Internet en milieu rural
La « toile d’araignée ? d’Internet n’a pas encore tissé de fils jusqu’aux entreprises françaises les plus sensibles aux grands courants internationaux ; et voici que dans les replis les moins accessibles du plateau de Millevaches, un cyberespace est créé, vit et se développe grâce à la population locale et à son profit. Étrange paradoxe. À quoi peut bien servir Internet dans un pays si reculé ? On vient de toute la France rurale voir l’expérience ; feu de paille qui retombera vite ou outil puissant et original de développement local ?
La « toile d’araignée » d’Internet n’a pas encore tissé de fils jusqu’aux entreprises françaises les plus sensibles aux grands courants internationaux ; et voici que dans les replis les moins accessibles du plateau de Millevaches, un cyberespace est créé, vit et se développe grâce à la population locale et à son profit. Étrange paradoxe. À quoi peut bien servir Internet dans un pays si reculé ? On vient de toute la France rurale voir l’expérience ; feu de paille qui retombera vite ou outil puissant et original de développement local ?
Si les promoteurs du projet ont voulu qu’un fil de réseau soit tiré jusqu’au fond de la Creuse, c’est précisément parce qu’ils y ont vu un moyen de rompre enfin un isolement séculaire. Il n’y a ici ni autoroute, ni train à grande vitesse, ni aéroport qui relie commodément aux grands centres français, européens ou mondiaux. Il fallait bien chercher autre chose. Internet, c’est une sorte de revanche : grâce au « Web », les distances sont abolies. Des petites communes reculées de Creuse, on est désormais en relations immédiates et fécondes avec Paris, Tokyo ou New York. Psychologiquement, c’est une révolution.
Maintenant, les associations de personnes âgées se bousculent au cyberespace pour visiter la dernière exposition de tableaux au Smithsomian de Washington ; les jeunes sont instantanément branchés sur les dernières chansons de leurs groupes musicaux préférés et ils échangent avec des inconnus allemands ou japonais leurs impressions sur les modèles de motos les plus récentes.
Mais Internet, en Creuse, ce n’est pas seulement une distraction pour une population isolée. L’association « Cyber en marche », qui gère le cyberespace local, ne se contente pas des quelque trois cents visiteurs que la curiosité et l’appétit d’informations attirent chaque mois ; elle veut aussi éduquer, avoir des perspectives, susciter des activités nouvelles : des chômeurs viennent se former, dans l’espoir d’acquérir d’utiles compétences ; les éleveurs de bovins du Limousin se frottent aux méthodes de ventes de leurs collègues du Kansas ; les offices de tourisme de la Creuse apprennent à vendre les gîtes ruraux, si nombreux dans le département, par l’intermédiaire d’Internet. Cette tâche éducative, soutenue par toutes les organisations socio-professionnelles locales, est une aventure.
Son application la plus spectaculaire est aussi celle qui était la moins attendue : elle concerne l’éducation nationale. Le département de la Creuse se caractérise par un grand nombre de petites écoles rurales dont les horizons sont très limités. Quelques maires audacieux ont décidé, à l’invitation de l’inspecteur d’académie, de rompre leur isolement en y installant des terminaux Internet. Voici que le monde entier fait irruption dans les salles de classe des villages, jusque-là éloignés de tout. L’enseignement de l’histoire, de la géographie et d’autres matières en est bouleversé. On travaille en commun avec des enfants du Québec. On présente sa commune, ses habitants, ses produits à des interlocuteurs qui vivent à 10 000 kilomètres.
Mais Internet sur le plateau de Millevaches, c’est plus que tout cela, plus encore qu’un accès mondial proposé aux entreprises locales. C’est une nouvelle ambition pour l’aménagement du territoire national : grâce à des coûts de travail inférieurs de 15 à 20 % à ceux de la région parisienne et grâce à l’appui bienveillant de grandes entreprises nationales comme Transpac, les services offerts sur le serveur local sont beaucoup moins chers que leurs équivalents en région parisienne.
Dès lors, il est possible d’imaginer que l’on peut inverser la tendance séculaire qui voulait que les ruraux émigrassent vers les centres urbains où le travail les appelait. Désormais, grâce aux nouveaux réseaux de communication, le travail peut aller là où les hommes l’appellent. Et pourquoi ne l’appelleraient-ils pas en ces collines verdoyantes où il fait bon vivre, où l’air et l’eau sont purs, la nature intacte et les communautés humaines équilibrées ?