Aides à l’emploi… ou aides au chômage ? Une autre exception française
Parmi les pays à l’économie développée, la France est l’un de ceux où le chômage est le plus élevé – et aussi un de ceux où les aides publiques à l’emploi sont les plus nombreuses et les plus coûteuses. Coïncidence malheureuse ou relation de cause à effet ?
Ne serait-ce pas que notre pays, depuis qu’il est touché par cette grande souffrance sociale qu’est le chômage, a régulièrement choisi les calmants au lieu des remèdes ? Et que ces calmants finissent par aggraver la maladie ?
Les aides à l’emploi sont nombreuses
Rien que pour les aides à l’embauche, l’UIMM en dénombrait déjà 22 types en 1996. Pour les curieux, en voici la liste instructive :
- contrat d’orientation,
- contrat de qualification,
- contrat d’adaptation,
- contrat d’apprentissage,
- stage d’accès à l’entreprise,
- convention industrielle de formation par la recherche,
- aide au remplacement de salariés en formation,
- aide à l’embauche du premier salarié,
- aide à l’embauche du deuxième ou troisième salarié,
- abattement de cotisation pour les emplois à temps partiel,
- contrat initiative emploi,
- aide au premier emploi des jeunes,
- aide à l’embauche de salariés en convention de conversion,
- convention de coopération,
- conseil à l’embauche dans les PME-PMI,
- aide à l’embauche de chercheurs,
- convention de recherche pour les techniciens supérieurs,
- aide au recrutement des cadres,
- contrat pour la mixité des emplois,
- abattement de cotisations pour les emplois nouveaux à l’étranger,
- prime d’aménagement du territoire,
- prime régionale à l’emploi.
Inventaire étonnant à la fois par son architecture (qui en perçoit la logique ? a‑t-elle une autre structure que celle des dépôts sédimentaires des ministères successifs ?) et dans ses détails (pourquoi finance-t-on la mixité ? pourquoi seulement en faveur des femmes ? quel conseil à l’embauche donne-t-on aux PME ?).
Comme chacun le sait, cette liste est en train d’être complétée par le gouvernement1.
On assiste à l’apparition de nouvelles variétés non seulement d’aides mais même d’activités (qui constituent d’ailleurs souvent des occupations plus que des emplois). Mais il n’y a pas que des aides à l’embauche ou à « l’insertion« 2. Il existe aussi des aides à la baisse du coût du travail (exonération pour le passage au temps partiel, réduction des cotisations sociales pour les bas salaires, etc.) – qui sont des subventions au travail non qualifié (est-ce bien celui qu’on doit encourager ?).
Il existe des aides aux restructurations (préretraites et fonds national pour l’emploi) qui font financer par le contribuable des ajustements d’effectif parfois inéluctables, mais aussi parfois causés par des imprévoyances de gestion (par exemple, les pyramides des âges sans issue de certaines firmes ; pour d’autres, des masses salariales excessives).
Selon le ministère du Travail, il y avait 55 types d’aide à l’emploi. Il y a gros à parier qu’on en trouverait encore un peu plus en explorant tous les secteurs professionnels. Même le coût global pour le budget national varie largement de rapport en étude.
Les aides à l’emploi coûtent cher… et rapportent peu
Nous nous en tiendrons au plus récent, le « rapport Péricard » qui a conclu en 1996 les travaux de la commission parlementaire d’enquête sur les aides à l’emploi. Il évalue le total de ces aides à environ 150 milliards de francs par an en excluant les indemnités de chômage et les aides à la formation. À titre d’ordre de grandeur, on pourra doubler ce montant si l’on ajoute l’indemnisation du chômage3 – et le tripler si l’on prend aussi en compte les pertes de recettes (TVA, IR, cotisations sociales) subies par rapport à une situation de plein emploi.
Grosso modo, le coût de nos aides à l’emploi a doublé depuis 1992 : il atteignait alors « seulement » 80 Mds. Globalement, leur rendement ne peut être que très faible : la montée continue du chômage le prouve assez. Mais prises une par une, les diverses aides ont des coûts et des rendements très variables.
