Minitel et Internet
On ne peut évoquer le phénomène Internet sans se référer à ce qui peut apparaître à certains comme une exception culturelle française de plus : le Minitel.
Avec 14 millions d’utilisateurs et 25 000 services couvrant tous les domaines de la vie pratique, la France a connu en effet la plus grande expérience de services en ligne grand public alors qu’Internet était encore réservé à des spécialistes.
Ce succès est un atout incontestable pour entrer de plain-pied dans la société de l’information, et non un frein ou un rétroviseur comme on le prétend parfois, pourvu qu’on sache tirer les leçons de ces dernières années, transposer ce qui est transposable dans le nouveau contexte économique et technologique et qu’on ne cherche pas à tout prix, ni à “ hyperteliser ” l’Internet, ni à “ Interner ” le Minitel.
Les recettes du Minitel
Les caractéristiques du Minitel sont bien connues :
– un terminal rudimentaire mais très simple d’utilisation et très rapidement mis en marche,
– un ensemble de serveurs distribués accessibles par codes de service,
– une application phare : l’annuaire électronique,
– enfin un système très simple de facturation et de paiement : le principe du kiosque qui permet de facturer sur la ligne téléphonique la consultation des services et de reverser aux fournisseurs le prix de leur prestation leur évitant de développer une facturation coûteuse. Ceci a rendu très faible la barrière à l’entrée des fournisseurs et a permis le développement de plus de 25 000 services hébergés sur plus de 6 000 serveurs.
Une industrie qui pèse aujourd’hui 10 milliards de francs s’est ainsi constituée et une véritable culture “ en ligne ” s’est développée tant parmi les fournisseurs qui ont appris à réaliser des applications interactives ergonomiques et à les tenir à jour, que parmi les utilisateurs qui se sont habitués à consulter des horaires, des cours de bourse ou des catalogues par Minitel ainsi qu’à passer des commandes.
Le chiffre d’affaires total du commerce électronique par Minitel s’élevait ainsi à 1,2 GF en 1996 soit autant que toutes les transactions effectuées sur Internet.
Qu’est ce qui change avec Internet ?
Internet c’est avant toute chose un protocole de communication extrêmement simple (trop simple diront certains, mais cette simplicité a été la force du Minitel) qui permet à toute ressource informatique que ce soit un PC portable ou le supercalculateur du CERN d’entrer en relation avec toutes celles reliées au même réseau, ainsi qu’avec tous les autres réseaux déjà reliés à celui-ci. C’est donc une sorte de véritable onde cybernétique qui court de réseau en réseau à travers la planète en utilisant tous les supports sans distinction : fibre optique, câble en cuivre du bon vieux téléphone, câble de télévision, satellite.
Cette simplicité a permis d’établir une infrastructure mondiale très facilement extensible qui croît en trafic de 15 % par mois.
Cette connectivité potentielle a néanmoins un prix : aucun contrôle de qualité n’est effectué aujourd’hui de bout en bout et l’on peut très bien partir de chez soi sur une voie express puis se trouver aiguillé sur un chemin vicinal derrière un tracteur.
Toutefois la montée en débits des réseaux de télécommunications traditionnels permet d’offrir aujourd’hui sur Internet un niveau de qualité satisfaisant pour toutes les données textuelles, images fixes et documents sonores et de développer ainsi quantité d’usages nouveaux.
Pour les applications télévisuelles en temps réel, il faudra encore attendre un peu et changer d’échelle.
Ces usages nouveaux, qui se développent au-dessus de cet océan de communication, s’articulent en trois univers principaux : les services de communication personnelle, les services d’information et de recherche, le commerce électronique.
1) La communication : les messageries existent depuis longtemps sur Minitel et en informatique ; Internet leur donne une dimension mondiale et universelle. Avec “ l’e‑mail ”, on peut joindre des correspondants dans le monde entier en se libérant de la contrainte du temps réel. La possibilité d’envoyer des documents travaillés en local multiplie les possibilités : envoi de cartes de voeux animées (www.kodak.com), envoi de documents professionnels, recrutements, réponse à des appels d’offres.
