Une nouvelle ambition portuaire pour la France
La création à l’automne 2008 des sept grands ports maritimes1 marque un tournant important de la politique portuaire française. Elle offre aux ports français l’opportunité de renforcer leur place en Europe tout particulièrement sur les trafics de conteneurs qui ont le plus souffert des faiblesses de notre système portuaire.
REPÈRES
Les ports français ont traité en 2007 un trafic de 4 millions de conteneurs contre plus de 10 pour chacun des pays voisins (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Italie). Leur part de marché en Europe continentale a chuté de 12 % à 6% depuis 1990 pendant que le trafic mondial augmentait de 9,8 % en moyenne par an contre 4,2 % pour l’ensemble du transport maritime international.
Depuis 1966, les grands ports français sont gérés par des établissements publics de l’État en charge des fonctions régaliennes et d’aménageur mais aussi de l’exploitation des outillages publics. La création des ports autonomes a indiscutablement permis de répondre aux défis industriels et énergétiques des trente glorieuses.
Mais, trop centrée sur les acteurs publics, elle a occulté la nécessité d’avoir un tissu d’entreprises privées prestataires de services suffisamment performantes pour affronter sans protection de l’État la concurrence des ports étrangers. Ses limites ne sont apparues que progressivement et se sont matérialisées par une perte continue de parts de marché sur le segment le plus dynamique et le plus volatil : les conteneurs.
La conteneurisation a en effet modifié radicalement les conditions de concurrence entre ports.
À la différence des vracs souvent » captifs » des ports pour des raisons d’acheminement terrestre (à l’exemple des usines pétrochimiques ou sidérurgiques implantées sur les ports), les flux de conteneurs se déplacent facilement d’un port sur un autre. Le port n’est qu’un maillon d’une chaîne intermodale qui s’adapte en fonction des coûts respectifs de l’acheminement terrestre, du transport maritime et du passage portuaire, l’immobilisation du navire liée à une productivité ou une fiabilité insuffisante devenant une composante de ce coût de passage. Le ralentissement enregistré depuis la crise financière de l’autonome 2008 apparaît comme un réajustement après cinq années de croissance débridée de 12 % pour le trafic mondial et 15 % pour celui entre l’Asie et l’Europe qui intéresse plus directement les ports français. La croissance révisée à la baisse est d’environ 6% par an pour les échanges d’ici 2013 entre l’Asie et l’Europe du Nord (8 % pour la Méditerranée). Combien de secteurs économiques aimeraient avoir de telles perspectives en période de récession !
Le conteneur est en effet l’outil de la mondialisation de l’économie. Il a favorisé la mondialisation en abaissant le coût du transport et en réduisant ses risques. Cette mondialisation a elle-même alimenté la croissance spectaculaire du trafic et continuera à le faire.
Une compétitivité obérée par un statut inadapté
Des investissements à la traîne
De 2000 à 2006, les ports autonomes métropolitains ont investi 1,07 milliard d’euros en infrastructures dont la moitié pour Port 2000 au Havre contre 1,8 pour les ports belges.
La perte de compétitivité des grands ports français s’explique principalement par trois facteurs : une organisation des terminaux inadaptée, une insuffisance d’investissements et une déficience des transports massifiés de pré et post-acheminement d’autant plus critique qu’ils souffrent d’un hinterland proche beaucoup moins dense en producteurs-consommateurs que celui de Rotterdam, Anvers, Gênes ou Barcelone.
La réforme du statut des dockers de 1992 a amélioré considérablement la performance de la manutention portuaire. Mais le maintien dans le champ de compétence des ports autonomes des outillages de quai n’a pas permis d’atteindre le niveau de performance des autres ports européens.
Un anachronisme
Le port du Havre © Grand port du Havre |
L’éclatement des responsabilités entre l’entreprise de manutention employant les dockers et le port autonome employant les grutiers, sous des régimes de travail différents, est un handicap, car il ne permet pas d’apporter des réponses techniques et managériales optimisées aux problèmes de manutention, particulièrement compliqués sur les terminaux à conteneurs compte tenu de la complexité des flux et du coût d’immobilisation des navires. C’est devenu un anachronisme des ports français2, incompréhensible pour leurs clients armateurs habitués à négocier avec des opérateurs de manutention ayant une maîtrise complète de leurs moyens techniques et de leurs ressources humaines.
L’insuffisance d’investissements est pour partie un corollaire du point précédent, l’obligation de recourir à des personnels du port autonome pour la conduite des portiques ayant freiné l’investissement privé sur les terminaux alors que des sommes considérables étaient investies dans les terminaux à conteneurs des pays voisins.
Les investissements des ports autonomes en outillages de quai ont diminué leur capacité de financement des infrastructures, le phénomène étant amplifié par la faiblesse relative des contributions de l’État.
