André MAUZIN (21) 1901–1995

Dossier : ExpressionsMagazine N°521 Janvier 1997

André MAUZIN (21) 1901-1995Quand une réa­li­sa­tion spec­ta­cu­laire voit le jour, on oublie sou­vent d’évoquer les tra­vaux de ceux qui, des dizaines d’années aupa­ra­vant, furent pour­tant des pion­niers. Il importe de répa­rer cette injus­tice bien que cet hom­mage post­hume puisse paraître trop tar­dif. Les che­mi­nots auront com­pris que je veux par­ler du train à grande vitesse (TGV) et ceux qui ont connu André Mau­zin ne pour­ront que m’approuver. Comme j’ai été l’un de ceux-là et que j’ai eu l’honneur de tra­vailler avec lui en toute confiance de 1960 jusqu’à sa retraite en 1966, je me dois de me faire à moi-même le reproche de ne pas avoir plus sou­vent par­lé de lui dans les divers articles que j’ai signés ou les confé­rences que j’ai faites pen­dant toute la période exal­tante qui pré­cé­da la mise en ser­vice du TGV Sud-Est à l’automne 1981. Alors je vais ten­ter une répa­ra­tion qui ne pour­ra sûre­ment pas être complète !

Avant cela, il faut dire qu’André Mau­zin a connu un grand pres­tige dans les milieux fer­ro­viaires : aucun che­mi­not en effet ne peut dire n’avoir jamais enten­du par­ler de la “Voi­ture Mauzin ”.

La première voiture au monde d’auscultation des défauts géométriques des voies de chemin de fer

Cette voi­ture d’auscultation des défauts géo­mé­triques des voies de che­min de fer – comme ses soeurs – est encore en ser­vice et les gra­phiques qu’elle délivre sont appe­lés par les “ gens de la voie ” du nom de mau­zin, comme les voi­tures elles-mêmes : Atten­tion, disent-ils, le mau­zin va bien­tôt pas­ser ! Le mau­zin est affreux ! C’est le juge incor­rup­tible, la ter­reur du chef de dis­trict d’entretien de la voie ! Mau­zin deve­nu par l’outil qu’il créa un simple nom com­mun : quelle satis­fac­tion pour un ingénieur !

Je vais donc com­men­cer à expli­quer com­ment André Mau­zin mit bien­tôt son ima­gi­na­tion à pro­fit pour inven­ter un tel engin.

Voiture Mauzin d'auscultation des voies
Voi­ture Mau­zin d’aus­cul­ta­tion des voies

Sim­ple­ment parce que son objec­tif était de com­prendre et d’analyser les mou­ve­ments “ para­sites ” des véhi­cules fer­ro­viaires. Les défauts géo­mé­triques de la voie, s’ils ne sont pas seuls en cause, jouent bien sûr un rôle impor­tant, mais peu­têtre pas aus­si fon­da­men­tal qu’on l’avait cru il y a quelques décen­nies. Une telle recherche était néces­saire et logique mais très dif­fi­cile à conduire.

André Mau­zin savait très bien qu’en mesu­rant des flèches et des dif­fé­rences de niveau par rap­port à une moyenne, ou bien des dévers et des varia­tions de dévers sur des bases limi­tées, il ne pou­vait par­ve­nir qu’imparfaitement à une défi­ni­tion intrin­sèque de la géo­mé­trie de la voie et qu’il lui serait impos­sible d’atteindre une défi­ni­tion car­té­sienne abso­lue en (x, y, z). Je crois qu’il fut déçu car ces pre­miers enre­gis­tre­ments gra­phiques ne lui appor­tèrent pas suf­fi­sam­ment d’éléments uti­li­sables pour sa recherche ; de sorte que, fina­le­ment, ce furent les “ gens de la voie” qui tirèrent le plus grand pro­fit de son inven­tion pour pro­gram­mer les tra­vaux d’entretien de la voie.

Il faut spé­cia­le­ment sou­li­gner la pré­ci­sion des mesures – de l’ordre du mil­li­mètre – obte­nue avec des moyens pure­ment méca­niques où les mou­ve­ments des câbles trans­met­tant ceux des galets pal­peurs étaient amor­tis sim­ple­ment par des “ san­dows” ; on n’a pas fait mieux avec des outils modernes car, outre la pré­ci­sion obte­nue, il faut éga­le­ment sou­li­gner la fia­bi­li­té du sys­tème que lui appor­tait sa grande rusticité.