Chacun (ou presque) s’accorde à trouver utiles les contrats de qualification et les contrats d’apprentissage (on relève avec intérêt que ces derniers datent de 1971). Ensemble, ils ont coûté environ 7 Mds au contribuable en 1996. Environ 120 000 personnes en bénéficient pour la qualification et 320 000 pour l’apprentissage. C’est beaucoup moins qu’en Allemagne où le Chancelier Kohl se plaint pourtant qu’un tiers seulement des entreprises prennent des apprentis.
Dans les mesures peu coûteuses mais d’effet incertain (nul ne sait mesurer l’effet d’aubaine ni les distorsions de concurrence) on trouve les exonérations pour l’embauche du premier, du deuxième ou du troisième salarié : 150 000 bénéficiaires pour une charge budgétaire d’environ 3 Mds.
Et le reste est tout à fait décevant :
- les CES (contrats emploi solidarité) fournissent du personnel quasi gratuit au secteur public ou associatif – mais sans embauche à la sortie dans les trois quarts des cas. Il en coûte pourtant plus de 10 Mds par an rien que pour les CES qui peuvent se prolonger en CEC (contrats emploi consolidé) ;
- pour le secteur marchand, 12 Mds ont été budgétés en 1996 pour les CIE (contrat initiative emploi). L’évaluation du coût moyen d’un CIE pour le budget de l’État est discutée : de 100 000 à 170 000 francs par an, selon les sources. Il est clair cependant que le nombre d’emplois créés reste très décevant : environ 30 000 emplois net ;
- on a budgété en 1996 plus de 35 Mds d’exonérations diverses de cotisations sur les bas salaires – tout en continuant à augmenter le SMIC (voir l’article de Michel Gouix) ;
- les préretraites (et mesures assimilables) ont pour effet net de mettre à la charge de la collectivité les coûts considérables (plus de 15 Mds) d’une mesure totalement contraire à ses intérêts : réduire encore la base contributive alors que l’allongement de la durée de vie augmente mécaniquement chaque année le nombre de retraités par actif.
Ces mauvais rapports coût/performance sont connus de tous
Et d’abord, on l’imagine, des gouvernements qui ont sûrement lu le rapport Péricard. Son signataire, lui-même, trouve ces aides « inutiles, coûteuses et largement inefficaces ». Le rapporteur de la commission d’enquête dénonce leur poids (150 Mds représentent près de la moitié de l’impôt sur le revenu) et épingle les CES et les CIE pour leur inefficacité : « on a dépensé beaucoup d’argent pour simplement modifier l’ordre dans la file d’attente des candidats à l’emploi « . Mais, ajoute-t-il,« la commission ne souhaitait pas être une commission de la hache » et « son objectif premier n’a donc pas été de chercher à opérer des coupes claires dans la dépense publique pour l’emploi ». Le mot de la fin reste à Michel Péricard : ces aides « inutiles, coûteuses et largement inefficaces… qui oserait proposer leur suppression, même si nous y avons pensé ? »
Mais tout ceci, dira-t-on, concerne l’ancien gouvernement. C’est le passé. Un changement de majorité parlementaire donne l’occasion de remettre à plat les aides, d’en évaluer les résultats type par type sans besoin de ménager trop de susceptibilités. Justement l’inventaire en a été fait, le coût et l’efficacité des divers types d’aide évalués.
C’est le moment idéal pour laisser tomber les plus inefficaces. Pourtant, nous assistons plutôt à l’inverse : silence sur le rendement des mesures antérieures et ajout d’une nouvelle couche d’aides. Une nouvelle couche qui risque d’être particulièrement toxique pour l’économie – donc pour l’emploi – en alourdissant les dépenses publiques des salaires de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires temporaires auxiliaires (qui ne peuvent manquer de devenir à terme des fonctionnaires tout court). Que la charge en soit un jour laissée aux collectivités régionales n’y changerait rien.
Le qualificatif d’aide inefficace est un délicat euphémisme
Une aide « coûteuse et inefficace », pour reprendre les termes de Michel Péricard, détruit forcément des emplois, puisqu’elle est financée par la collectivité au moyen de taxes et impôts qui pèsent sur l’activité générale – que ce soit par la réduction de la consommation (surimposition des ménages) ou par le déficit de création d’entreprises nouvelles (prélèvement accru sur le capital) ou par la moindre compétitivité des entreprises existantes (accroissement de leurs charges salariales).