La messagerie n’est pas uniquement bilatérale ; les forums permettent de multiplier les échanges sur des domaines d’intérêt commun.
2) Le Web, c’est la deuxième application principale, gigantesque livre que l’on peut feuilleter de serveur en serveur.
La puissance de la micro-informatique couplée aux CD-roms permet d’enrichir les applications télématiques par le son et l’image, et de les rendre plus conviviales.
Parmi d’autres, citons cet exemple d’un hôtel traditionnel des Gets qui a développé un serveur présentant son hôtel, le plan des pistes, les possibilités de la station avec une caméra branchée en permanence qui vous permet de voir à tout instant le temps et l’enneigement (www.cyberaccess. fr/user/hotel-stella-galaxy). Ces caméras branchées en permanence à certains endroits du globe sont de plus en plus nombreuses, l’une d’entre elles est même placée dans la navette spatiale (www.nasa.com) et l’on peut faire grâce à elles le tour du monde en 80 “ clicks ” (www.asb.com/usr/ swfuchs/ateydays/80clicks.html).
La puissance informatique apporte aussi plus de liberté : on peut choisir l’information que l’on souhaite quand on le souhaite. C’est l’exemple du site de France 3 (www.france3.fr) qui donne la possibilité de voir le journal régional de son choix quand on le désire et pas seulement celui de l’endroit où l’on se trouve à 19 heures.
Enfin la puissance informatique permet la personnalisation. Elle permet à l’utilisateur de créer ses propres documents, ses propres informations et de devenir à très faible coût éditeur lui-même. C’est ce que l’on appelle les pages personnelles qui permettent à chacun de décrire ses goûts, ses hobbies, ses enfants les plus beaux du cybermonde, son CV et ainsi de pouvoir recevoir des messages d’autres collectionneurs, voire des offres d’emploi, le recrutement par Internet se développant très fortement. Citons à titre d’exemple la page personnelle (“ home page ”) de notre camarade Lagane qui lui a valu une semaine après sa mise en ligne des messages du monde entier (ourworld.compuserve.com/ homepages/Robert Lagane/).
L’Internet renforce ainsi le caractère distribué de la télématique, mais dans un modèle de communication essentiellement symétrique alors que le Minitel était fondamentalement asymétrique (terminal passif vers serveur intelligent).
De plus en plus d’informations de toutes sortes sont donc disponibles d’où le rôle clé joué comme dans la télématique par les annuaires et ce qu’on appelle les moteurs de recherche, c’est-à-dire des ordinateurs qui feuillettent en permanence les milliards de pages du Web, les indexent et permettent de retrouver une information selon plusieurs critères. D’où également l’apparition de systèmes permettant de personnaliser l’information souhaitée par l’utilisateur.
Alors que la télématique Minitel est essentiellement anonyme, le Web commence à permettre d’afficher les services, mais aussi les publicités correspondant au profil d’usage. C’est l’émergence du marketing “ one to one ”.
3) Le commerce électronique : c’est la troisième application que l’on trouve sur Internet et qui est développée en détail dans l’article spécifique sur ce sujet. C’est aussi la grande interrogation du moment : comment faire de “ l’argent sur Internet ” ?
Il y a en fait deux grandes catégories de fournisseurs de services : les annonceurs qui sont dans une logique publicitaire et les éditeurs qui vendent de l’information à valeur ajoutée. Les premiers rentabilisent leurs services sur les ventes des biens qui leur seront commandés et apprécient le Web comme support de publicité mondial, les seconds vendent de l’information et doivent trouver un moyen de se rémunérer directement. Ce point est d’autant plus crucial en France que l’économie du Minitel s’est fondée sur le partage des revenus moitié/moitié entre les fournisseurs de service et l’opérateur.
