Six signaux d’alerte
Les indicateurs financiers reflètent les difficultés traversées par une entreprise mais sont insuffisants pour les prévoir. Nous avons pu identifier six signaux d’alerte permettant d’anticiper les périodes de crise et donc de mener à temps les actions de redressement utiles.
Si tant d’entreprises peinent à réagir en période troublée, c’est qu’elles n’ont pas su interpréter les signes avant-coureurs d’une dégradation de leur environnement comme de leur propre fonctionnement. Pour les investisseurs, six indicateurs non financiers ont une importance clé.
Attention aux modes !
L’enthousiasme débordant (déraisonné ?) pour un secteur de l’économie est lourd de dangers. Par exemple, à la fin des années quatre-vingt-dix, les perspectives dans les télécoms et l’Internet paraissaient illimitées, et les investisseurs ont placé leur argent dans des sociétés aux perspectives réelles de bénéfices et de croissance irréalistes, oubliant dans l’euphorie tous les facteurs de risque. Plus récemment l’immobilier, États-Unis en tête, a fait l’objet d’une spéculation effrénée qui affecte aujourd’hui notamment le secteur financier (crise des subprimes) et le secteur de la construction.
Le secteur est en difficulté
Un certain nombre de secteurs sont réputés comme sinistrés. Aujourd’hui, ce sont, par exemple, les compagnies aériennes pour lesquelles, aux États-Unis en particulier, la surcapacité, la concurrence étrangère, l’envolée des prix du pétrole, ainsi que la pression des syndicats contribuent fortement à assombrir la situation.
Les investisseurs doivent se demander pourquoi une société dans un tel secteur n’est pas en difficulté, et si la société a les moyens de se maintenir à l’écart des problèmes du secteur.
Il faut commencer à se poser de sérieuses questions s’il n’y a pas a priori de raisons solides pour qu’elle continue à profiter d’avantages par rapport à ses pairs.
À l’opposé, les secteurs à la mode peuvent susciter la même prudence.
L’entreprise enregistre de moins bonnes performances que ses pairs
La réputation d’une entreprise dans son secteur d’activité (c’est-à-dire auprès de ses clients, fournisseurs et concurrents) est souvent un bon indicateur de sa santé. Les informations ou rumeurs concernant des délais de livraison dépassés, des problèmes de qualité, des clients mécontents méritent de sérieuses investigations.
Dès qu’il y a la moindre indication que l’entreprise a des problèmes de performance, il devient utile de la comparer avec ses pairs du secteur, et de comprendre s’il s’agit ou non d’un » sous performer » dont les ventes et les profits risquent de diminuer durablement.
La direction générale n’est pas très présente sur le terrain
L’absence de la direction générale sur le terrain est révélatrice d’un malaise et lourde de conséquences : manque d’attention aux détails, employés et clients moins écoutés, vulnérabilité aux problèmes, difficulté à les reconnaître et, souvent, incapacité à y réagir à temps.
Les dirigeants changent souvent
Les dirigeants peuvent quitter leur entreprise pour des raisons parfaitement légitimes. En revanche, des départs répétés peuvent être le signe annonciateur, pour le moins de remous, au pire d’une véritable crise. Il faut examiner de très près les raisons liées aux départs des cadres dirigeants. En particulier si plusieurs dirigeants sont partis (ou ont annoncé leur départ) et si ceux qui les remplacent sont d’un calibre moindre.
Les restructurations se succèdent
Aujourd’hui, une restructuration est souvent considérée par les marchés comme un développement positif pour l’entreprise. Mais des restructurations qui se succèdent peuvent signifier aussi que le management ne veut pas, ou ne peut pas, imprimer les changements radicaux qui sont nécessaires pour stabiliser la situation de l’entreprise.
Ces restructurations successives coûtent très cher à l’entreprise : non seulement financièrement, mais aussi sur un plan organisationnel et managérial.
Une politique d’acquisitions fait suite à une période de croissance organique
Une acquisition, même si elle paraît » naturelle » sur le papier, est toujours difficile à mettre en oeuvre. Dans tous les cas, lorsqu’une entreprise finance une acquisition par des emprunts, elle augmente ses risques et diminue sa flexibilité. Si le secteur subit une crise, l’entreprise peut se retrouver dans l’impossibilité d’honorer ses engagements financiers en dépit d’une activité toujours florissante.
Une société qui se lance soudain dans une stratégie d’acquisitions après une période continue de croissance organique émet un signal fort. Elle doit être analysée non seulement sous l’angle des cash-flows générés, mais aussi sur sa capacité à honorer ses obligations financières accrues.
Mener des analyses poussées et dialoguer avec les dirigeants
Nicolas Beaugrand (94) |
Claude Dampierre |
Premièrement, analyser de plus près les indicateurs financiers : courbes de ventes, évolution des parts de marché, des cash-flows, de la rentabilité, marge dont l’entreprise dispose encore vis-à-vis de ses engagements financiers contractuels (ses covenants) – est-elle en baisse ? et si nécessaire détail des flux de trésorerie. L’essentiel est d’analyser l’entreprise sous les angles les plus divers : les premiers signaux annonciateurs d’une crise ne sont pas fournis par des indicateurs strictement financiers. Puis, pousser l’analyse en creusant les questions auprès des dirigeants mais aussi de tout autre interlocuteur clé susceptible de fournir l’information.
Il faut, par exemple, se demander ce que fait la société pour attirer et garder des dirigeants clefs motivés. Les entreprises motivent et récompensent souvent les responsables en fonction de l’évolution du compte de résultat ou de la performance de l’action. Les sociétés qui intègrent spécifiquement les besoins en fonds de roulement et la génération de trésorerie ont moins de chance d’être surprises par des problèmes.
Dans l’environnement actuel, très fluctuant, très technique et hautement concurrentiel, les investisseurs en capital et les créanciers doivent en permanence analyser tous les indicateurs de la santé de l’entreprise disponibles pour ne pas risquer de perdre tout ou partie de leur investissement.Il faut analyser les indicateurs non financiers autant que les chiffres, car trop de temps sépare généralement l’apparition des sources de difficultés de leur traduction dans les comptes. Identifier les signaux d’alerte à l’avance permet de poser les bonnes questions et de décortiquer à fond les indicateurs financiers.
Du point de vue du professionnel du retournement, plus un problème est décelé tôt, plus les mesures de correction sont entreprises tôt, et plus on dispose de flexibilité et de marge pour résoudre les problèmes et limiter la casse.