Les gouvernements précédents attendaient beaucoup autour des baisses de charges salariales, certainement utiles. Leur tort a été de ne pas assez dire qu’il ne s’agissait là que d’une réduction très partielle du lourd handicap de nos entreprises vis-à-vis de celles des pays industriels les plus conquérants (parmi lesquels, malheureusement, on ne peut plus compter l’Allemagne). Ne pas le souligner a été une erreur de pédagogie et une erreur politique : le grand public a seulement constaté que le chômage ne se réduisait pas. Il en a conclu qu’il fallait chercher autre chose.
La loi de Robien a été « l’autre chose » de la droite : une tentative de redistribution en nature, par le partage du travail, couronnant la redistribution par les aides financières et basée sur l’idée fausse que le travail est une denrée rare qu’il faut partager. Le « succès » de la loi de Robien s’explique trop aisément : pour les hommes politiques, c’était la preuve qu’ils continuaient à se battre pour l’emploi ; pour les syndicats, c’était un moyen d’obtenir de moins travailler ; pour les patrons en difficulté, c’était une nouvelle façon de ponctionner les finances publiques – comme avec les préretraites.
Le « travailler moins pour travailler tous » est un slogan qui évoque fâcheusement la défunte Union Soviétique où le « contrat social » implicite s’analysait en une faible exigence de travail en contrepartie d’un bas niveau de vie. C’est aussi un slogan qui se dispense d’expliquer comment on peut travailler moins sans appauvrir la communauté nationale et comment celle-ci pourra, dès lors, continuer à financer 150 ou 200 Mds par an de « calmants sociaux ».
Nos hommes politiques pourraient se pencher sur l’expérience suédoise du début des années 90 : de nombreux « calmants sociaux » ont dû y être abandonnés devant l’ampleur des déficits publics qu’ils contribuaient à creuser. Le chômage a fait alors un énorme bond dans les statistiques : de 1,7 % en 1990 à 10,9 % en 1997, les chômeurs camouflés apparaissant alors au grand jour. On se doit de rappeler ici que la Suède était, après la guerre, le pays le plus riche d’Europe – et qu’il est maintenant au 19e rang (sur 24) parmi les pays de l’OCDE. Résultat tangible de cinquante ans de dépense publique effrénée.
« L’autre chose » de la gauche est la réduction du temps de travail sans perte de revenus. La campagne électorale de 1997 a été une nouvelle occasion de surenchère dans cette direction. Et l’actuel Premier ministre a choisi de tenir ses promesses de 35 heures, qu’il a toutefois, à juste titre, jugé « anti-économique » de payer 39.
On a envie d’ajouter « et défavorable à l’emploi » si l’on se réfère aux expériences étrangères. Ainsi, on trouve dans le numéro du 18 octobre 1997 de l’Economist un tableau des taux de chômage et des temps de travail dans les cinq premiers pays industriels. Il saute aux yeux qu’il y a une forte corrélation… mais pas celle qu’espèrent les partisans du travail partagé. Ainsi, le classement par temps de travail croissant donne : Allemagne, France, Grande-Bretagne, Japon, États-Unis. Celui par chômage croissant : Japon, États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France. Et les écarts entre les extrêmes sont énormes : 20 % pour le temps de travail, 200 % pour le chômage4.
Nouvelle « exception française » : l’annonce des 35 heures se fait quelques jours à peine après que les syndicats européens aient renoncé à cette revendication5 et quelques jours avant que certains syndicats italiens ne s’y opposent pour leur pays. On a du mal à comprendre comment la France pourra, avec un PIB réduit par la moindre durée du travail, financer les aides compensatoires promises aux entreprises.
L’inefficacité des aides est inhérente au système de redistribution
En dix-huit ans de chômage croissant, la France a connu 29 plans pour l’emploi. Elle entame actuellement le 30e. On peut parier sans trop de risques que, dans quelques années, un nouveau rapport d’évaluation des aides en France se penchera sur la cuvée 1997 et constatera qu’elle n’a pas enrayé la montée du chômage malgré le montant considérable des sommes allouées. Restera à trouver quelques coupables, à assurer les chômeurs de la compassion des pouvoirs publics et à inventer une nouvelle catégorie d’aides (ou un nouveau nom).
