Deux approches comparées d’appui aux entreprises, en France et au Japon
Comparé au réseau français, le dispositif japonais de développement des entreprises japonaises à l’étranger est clair et cohérent. Le dispositif français est cependant engagé dans un grand nombre de réformes : meilleur ciblage des destinations et des services rendus, rationalisation du réseau, meilleure articulation avec les chambres de commerce.
L’action de l’État en faveur du développement international des entreprises est assurée principalement par l’agence Ubifrance, sous tutelle du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, et dans une certaine mesure par la Coface ; côté japonais, elle est assurée par le Jetro, organisme sous tutelle du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI).
Repères
La préoccupation des autorités françaises aux questions d’intelligence économique a pris de l’ampleur depuis plusieurs années, avec le rapport du député Carayon et la mise en place du Haut responsable en charge de l’intelligence économique (HRIE), rattaché aux services du Premier ministre et qui coordonne de façon interministérielle la politique française dans ce domaine. L’ensemble des facettes de l’action publique et des parties prenantes est bien décrit sur le site du HRIE : www.intelligence-economique.gouv.fr
Ubifrance et Jetro ont un statut d’agence disposant d’une certaine autonomie et les dotant de moyens budgétaires dans le cadre de contrats pluriannuels conditionnés – plus ou moins – à l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs. Mais des différences existent clairement entre les deux.
Développement et promotion
Le Jetro regroupe à la fois les missions de développement des entreprises japonaises à l’étranger et de promotion de l’investissement étranger au Japon (campagne Yokoso Nikon) alors que la valorisation de l’attractivité du territoire revient en France à un autre EPIC, l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Même si Ubifrance et l’AFII sont installées aujourd’hui sur le même site à Paris, boulevard Saint-Jacques, chacune dispose d’une gouvernance, d’un management et d’objectifs propres, à cela près qu’à l’étranger les Missions économiques peuvent être amenées à représenter les deux entités (cf. infra).
La taille des réseaux à l’étranger
Ubifrance est forte, depuis sa création en 2003, à la suite de la fusion de l’Association Ubifrance (ex-CFME ACTIM) et du Centre français du commerce extérieur (CFCE), d’un effectif de près de 600 personnes qui se concentrent sur deux sites, Paris et Marseille.
Une universalité théorique
Le service prodigué par le réseau français demeure encore largement universel dans l’esprit : tous les produits pour tous les clients dans tous les pays, même si l’état des effectifs et des moyens rend cette description théorique et justifie l’application progressive du principe de réalité : Ubifrance n’aura à terme des équipes dédiées que dans les pays les plus pertinents pour y délivrer les services les plus appropriés.
Pour sa représentation à l’étranger, Ubifrance repose sur le réseau des Missions économiques1, les bureaux du Minefe situés au sein des ambassades de France, doté de 2 000 personnes environ sur 150 sites dans plus de 100 pays et dont un millier est dédié exclusivement à l’appui aux entreprises (collecte d’information sur les marchés, missions B to B, organisation de séminaires et salons). Une réforme importante est engagée qui organise dans les deux années à venir la dévolution à l’agence Ubifrance des personnels des ME consacrés à l’appui aux entreprises pour constituer une véritable » chaîne de valeur » au service des exportations et des investissements français.
Constituer dans les trois ans une véritable « chaîne de valeur » au service des entreprises
Le Jetro dispose, quant à lui, de 800 agents à l’étranger implantés sur 73 sites dans 54 pays clairement identifiés en fonction de leur importance pour le commerce extérieur japonais. Le dispositif japonais est donc plus compact avec un focus plus précis, même si l’initiative » pays cibles » lancée en 2003 par François Loos alors ministre délégué au Commerce extérieur a permis de focaliser un peu plus l’action du réseau public français.
Le maillage local
Un des autres grands chantiers qui ont été engagés par l’agence Ubifrance est celui de sa représentation sur le territoire français. Hormis quelques agents détachés au sein des directions régionales du Commerce extérieur, Ubifrance n’a pas de maillage de proximité pour aller au-devant de ses clients en régions. Plus grave, il existe une concurrence historique et latente entre le réseau public d’une part (Ubifrance et les ME) et celui des chambres de commerce françaises en France, fédérées par l’Association française des CCI (ACFCI), et à l’international, fédérées par l’Union des CCI françaises à l’étranger (UCCIFE). Sans oublier le développement des services des collectivités locales et territoriales (Agences régionales de développement notamment).
Un problème de croissance
Nombre d’études l’ont souligné, les entreprises françaises ont un problème » génétique » de croissance. Les PME françaises sont, par comparaison avec leurs homologues allemandes mais aussi japonaises, plus » petites » que » moyennes « . Or l’exportation nécessite des structures qui ne sont pas à la portée de tous, surtout pour l’approche des marchés lointains comme ceux d’Asie.
Un des objectifs prioritaires du secrétaire d’État aux Entreprises et au Commerce extérieur est donc d’optimiser cette importante ressource et de faire en sorte que ces structures fonctionnent mieux entre elles en consacrant, dans un cadre conventionnel, leurs points forts respectifs, réseau international des uns et connaissance du tissu local des autres, pour offrir, dans le meilleur des mondes, une sorte de » one stop shop » organisé en réseau au service de toutes les entreprises françaises.
