Pour une réussite collective de l’Europe
Le président Valéry Giscard d’Estaing est venu à l’École le 15 octobre 2008 illustrer la Semaine de l’Europe par une conférence sur l’organisation européenne et son avenir.Très en verve, dans son style lumineux de toujours, auquel le recul des années ne fait qu’ajouter de la profondeur, notre illustre camarade a résumé l’histoire de l’Union européenne, où il y joua lui-même un rôle majeur1, en trois générations2, » car au-delà des événements quotidiens, le temps de l’Histoire est générationnel « .
Création (1950−1975)
Aventure sans précédent dans l’Histoire où les États s’étaient toujours édifiés par conquête, ses pères fondateurs ont dû se passer de modèle. Il y avait bien eu les État-Unis d’Amérique, mais dont les membres étaient tous anglophones, affranchis de la Couronne britannique…, et cinquante fois moins peuplés. C’est l’idée de Jean Monnet d’un » tripode » Conseil-Commission-Assemblée consultative qui s’est imposée, conférant à la Commission à la fois le rôle de proposition et celui d’exécution. C’était, dans l’esprit de Monnet, faire un Gouvernement fédéral sans le dire, flanqué d’un Conseil des dirigeants des État membres n’ayant guère le temps de faire plus que de la surveillance.
Ainsi se constitua une Communauté économique à six, puis à neuf, malgré bien des réticences, dont celles du général de Gaulle.
Évolution (1975−1991)
Le tripode imaginé par Jean Monnet fonctionna bien, mais pas comme il l’avait imaginé : c’est le Conseil de l’Union qui est devenu l’organe de décision essentiel qu’il est encore aujourd’hui.
La génération actuelle a oublié le but initial, la paix en Europe
Le Parlement prit de l’importance, participa aux décisions (sans cependant avoir le dernier mot). Ses membres furent élus en tant que tels dans leurs pays respectifs (ils étaient auparavant nommés dans leurs pays). L’Union monétaire fut réalisée en 1988.
L’Union tenta d’évoluer vers une politique étrangère commune – de devenir en somme un État fédéral européen comme c’était le but des fondateurs – mais ce fut un échec. L’ensemble de ces évolutions n’en justifia par moins une révision des institutions qui aboutit au traité de Maastricht en 1991.
Élargissement à l’Est et Constitution (1991−2020)
L’écroulement soudain du système soviétique entraîna immédiatement la candidature de tous ses ex-satellites à l’Union européenne. Elle ne pouvait guère s’y refuser, mais n’insista pas assez sur les contraintes auxquelles les nouveaux entrants devaient souscrire, ce qui n’alla pas sans créer tensions et malentendus. Menacé de paralysie par des Conseils ingérables à 27, et d’explosion de la Commission – pour chaque pays un Commissaire, s’instituant à tort l’avocat de ses intérêts nationaux – le Conseil de Laeken de 2001 dut donc se résoudre à créer une Convention sur l’avenir de l’Europe, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, dont elle attendait un large éventail de solutions possibles.
La politique étrangère des États membres a déjà tendance à converger
À son immense surprise, ce fut un texte constitutionnel unique et unanime qui en sortit, dans les délais3 ! La ratification populaire fut sans problème en Espagne et au grand-duché du Luxembourg, mais manqua en France et aux Pays-Bas, dans les deux cas pour des raisons de peurs diverses (immigration : le » plombier polonais « , importations : la » directive Bolkestein « , mondialisation) sans rapport avec le texte lui-même. Il faut dire que ce dernier fut distribué en France à chaque électeur in extenso, soit un gros volume d’annexes peu lisibles pour un citoyen ordinaire.
Il en résulta un passage à vide – qui dure encore – pouvant se résumer en un » pourquoi l’Europe ? » de la génération actuelle, qui a oublié le but initial, la paix en Europe, désormais allant de soi, et nourrit maintenant d’autres anxiétés. Seule une réaction des État membres, dont c’est le rôle de rapprocher l’Union de ses citoyens au lieu d’en faire un bouc émissaire commode, pourra vraiment redresser la situation. On peut espérer que la crise financière servira de déclencheur en illustrant l’impuissance des États pour y faire face s’ils restent isolés.
En attendant, pour débloquer d’urgence les institutions, le Conseil a eu recours à un palliatif, le traité de Lisbonne, consistant à moderniser le précédent traité de Nice en y introduisant les principales avancées de la Constitution : subsidiarité4, double majorité5, Commission de 16 membres, un ministre des Affaires étrangères. On peut espérer que la totalité des État membres signeront bientôt ce Traité, de sorte que la prochaine présidence tchèque pourra préparer les élections parlementaires européennes sur cette base et faire ainsi repartir l’Union du bon pied – c’est-à-dire reprendre le processus d’approfondissement interrompu par les élargissements.
Il mérite d’être noté que de nombreuses régions du monde sont en train d’accéder à la démocratie et se cherchent des structures d’union qui respectent les identités nationales, et s’inspireront sans doute de l’Europe.
Participer à la réussite collective
» J’espère avoir éveillé en vous un désir de faire avancer l’Europe, car elle va avoir besoin de votre aide, voire de votre secours. Ne tombez pas dans le piège d’y chercher une voie pour la puissance française en Europe, il s’agit au contraire de participer à la réussite collective de l’Europe » a conclu notre grand Européen.
1. Président de la République de 1974 à 1981 et président de la Convention de 2002 à 2003.
2. Il cite ici Thomas Jefferson, « Le paradoxe de la démocratie est que chaque génération impose ses règles à la suivante. »
3. Sa modestie interdit ici à VGE d’indiquer qu’il y joua un rôle décisif, universellement reconnu. Pervenche Bérès, Conventionnelle socialiste, s’avouait « débordée par l’habilité persuasive et manoeuvrière de VGE, et finissait par souscrire à des dispositions qui lui déplaisaient ».
4. La subsidiarité est ainsi définie : « L’Union fonctionne sur le mode fédéral dans ses domaines de compétence commune », dûment énumérés.
5. La double majorité, qui remplace l’unanimité (source des blocages), consiste en 55 % du nombre d’États membres et 65% de la population.