Devant les résultats décevants des plans pour l’emploi successifs, la pensée unique (en la matière, elle varie peu de parti à parti) se rabat sur la magie du verbe, l’imagination créatrice de nouveaux types d’aides, la communication, la recherche de consensus (sans identification des alternatives). Par contre, elle est très peu loquace sur l’analyse des résultats des plans précédents ou sur la comparaison avec les autres pays industriels.
Nul ne se donne la peine d’expliquer pourquoi notre croissance est inférieure à la moyenne européenne depuis vingt ans, alors qu’elle était régulièrement supérieure pendant les vingt années précédentes.Tout au plus entend-on parler des autres pays européens quand ils sont confrontés aux mêmes échecs que nous sur l’emploi. Ainsi de la montée du chômage en Allemagne interprétée comme preuve d’une fatalité européenne, d’un phénomène qui nous dépasserait (alors que le chômage allemand résulte surtout d’un facteur national : l’intégration de l’ancienne RDA).
Hélas, notre problème n’est pas de faire un peu plus mal que nos voisins européens – mais bien de faire beaucoup plus mal que les Américains ou les Japonais, sans même parler des Chinois et autres tigres asiatiques.
Et notre problème n’est pas de détruire des emplois : eux aussi en détruisent tous. La France semble même le grand pays qui en détruit le moins : 0,37 % de la population française perd son emploi chaque mois alors que ce chiffre atteint 1,73 % aux États-Unis. On a vu ATT, IBM ou General Motors y supprimer chacune plus de 100 000 emplois sans que le gouvernement intervienne. Mais la différence à notre détriment se lit dans le pourcentage de chômeurs qui retrouve un emploi en un mois : 37 % aux États-Unis… et 3 % en France.
Là est la véritable gangrène sociale française et les calmants sociaux n’y changeront rien. Pendant la décennie 1980–1990, marquée par la montée des aides à l’emploi, nous avons perdu 36 emplois sur 1 000 – pendant que les Américains en gagnaient 566.
Notre problème est clair : c’est une insuffisante capacité à créer des emplois. Il y a quelques années l’hebdomadaire The Economist publiait un graphique des emplois sur trente ans montrant que, sur cette période, l’Europe avait augmenté son niveau global de l’emploi de 5 % environ, quand les États-Unis l’augmentaient de près de 100 %7 – le Japon se trouvant dans une position intermédiaire.
Sur trente ans également (1961−1991), les statistiques du BIT sur la durée du travail dans les grands pays industrialisés nous montrent une réduction de cette durée dans les grands pays européens et, à l’inverse, une augmentation aux États-Unis, au Japon, au Canada. Le profil des pays européens, tel qu’il apparaît à travers ces diverses données, n’a rien de particulièrement flatteur : on y travaille de moins en moins, on y crée de moins en moins d’emplois, on y doit aider de plus en plus de chômeurs. Alors même que leurs grands concurrents présentent le profil inverse !
Au lieu d’analyser, pour notre plus grand bénéfice, les causes de cette disparité véritablement tragique, la pensée unique (toujours interventionniste) nous entretient généreusement de ses efforts pour l’emploi… et préfère garder le silence sur les résultats et leurs causes. Comment ne pas penser à ces cadres en passe de manquer leurs objectifs annuels, mais qui font volontiers savoir à leur patron qu’ils travaillent tard le soir et tout le week-end.
Cette occupation du terrain médiatique évite que les citoyens ne se posent quelques questions essentielles.
Sur quoi se fonde la légitimité de ces redistributions par la puissance publique ?
Prélever des charges sur certaines entreprises au bénéfice d’autres ne relèverait-il pas d’un activisme sans effet ? (La mécanique redistributrice a des coûts dont on ne parle pas, et d’abord le coût direct des innombrables organismes sociaux qui « s’occupent » du chômage et celui des cabinets de conseil ou de formation qui en vivent trop souvent. On aimerait voir mesurer le pourcentage des aides qui s’est ainsi évaporé ?)
De quel droit détourne-t-on les entrepreneurs de leurs centres d’intérêt naturels (les marchés, la technologie, la concurrence) pour prendre connaissance de leurs « droits » à aides, puis pour solliciter celles-ci auprès des directions, agences, commissions…
Quelle science particulière permet aux ministres de penser qu’ils redistribuent ainsi efficacement – ou d’inventer des emplois auxquels le marché n’avait pas pensé ? Comment penser renforcer l’économie nationale en prenant à Pierre pour donner à Paul ? Quel audit demande-t-on pour le vérifier quantitativement ?