Et, plus tard, au cours des années 1970, ce sont ses col­lègues du dépar­te­ment des “ Études et Recherche Voie ”, dont le chef était le signa­taire de cet article, qui, en uti­li­sant le cal­cul opé­ra­tion­nel, c’est-à-dire la trans­for­ma­tion de Fou­rier, trai­tèrent les gra­phiques mau­zin trans­fé­rés sur bandes magné­tiques pour pas­ser des spectres des défauts de voie aux spectres des “ réponses ” des véhi­cules par ce qu’on appelle les “ fonc­tions de transfert ”.

Car, à cette époque, la “ Recherche ” avait acquis ses titres de noblesse ; ce n’était pas le cas en 1925 quand André Mau­zin, à sa sor­tie de l’X, entra à la Com­pa­gnie d’Orléans et décla­ra vou­loir se consa­crer essen­tiel­le­ment à la recherche. Il ne fut pas com­pris par les diri­geants de ce réseau qui consi­dé­raient que les pro­grès devaient se faire uni­que­ment sur le tas…

Mais la téna­ci­té d’André Mau­zin eut rai­son des réti­cences de ses patrons de la Com­pa­gnie du PO-Midi et, dès 1927, il prend la tête d’un petit orga­nisme, la “ Sec­tion des Essais et Recherches ” = SER. À la créa­tion de la SNCF, en 1938, la SER fut absor­bée par la direc­tion du Maté­riel et de la Trac­tion qui lui accor­da une cer­taine indé­pen­dance vis-à-vis des grands dépar­te­ments de cette direc­tion. On note­ra au pas­sage que le mot “ Essais ” est pla­cé avant le mot “ Recherche ”, alors que l’inverse eût été plus logique, bien que la recherche appli­quée ne se conçoive pas sans mesures et sans expérimentations.

Développements de l’utilisation du quartz piézo-électrique… et autres instruments

André Mau­zin déve­lop­pa l’utilisation des accé­lé­ro­mètres, mais éga­le­ment des quartz dont les qua­li­tés pié­zo-élec­triques per­mettent des mesures des forces en conti­nu (le pro­fes­seur Lan­ge­vin avait été le pro­mo­teur de l’utilisation des quartz notam­ment pour les son­dages par ultra­sons). Pour mesu­rer les dépla­ce­ments, André Mau­zin uti­li­sa des poten­tio­mètres à capa­ci­té ou à résis­tance. Toutes ces mesures enre­gis­trées sur papier, puis plus tard sur bandes magné­tiques, appor­tèrent des infor­ma­tions consi­dé­rables. De tels appa­reils furent uti­li­sés par André Mau­zin aus­si bien sur les loco­mo­tives que sur les voi­tures et sur les wagons d’où les infor­ma­tions sont trans­mises à une voi­ture-labo­ra­toire atte­lée au convoi, et cela à n’importe quelle vitesse. À notre époque une telle démarche paraît tout à fait banale ; ça ne l’était pas en 1930, ni même dix ans plus tard.

Rame TGV record du 18 mai 1990 à 515,3 km/h
La rame TGV 325, le 18 mai 1990, au km 166,8 de la ligne nou­velle Paris-Tours à 10 h 06, a été pho­to­gra­phiée à la vitesse record de 515,3 km/h.

C’est ain­si qu’est née véri­ta­ble­ment la “ dyna­mique fer­ro­viaire ”. Puis, comme dans beau­coup d’autres domaines, on fit après la der­nière guerre mon­diale des pro­grès bien plus impor­tants dont André Mau­zin fut, sans conteste, un des arti­sans de pre­mier plan. Il faut sou­li­gner que, constam­ment, il esti­ma indis­pen­sable de dis­po­ser d’habiles col­la­bo­ra­teurs et d’un ate­lier pour fabri­quer et mettre au point l’appareillage dont il avait besoin pour ses mesures, afin de pou­voir l’adapter et le modi­fier rapidement.

S’il fut un brillant expé­ri­men­ta­teur, il fut aus­si un mathé­ma­ti­cien : l’interprétation des résul­tats des mesures ayant, bien sûr, pour fina­li­té la recherche des lois qui régissent les phé­no­mènes obser­vés. L’homme de la rue s’émerveille de la com­plexi­té de l’être vivant et des suc­cès rem­por­tés par la méde­cine pour en cor­ri­ger les dérives et en gué­rir les mala­dies, il a moins conscience des mys­tères de la matière inerte : quoi de plus simple appa­rem­ment qu’une roue d’acier rou­lant sur un rail ? Et pour­tant, les ingé­nieurs fer­ro­viaires eurent bien du mal à trou­ver les lois qui régissent les phé­no­mènes d’adhérence et ceux dits de “ pseu­do-glis­se­ment ” entre la roue et le rail.