Par ailleurs, le système du Minitel est basé sur le temps et le compteur téléphonique ; or dans un modèle “ client-serveur ” où l’on passe de serveur en serveur pour feuilleter des pages, l’économie ne peut plus être basée sur la seule durée mais sur la valeur de l’information. Il faut donc retrouver sur le Web des systèmes qui permettent de facturer de manière économique des petits montants (5 F en moyenne pour une transaction télétel) tout en introduisant d’autres systèmes de comptage. Ces systèmes commencent à apparaître, permettant d’acheter en ligne des biens produits à l’autre bout de la planète et l’esquisse d’une place de marché mondiale se dessine.
Le rôle d’un opérateur
L’Internet offre donc l’image d’un univers bouillonnant, encore brouillon mais riche d’un potentiel de développement considérable comme en témoigne la durée passée par un utilisateur moyen sur Internet : quinze minutes par connexion contre trois minutes avec le Minitel.
Il était donc essentiel pour un opérateur comme France Télécom de favoriser le développement de ces nouveaux usages en essayant de tirer parti au mieux de l’expérience du Minitel. L’engagement pris sans arrière-pensée depuis deux ans dans ce domaine se traduit à plusieurs niveaux.
Le premier rôle et le plus naturel a été d’abord de mettre en place l’infrastructure en fournissant les adresses IP comme on fournit les numéros de téléphone et d’assurer la connectivité partout en France sur le réseau le plus répandu : le téléphone et sa version turbo, Numeris (2 lignes avec des débits de 128 kbit/s).
Une “ porte ” d’accès à Internet a été ainsi construite dans chaque circonscription téléphonique rendant le Web mondial accessible au prix d’une communication locale. Ce réseau est étendu au niveau mondial à travers l’alliance conclue avec Deutsche Telekom et Sprint : Global One.
Dans ce réseau est introduite progressivement la technologie ATM, sorte d’échangeur rapide permettant d’améliorer la régulation du trafic sur les autoroutes ; et en extrémités (les bretelles d’accès) différents supports à plus haut débit sont expérimentés : modems ADSL sur réseau de cuivre traditionnel, raccordement par fibre optique, réseau câblé de télévision et même satellite.
Mais cette action n’est pas suffisante. Dans un marché encore adolescent où l’utilisateur est déconcerté par la complexité de ces systèmes, il est essentiel de développer des services d’accompagnement en fournissant à l’utilisateur la boussole pour naviguer et parfois la bouée de sauvetage.
Dans son offre grand public, Wanadoo (www.wanadoo.fr), France Télécom a ainsi mis l’accent sur les services d’assistance, de guide et d’annuaire en français, partant du principe que dans un océan de communication, il est illusoire de contrôler des contenus de plus en plus personnels et qu’il vaut mieux aider l’utilisateur à trouver SON contenu. Une version Web des Pages Jaunes a ainsi été développée permettant aux 300 000 annonceurs de l’annuaire de présenter leurs produits sur le Web, de gagner ainsi une nouvelle audience et de construire progressivement une version électronique de leur boutique (www.pageszoom. fr).
Un annuaire des sites francophones accessible en langage naturel (le “ quiquoiou ”) a également été développé en utilisant l’expérience des développements de l’annuaire électronique.
Afin de favoriser le développement de ces nouveaux usages, un rôle de pédagogie est également joué à travers des offres spécifiques pour différents secteurs d’activité : santé, éducation, collectivités locales. Cette action est couplée à une action d’aide au développement des contenus par des investissements minoritaires dans ce secteur.
Enfin le développement de moyens de paiement est le dernier axe de développement : un kiosque Internet permettant de facturer des pages Web à valeur ajoutée et des passerelles vers le Minitel qui permettent aux fournisseurs de services une migration douce d’un domaine à l’autre sont déjà mis en oeuvre.
Des expérimentations avec des systèmes de paiement électronique développés en partenariat avec la communauté bancaire sont également menées, comme le consortium e‑comm qui regroupe BNP, Société Générale, Gemplus et Visa.