Non seulement ces questions restent systématiquement sans réponses – mais elles ne sont en fait même pas posées dans notre pays où l’on se glorifie volontiers de l’invention d’un nouveau type d’aide sans se sentir obligé d’en fournir une justification économique et d’en identifier les contreparties négatives.
Si la lutte contre le chômage ne remporte pas de succès, elle est l’objet de fortes paroles. Le précédent Premier ministre avait décrété la « mobilisation générale » et annoncé des « armes nouvelles » contre le chômage dont le président de la République avait fait « la priorité des priorités ». Son prédécesseur, lui, avait fini par baisser les bras et déclarait : « On a tout essayé… »
Non, on n’a pas tout essayé !
On n’a même pas commencé à envisager d’essayer ce qui marche ailleurs ! La classe politique tout entière paraît s’employer à cacher la vérité à nos concitoyens – qui n’ont d’ailleurs pas tous très grande envie de l’apprendre :
La vérité, c’est que la crise n’est pas aussi universelle qu’on le prétend, que le niveau du chômage en France dépasse largement celui de la plupart des autres pays industriels, qu’il continue à croître pendant que d’autres réussissent à le réduire – et ceci par des voies très diverses, sous des gouvernements de couleurs politiques différentes, mais toujours en réduisant le poids de la dépense publique.
C’est le cas dans des pays gouvernés plutôt à gauche comme les Pays-Bas ou la Nouvelle-Zélande. Comme c’est le cas aux États-Unis dont l’exemple semble hérisser le poil de nos compatriotes, victimes d’une ample désinformation : on lit partout qu’il s’y crée surtout des petits boulots, ce qui est absolument faux. En réalité, les 2 millions d’emplois nets créés aux États-Unis entre 1990 et 1995 viennent bien des services, mais 80 % de ces emplois de service sont au-dessus de la médiane des salaires du pays8. Moyennant quoi, le précédent président de l’Assemblée nationale trouvait le modèle américain « inacceptable », malgré des « résultats statistiques impressionnants ».
Quant aux résultats des Anglais (moitié moins de chômeurs que nous, en diminution mois après mois), ils sont balayés d’un revers de main dans les médias : ils auraient la chance (?) d’une démographie plus faible que nous et creuseraient les inégalités.
On aimerait entendre une voix officielle informer le public de ces chiffres, de ces comparaisons gênantes. Et l’aider à évaluer les termes de l’alternative : dépense publique contre emplois. Par exemple, en faisant largement connaître les résultats d’expériences étrangères très instructives dans des pays aussi différents que le Canada, le Chili ou la Nouvelle-Zélande. Au lieu de cela, en France, on entend la classe politique gémir sur l’exclusion… tout en choisissant de fait le chômage.
Au fait, qui donc a jugé « inacceptable » le modèle américain ? Peut-être les syndicats « représentatifs » qui le sont seulement de la minorité qui profite de ce refus (en gros les secteurs protégés de la concurrence). Mais sûrement pas les chômeurs qui n’ont pas de moyen de s’exprimer. Ni même les électeurs à qui aucun parti politique français ne l’a proposé. Comment une demande politique s’exprimerait-elle s’il ne lui correspond aucune offre ?
Que se passerait-il en France si on supprimait d’un coup toutes les aides à l’emploi sauf les contrats d’apprentissage et de qualification ainsi que les exonérations de charges pour l’embauche du premier, deuxième ou troisième salarié ? Le budget de l’État serait allégé d’au moins 140 Mds de francs (plus les économies à faire sur les organismes de distribution des aides supprimées). Sans modélisation compliquée, on peut situer les ordres de grandeur des bienfaits qu’on pourrait en obtenir :
- une baisse de moitié de l’impôt sur le revenu, mesure sans précédent, dont on peut légitimement imaginer un effet de choc sur la consommation, sur la croissance et sur l’emploi ;
- ou une baisse massive des charges sociales totales (employeur + salarié) sur les entreprises qui abaisserait de deux bons points (de 19 % à 17 %) le pourcentage du PIB que nous y consacrons (il est de 7 % aux États-Unis et de 10 % au Japon) – augmentant fortement la compétitivité de nos entreprises ;
- ou la multiplication par 20 des sommes disponibles en France pour le financement en capital-risque de la création d’entreprises nouvelles. Selon Madame Béatrice Majnoni d’Intignano (Le Figaro du 3 octobre 1996), le capital-risque ne collecte actuellement que 5 à 7 Mds par an ; elle ajoute qu’1 MF de capital-risque permet en moyenne de financer la création d’une PME. On voit l’ordre de grandeur de l’enjeu : 140 Mds économisés permettraient théoriquement de créer plus de 100 000 PME, soit des centaines de milliers d’emplois.
