

Faut-il conti­nuer sur notre lan­cée en atten­dant un impro­bable suc­ces­seur de Col­bert et une hypo­thé­tique révo­lu­tion tech­no­lo­gique ? Il paraît plus réa­liste d’in­té­grer d’ores et déjà dans nos com­por­te­ments, mais aus­si dans l’é­vo­lu­tion de l’é­co­no­mie et des entre­prises, la néces­saire baisse de la consom­ma­tion d’éner­gie et les consé­quences pour les entre­prises aus­si bien en termes d’offre et de modèle éco­no­mique qu’en termes de choix opérationnels.

12 Commentaires

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Claude THIEBAUTrépondre
3 octobre 2010 à 15 h 49 min

Audi­teur
« À moins d’une très hypo­thé­tique révo­lu­tion technologique »

Cette hypo­thé­tique révo­lu­tion est déjà sur les rails.Les nou­velles machines arri­ve­ront sur le mar­ché avant la fin de cette décennie. 

Donc pas de panique, la pénu­rie d’éner­gie est impossible.

Tho­masrépondre
7 août 2013 à 13 h 51 min
– En réponse à: Claude THIEBAUT

Mon­sieur Thie­baut, vous avez
Mon­sieur Thie­baut, vous avez l’air très bien infor­mé. Dites-nous en un peu plus ! C’est frustrant.

Sébas­tien Marrecrépondre
9 août 2013 à 0 h 09 min
– En réponse à: Claude THIEBAUT

Ah oui, et quel genre de
Ah oui, et quel genre de machines ? Votre réponse n’est qu’une esquisse bien mystérieuse…

Jean-Paul Boel­dieu répondre
8 août 2016 à 12 h 12 min
– En réponse à: Claude THIEBAUT

Défai­tisme mili­taire
Je sous­cris à ce com­men­taire réa­liste. Le mal­thu­sia­nisme éner­gé­tique ne sied pas à des ingé­nieurs. Leur capa­ci­té d’in­ven­tion est limi­tée par les tech­no­crates qui ont peur du risque et pilotent les politiques.
Pour les hydro­car­bures, deux remarques :
Les réserves prou­vées sont celles dont la pro­duc­tion est effec­tive ou finan­cée. Sinon, il s’a­git de res­sources, qui ne sont jamais comp­ta­bi­li­sées pour une rai­son finan­cière. Elles ne peuvent per­mettre les emprunts du fait que les com­pa­gnies pri­vée et publiques ne financent pas les mises en production.
La doxa sur le rôle cli­ma­tique du CO 2 ne tient pas scien­ti­fi­que­ment. Le seul gaz à effet de serre effec­tif est la vapeur d’eau.

Bas­tienrépondre
7 août 2013 à 15 h 01 min

Hum pas si sûr…

« la pro­duc­tion mon­diale d’éner­gies renou­ve­lables, hors hydro­élec­trique, reste négli­geable (moins de 1 %). »… bizarre, j’a­vais pour­tant le sou­ve­nir que l’éner­gie bio­masse (prin­ci­pa­le­ment du bois) repré­sen­tait encore 10% de l’éner­gie mon­diale, sur­tout dans les pays en déve­lop­pe­ment.. Aurais-je tort ? Dif­fi­cile d’al­ler plus loin si dès le 1er para­graphe je trouve une erreur.

Patrickrépondre
17 août 2013 à 3 h 48 min

Bon­jou­rEx­cellent article, je

Bon­jour Excellent article, je ne savais pas pour le peak wood et Col­bert. On apprend tous les jours 🙂 Par contre au niveau des uni­tés c’est une véri­table soupe inuti­li­sable pour le com­mun des mor­tels : Mtep, tep par hec­tare, GTep, TWh, com­ment vou­lez-vous qu’on s’y retrouve ? Il fau­drait vrai­ment trou­ver un moyen de rendre ces uni­tés éner­gé­tiques com­pré­hen­sibles pour tout le monde. Per­son­nel­le­ment j’u­ti­lise le kWh pour l’éner­gie et le kWh/jour pour la puis­sance, habi­tude que j’ai prise suite à la lec­ture de l’ex­cellent ouvrage de David mcKay (http://www.jklm.cc/0/798765235.php?pdf=ac228182). Je ne sais pas si c’est plus effi­cace, en tout cas pour moi tout est deve­nu plus clair !