Le Jetro, quant à lui, dispose de 800 personnes réparties entre le siège tokyoïte et 35 bureaux situés dans les plus grandes villes japonaises. Le Jetro est donc une organisation complète et dont on n’entend guère dire qu’il est en rivalité avec les services des collectivités locales et avec ceux des chambres de commerce japonaises, notamment parce que celles-ci ne font pas de l’appui aux PME leur priorité. À titre d’exemple, la CCI française au Japon compte 550 membres alors que la CCI japonaise en France est un club de représentants de 150 grandes entreprises environ ; par comparaison, le montant annuel des exportations françaises vers le Japon est de 5,5 milliards d’euros alors que celui des exportations japonaises vers la France est d’environ le double.
Les Japonais sont des maîtres en précision.
La question des PME
Le débat sur le commerce extérieur en France, crucial en ces temps de déficit croissant, est intimement lié, en matière de politique publique, à l’appui aux PME. Les politiques françaises en la matière ont donc toujours été des politiques de volume, visant à emmener plus d’entreprises à l’export (environ 100 000 exportateurs à l’heure actuelle), et notamment plus de PME.
Les maisons de commerce
Un chaînon est manquant du côté français, celui des maisons de commerce. Le développement international des entreprises nécessite des relais d’information, de contact, de lobbying, d’influence et même les pays les plus libéraux (États-Unis, Grande-Bretagne) ont des dispositifs publics d’appui à l’international très importants. Le gouvernement français exerce une pression sur sa propre organisation pour pallier le problème de taille critique des PME françaises et aider le plus grand nombre dans un contexte de mondialisation croissante et de déficits qui se creusent.
Le Japon a, quant à lui, su organiser un dispositif public clair et cohérent, apparemment sans rivalité avec les autres instances, consulaires notamment. Mais il dispose aussi d’un atout important : ses maisons de commerce. En sus du réseau du Jetro, les ramifications très importantes de celles-ci assurent autant de débouchés à un très grand nombre de PME japonaises qui n’ont pas nécessairement les moyens de prospecter par elles-mêmes.
Pour autant, deux arguments se sont fait jour ces derniers temps.
D’une part, le chiffre du commerce extérieur est fait principalement par un petit nombre de grandes entreprises et souvent dans le cadre d’échanges intragroupes : plus de PME exportatrices voudra donc surtout dire plus d’emplois, ce qui n’est pas négligeable, mais pas nécessairement une augmentation significative des exportations.
D’autre part, la comparaison avec l’Allemagne montre que celle-ci dispose d’un » Mittelstand » d’entreprises moyennes, robustes, qui constituent le fer de lance de l’exportation en biens d’équipement dont l’offre et la qualité répondent bien à la demande des pays émergents. C’est cette catégorie qui, a contrario, fait défaut au tissu français.
Côté japonais, la politique en faveur des PME est plus conçue dans le sens de la revitalisation des régions et des territoires que dans le sens du soutien aux exportations, sujet qui n’est d’ailleurs pas un problème fondamental puisque le Japon continue de réaliser des excédents commerciaux confortables y compris avec la Chine. Le sujet des délocalisations ne fait d’ailleurs guère débat au Japon. Le Jetro est donc engagé dans des politiques plus qualitatives que quantitatives.
Un réseau de crédit
Il existe en France une concurrence historique et latente entre le réseau public et celui des chambres de commerce
Le panorama français ne serait pas complet sans évoquer l’autre » vaisseau amiral » de l’appui à l’internationalisation des entreprises qu’est la Coface. Leader français de l’assurance-crédit, de la gestion de créances, de l’information de la notation commerciale d’entreprise, la Coface est une entité privée, filiale de Natixis, mais qui continue d’exercer pour le compte de l’État la gestion d’un certain nombre de procédures comme l’assurance prospection ou l’assurance-crédit moyen terme regroupées au sein de la Direction des garanties publiques. Avec 93 bureaux en propre et en partenariat dans le monde, la Coface est à la tête d’un réseau Credit Alliance et d’un système mondial d’information, de notation @rating et de mise en relation entre 60 millions d’entreprises.
Il ne fait pas de doute que le partenariat public privé construit autour de la Coface est de nature à constituer un relais d’avenir pour les entreprises françaises qui veulent exporter et s’implanter à l’étranger.
Des problèmes structurels
En conclusion, le dispositif français d’appui au développement international des entreprises est actuellement engagé dans un grand nombre de réformes : meilleur ciblage des destinations et des services rendus, rationalisation de son organisation de réseau, meilleure articulation avec les chambres de commerce.
Mais il demeure un certain nombre de problèmes structurels à résoudre pour redonner sa vocation exportatrice à la France : difficulté des PME à croître en effectifs pour se doter de services exports dédiés, ajustement de l’offre de produits et de services pour répondre à la demande des pays émergents, existence d’opérateurs et d’intermédiaires de commerce privés puissants pour venir en appui à ceux qui sont moins armés dans la compétition mondiale. Autant de problèmes aigus que la crise financière ne fait que renforcer.