On peut imaginer, bien sûr, toutes sortes de combinaisons de ces trois mesures. Pour l’auteur de ces lignes, qui observe depuis des années l’impuissance européenne – et l’habileté de nos concurrents américains et asiatiques – à tirer parti du formidable potentiel de création d’entreprises en informatique, la troisième est sûrement la plus fructueuse même si elle est la plus difficile à mettre en oeuvre – et la plus éloignée de l’actuelle pénalisation de l’épargne. C’est celle que recommandait le président du Sénat dans l’article précité : « développer les mécanismes de capital-risque qui permettent à l’épargne courageuse et active d’aller vers les projets porteurs des emplois de demain ».
La plupart des hommes politiques parlent avec beaucoup de sollicitude des PME et du gisement de nouveaux emplois qu’elles représentent.
C’est bien vu, surtout si l’on y inclut les PME à naître. Mais savent-ils que, dans la France de 1997, il est presque impossible à une PME de trouver du crédit sans caution personnelle des dirigeants ? Nombre de créateurs potentiels de PME sont ainsi mis hors jeu avant le coup d’envoi. Dira-t-on que les banques françaises sont coupables de frilosité ? Ou bien que les lois et règlements qui ne leur laissent presque pas de marge sur le financement des entreprises sont coupables de myopie ? Ou pire, quand ils ont réduit à presque rien les droits du banquier en cas de faillite ?
Si l’on accepte que la priorité absolue est la création de nouveaux emplois (plutôt que les combats de retardement contre les destructions d’emplois existants), c’est tout un édifice qui est à reconstruire en faveur des créations d’entreprises. On a vu que des sommes énormes sont disponibles : celles des aides à l’emploi… qui se révèlent trop souvent n’être que des aides au chômage.
Bien sûr, on entendrait parler d’ultra-libéralisme. Mais comment y croire dans un pays où l’État prélève la moitié de la richesse produite, où les pouvoirs publics nomment des dizaines de responsables non seulement administratifs mais aussi économiques, où tant de postes-clés du secteur économique sont tenus par des dirigeants issus de l’administration. Nous ne risquons pas de tomber dans l’ultra-libéralisme.
Au moins, y a‑t-il là encore autre chose à essayer. Et il est raisonnable d’espérer que le chômage régresserait enfin. C’est à abattre les obstacles à l’emploi plutôt qu’à administrer des calmants au corps social que nous devons nous attaquer.
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1. Cet article, remis en avril 1997 au groupe X‑Europe, a été complété depuis pour tenir compte des mesures prises par le nouveau gouvernement. Ses conclusions n’ont pas changé. Hélas !
2. On sent bien en quoi une « insertion » diffère d’une embauche : on embauche un individu mais on insère un demandeur d’emploi. On est là dans un registre plus collectif que personnel, à motivations plus administrées qu’économiques, plus fragile pour l’intéressé.
3. Ainsi, le président du Sénat, René Monory, évaluait-il la dépense publique totale pour l’emploi à 300 Mds, soit près de 4 % de la richesse nationale (Le Figaro du 18 mars 1997).
4. Les Pays-Bas tirent leur épingle du jeu du chômage tout en travaillant peu de jours par an, grâce à un taux record de temps partiel (près de 40 %).
5. Le Monde du 4 octobre 1997.
6. Étude du Mac Kinsey Global Institute (1995).
7. Leur permettant simultanément de satisfaire une demande de travail féminin en rapide croissance, d’occuper des millions d’immigrés nouveaux et de réduire le taux de chômage.
8.La France et les États-Unis, malgré des taux de dépenses sociales incomparables, diffèrent peu en pourcentage de la population au-dessous du seuil de pauvreté (défini comme la moitié du salaire national médian).