Dani­lo B. répondre
7 août 2016 à 14 h 31 min

Ener­gie
Excellent papier ! Quand vous men­tion­nez la hausse du prix qui s’a­dapte à la débande par report à l’offre, j’a­jou­te­rais que la dette et l’ap­pro­pria­tion des res­sources par la force (comme en Irak) évite une hausse des prix… 

19550180répondre
7 août 2016 à 16 h 49 min

Pénu­rie

Comme d’ha­bi­tude vous oubliez le poten­tiel du nucléalre. Vous le reje­tez d’un revers de main avec quelques bana­li­tés. Je vous ren­voie à l’article :
http://sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/etudes/Motivation‑s
La tech­no­lo­gie existe (En Rus­sie, en Inde et en cours, en Chine) La France était pas­sé à 75% de nucléaire en 15 ans. Tout les grands pays indus­triels peuvent le faire, c’est une ques­tion de volonté. 

Her­vé Nifenecker

Laurent Rou­chai­rolesrépondre
7 août 2016 à 17 h 20 min

290 ppm CO2
Bon­jour, sans remettre en cause ce que vous dites, il y a un autre point qui doit être pris en compte. La paléo­cli­ma­to­lo­gie nous dit qu’à par­tir de 290 ppm de CO2 nous avons 0.5°c et 5 mètres de niveau d’eau en plus, concrè­te­ment cela veut dire que si nous vou­lons limi­ter le niveau des océans à 5 mètres, il faut reve­nir à 290ppm dans les plus brefs délais… soit le niveau des années 1870 envi­ron… donc réab­sor­ber tout ce qui a été émis depuis (et plus)… A méditer !

David Brépondre
7 août 2016 à 21 h 27 min

Th.
Les pays coopé­rant effi­ca­ce­ment sur des pro­jets de réac­teurs au Tho­rium sor­ti­ront en tête des ralen­tis­se­ments à venir, et ce tant que la fusion ne sera pas maî­tri­sée commercialement.

On ne remer­cie­ra jamais assez les forces armées du monde entier pour avoir foca­li­sé les bud­gets de recherche sur la fis­sion sale d’i­so­topes raris­simes qui était pro­met­teuse de plu­to­nium comme déchet (et toutes les joyeu­se­tés que l’on peut en tirer) au détri­ment d’une fis­sion sans dan­ger d’un élé­ment abondant.

Patrick Hubertrépondre
9 août 2016 à 13 h 13 min

Solaire
En ali­men­tant des voi­tures élec­trique avec du solaire, on évite toutes sortes de pertes de ren­de­ment, et l’é­qui­va­lence de 450M tep avan­cée pour le solaire devient plu­tôt 1Md tep, voire 2Md tep si on parle du puits à la roue…

D’ac­cord avec les auteurs que l’ef­fi­ca­ci­té, la sobrié­té et la fru­ga­li­té doivent être les objec­tifs prioritaires.

Concer­nant le pho­to­vol­taïque, tou­te­fois, la capa­ci­té annuelle ins­tal­lée en 2015 a été de 50GW (http://www.solarpowereurope.org/insights/new-global-market-outlook-2016/), soit 50millions de kW. Si on compte 10m² par kW (en fait plu­tôt 7 et bien­tôt 5), cela repré­sente déjà 500 mil­lions de m². Pour 20 mil­liards, il fau­drait donc comp­ter 40 ans au rythme actuel, et pas « plu­sieurs cen­taines d’an­nées ». De plus, 1°) la capa­ci­té de pro­duc­tion de modules solaires conti­nue d’aug­men­ter chaque année, et 2°) une fois ins­tal­lée, cette capa­ci­té pro­dui­ra pour plu­sieurs dizaines d’an­nées. Ce ne sont donc pas 450M tep que le solaire PV génè­re­ra en 2030, mais pro­ba­ble­ment bien plus.

On ne peut donc cer­tai­ne­ment pas balayer d’un revers de main le pho­to­vol­taïque comme contri­bu­teur majeur au bou­quet éner­gé­tique des décen­nies à venir. 

Mathieurépondre
10 août 2016 à 10 h 37 min

Excellent papier, tou­te­fois
Excellent papier, tou­te­fois un peu bru­tal pour les ana­lyses et les diag­nos­tiques. Quoi­qu’il en soit nous sommes à l’aube d’un boul­ver­se­ment éco­no­mique qui entrai­ne­ra un boul­ver­se­ment poli­tique et leurs consé­quences sur nos modes de vie. On peut craindre, comme cer­tains l’an­nonce, que les insta­bi­li­tés engen­drées se tra­duisent par des guerres .….… 

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