Le conteneur est l’outil de la mondialisation
La route assure aujourd’hui 85% des acheminements de conteneurs maritimes contre 7,5% seulement pour le fer et pour la voie d’eau. Bien qu’en croissance encourageante depuis dix ans, le potentiel de la voie d’eau est limité par l’absence d’interconnexion des bassins fluviaux français avec ceux desservant l’Europe. La réalisation de la liaison Seine Nord ouvre de nouvelles perspectives à l’horizon 2015.
Le fer s’est effondré depuis dix ans, sa part modale au Havre étant tombée de 16,9 % en 1995 à 4,4 % en 2006. L’arrivée de nouveaux opérateurs dans le cadre de l’ouverture du marché du fret ferroviaire devrait permettre de développer une offre diversifiée et compétitive, à la condition toutefois que l’infrastructure ferroviaire puisse offrir aux trains de fret, qui pâtissent du développement des transports régionaux de passagers, les sillons nécessaires.
Un préjudice pour l’économie
Le rôle des politiques
L’importance des ports pour l’économie nationale avait été bien appréhendée dans la France planificatrice de l’après-guerre. L’aménagement des grandes plates-formes portuaires pour l’implantation les » pieds dans l’eau » d’une industrie lourde devenue dépendante des importations de matières premières, à l’exemple de la sidérurgie à Dunkerque et Fos, a consolidé notre tissu industriel même si les chocs pétroliers ont empêché de tirer pleinement parti de ces infrastructures exceptionnelles. A contrario, les responsables politiques français ont mis du temps à percevoir les enjeux pour les ports de la mondialisation de l’économie et les opportunités ou menaces qui en résultent. La décision de réformer le système portuaire français est à ce titre salutaire même si on peut regretter qu’elle soit arrivée aussi tardivement.
Cette faiblesse structurelle des ports français a des conséquences lourdes pour l’économie nationale, allant bien au-delà de la perte d’emplois sur les ports. C’est une perte considérable de valeur ajoutée logistique, les plates-formes de distribution des grands importateurs s’implantant de manière privilégiée à proximité des ports les plus performants.
Conséquence directe de la mondialisation de l’économie et des nouveaux processus de production, la logistique est en effet une activité stratégique à valeur ajoutée de plus en plus élevée qui atténue dans nos économies occidentales l’impact négatif des délocalisations industrielles.
La France n’accueille que 5% des centres de distribution de produits asiatiques, les Pays-Bas 56%, l’Allemagne 22% et la Belgique 12%. La contribution de l’emploi logistique au PIB est de 6,2% en France contre 10,9% aux Pays-Bas, 9% en Belgique et 7% en Allemagne.
Une réforme indispensable
La loi du 4 juillet 2008 recentre les ports autonomes devenus Grands Ports maritimes sur leurs missions régaliennes et d’aménageur, ceux-ci ayant obligation de transférer d’ici deux ans l’essentiel de leurs outillages vers les opérateurs de terminaux. C’est le modèle de port landlord adopté par la quasi-totalité des pays d’Europe continentale, d’abord par les pays de tradition hanséatique puis en 1992–1994 par l’Espagne et l’Italie. La loi apporte également une modification importante à la gouvernance de ces ports avec la mise en place d’un directoire et d’un conseil de surveillance plus restreint que l’actuel conseil d’administration. Elle clarifie les responsabilités respectives de l’autorité portuaire publique, porteuse d’une vision stratégique à moyen et long terme, et des opérateurs privés prestataires de services aux navires (pilotage, remorquage…) ou à la marchandise (manutention, stockage…).
L’éclatement des responsabilités est un handicap
Cette clarification est d’autant plus urgente que le paysage des opérateurs de manutention a considérablement changé en quelques années, tout particulièrement dans le secteur des conteneurs Cette réforme offre aux grands ports français l’opportunité de recoller au peloton des meilleurs ports européens en copiant un modèle qui a fait ses preuves. Elle doit permettre dès la reprise économique de valoriser les atouts des ports français et en particulier leur accessibilité nautique exceptionnelle permettant d’accueillir les porte-conteneurs de dernière génération, à condition, bien sûr, de réaliser les investissements de capacité indispensables tant sur ces ports que sur les infrastructures nationales ferroviaires et fluviales.
Un secteur en forte concentration
En l’espace de dix ans, une concentration très importante s’est opérée en matière de conteneurs, les entreprises locales ayant laissé la place à des opérateurs « globaux » présents sur tous les continents. PSA (Singapour), APMT (Maersk), HPH (Hongkong) et DPW (Dubaï) assurent à eux quatre 30% de la manutention mondiale des conteneurs. Leur assise financière (PSA et DPW sont détenus par des fonds souverains!) ou leur lien avec des armateurs leur confèrent des capacités d’investissements considérables et un pouvoir de négociation redoutable.
1. Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes Saint- Nazaire, Rouen, La Rochelle et Bordeaux.
2. Les seules exceptions étant celle de Dunkerque, qui a mis en place des opérateurs intégrés dès 1999 et, dans une moindre mesure, les terminaux à conteneurs du Havre où des salariés de l’établissement public sont « mis à disposition » des opérateurs privés qui ont financé les portiques.