Les enjeux du futur
Ces actions conjuguées à celles des nombreux autres acteurs du marché français devraient permettre à celui-ci de connaître une forte croissance dans les mois à venir et de passer des 250 000 abonnés individuels (hors réseaux Intranet d’entreprises) d’aujourd’hui à près de 2 millions en l’an 2000.
Est-ce que le Minitel est pour autant condamné, remplacé par le PC, lui-même simplifié et absorbé dans le téléviseur ? De plus en plus la vision monolithique et radicale du terminal unique paraît inadéquate. Les usages vont de plus en plus se diversifier.
Il est vraisemblable que nous aurons à terme des prises de ce courant cybernétique qu’est Internet alimentées en permanence et que nous brancherons dessus des appareils variés de communication, de même que l’on branche des appareils électriques variés sans que le réfrigérateur ait intégré le four à micro-ondes.
Le téléviseur pour des usages dominés par le loisir, l’information et une interactivité de type réflexe ou zapping ; le PC pour une interactivité intensive, travail, éducation et le téléphone de plus en plus mobile pour la communication. Le Minitel est à la croisée des chemins et peut évoluer sans que ce soit exclusif vers le micro-ordinateur (plus de 800 000 micro-ordinateurs ont aujourd’hui des “émulateurs minitels ”), vers l’univers du téléphone à écran pour toutes les informations immédiates (cours de la bourse, horaires de cinéma, messages courts, etc.) où l’on n’aura pas forcément besoin ni envie de mettre en marche son ordinateur multimédia, ou enfin vers l’univers des PC simplifiés dont les expérimentations vont commencer cette année.
En tous les cas le Minitel sans attendre évolue : Minitel rapide Magis, possibilité à partir de tout Minitel d’envoyer et recevoir des messages e‑mail (3615 Minitelnet) et passerelle vers tous les services Minitel à partir de Wanadoo.
Ces évolutions de toute façon prendront du temps puisqu’il faut environ sept à dix ans pour qu’un nouveau terminal perce dans le grand public et même l’Internet où l’on compte en “ années de chiens ” ne devrait pas échapper à la règle.
Plusieurs questions demeurent encore posées sur ce développement :
• le prix des PC qui malgré les baisses des dernières années ramenées à la puissance de calcul unitaire demeure un investissement minimal de 10 000 F pour une configuration complète ;
• l’organisation du support et du service indispensables pour le béotien qui ne souhaite pas démonter la boîte de vitesses de sa voiture quand elle tombe en panne ;
• les auto-écoles de l’information : qui les assurera ?
• l’émergence d’un véritable marché mondial ou des marchés domestiques, dominés par les langues et les cultures locales ?
• enfin le code de la route et la déontologie : une autorégulation, telle qu’elle est souhaitée, peut-elle s’imposer au niveau international ?
Mais à plusieurs de ces questions, nous avons déjà en France avec notre culture télématique des réponses et des solutions en germe. Il faut simplement que nous fassions preuve dans tous les domaines et secteurs, de la même preuve d’ouverture qu’Internet, que nous hissions la voilure et que nous sortions du port.
Un exemple vécu de communication par InternetPremier temps : l’A.X. reçoit le FAX suivant :« De Robert Lagane promo 37 Deuxième temps : réponse de l’A.X. par Internet :Toutes nos félicitations à l’un des premiers X internautes ! Troisième temps : réponse de Robert Lagane par Internet :« Merci de votre réponse et tous mes vœux pour l’explosion de l’A.X. sur Internet. Pour information, critiques et suggestions, je vous communique la référence de mes premiers essais laborieux de homepage (4) personnelle… laquelle m’a déjà valu quatre messages en trois semaines de Los Angeles, Detroit, Bordeaux et Moulins… Court lexique :(1) E‑mail : adresse personnelle pour la messagerie électronique. |