Recherche des lois du déraillement

André Mau­zin s’est ain­si éver­tué à recher­cher com­ment se pro­duisent les déraille­ments ; sa méthode était : expé­ri­men­ta­tion d’abord, recherche des lois ensuite ! À cet effet, il construi­sit un “wagon dérailleur ”, un engin com­por­tant en son milieu un essieu sur lequel on pou­vait exer­cer des efforts ver­ti­caux et trans­ver­saux connus et éga­le­ment don­ner une orien­ta­tion variable. André Char­tet (31), qui fut pen­dant quelques années le proche col­la­bo­ra­teur d’André Mau­zin, ana­ly­sa les résul­tats des expé­riences menées et éla­bo­ra brillam­ment en 1950 la théo­rie du déraille­ment. Ces essais per­mirent notam­ment de mon­trer que, le plus sou­vent, la défor­ma­tion de la voie est anté­rieure au déraille­ment pro­pre­ment dit, c’està- dire à la mon­tée de la roue sur le “ cham­pi­gnon ” du rail.

La résistance de la voie à la déformation transversale

Alors les ingé­nieurs de la voie se pen­chèrent sur le pro­blème de la résis­tance trans­ver­sale de la voie sous l’action des efforts trans­ver­saux exer­cés par un essieu de charge variable. Ce n’est qu’au début des années 1960, donc bien tar­di­ve­ment, qu’une telle étude fut sys­té­ma­ti­que­ment menée en uti­li­sant pré­ci­sé­ment le wagon dérailleur d’André Mau­zin puis, un peu plus tard, des dis­po­si­tifs plus sophis­ti­qués pour s’affranchir des réac­tions des essieux por­teurs enca­drant l’essieu dérailleur-déformateur.

Ain­si furent éta­blies les lois défi­nis­sant la résis­tance trans­ver­sale de la voie, en fonc­tion de son arme­ment, d’une part : type de rail, type de tra­verses, nature, gra­nu­lo­mé­trie, pro­fil et com­pac­tage du bal­last, charge ver­ti­cale de l’essieu et, d’autre part, grâce à cette connais­sance et à la mesure conti­nue des efforts, soit direc­te­ment par quartz, soit indi­rec­te­ment par com­bi­nai­son de diverses accé­lé­ra­tions. Ain­si, sys­té­ma­ti­que­ment, les essais menés sur le TGV 001 pen­dant la décen­nie 1970–1980 ont pu être conduits au-delà de 300 km/h sans risque de défor­ma­tion de la voie ni de déraillement.

Le problème du lacet

André Mau­zin s’intéressa bien sûr au pro­blème spé­ci­fique fon­da­men­tal qui est la han­tise de tous les ingé­nieurs fer­ro­viaires : le lacet. Ce phé­no­mène consiste simul­ta­né­ment en un mou­ve­ment de trans­la­tion trans­ver­sale accom­pa­gné d’un mou­ve­ment de rota­tion autour d’un axe ver­ti­cal pas­sant par le centre de gra­vi­té du véhi­cule, axe ver­ti­cal qui est géné­ra­le­ment un axe de symé­trie. Le véhi­cule élé­men­taire étant le bogie, le véhi­cule fer­ro­viaire com­plet com­porte le plus sou­vent une caisse repo­sant sur deux bogies aux­quels elle est reliée par des sys­tèmes de sus­pen­sion ver­ti­cale et trans­ver­sale ; cette caisse, elle-même, est ain­si ani­mée d’un mou­ve­ment de lacet.

On sait mettre ces phé­no­mènes en équa­tions, mais on se trouve en pré­sence d’un sys­tème d’équations dif­fé­ren­tielles du second ordre que l’on ne sait pas résoudre dans les cas les plus géné­raux. En sim­pli­fiant, on arrive à trou­ver l’expression algé­brique de ce qu’on appelle les “ vitesses cri­tiques ” et à com­prendre l’influence rela­tive des para­mètres sur les­quels on peut agir. Dès la pre­mière vitesse cri­tique, le mou­ve­ment de lacet cesse bru­ta­le­ment d’être amor­ti pour deve­nir “ contre-amor­ti ” et, bien enten­du, les efforts trans­ver­saux deviennent très impor­tants. On conçoit que pour rou­ler à grande vitesse, il importe que cette vitesse cri­tique soit plus éle­vée que celle à laquelle on désire circuler.

C’est la maî­trise de ce pro­blème qui a per­mis aux ingé­nieurs fran­çais de réa­li­ser les pre­miers TGV opé­ra­tion­nels sur la ligne spé­ciale Paris-Lyon et de les mettre en ser­vice à l’automne 1981 d’abord à 270 km/h puis plus tard en 1989 sur le TGV-Atlan­tique et en 1993 sur le TGV-Nord-Europe et Euros­tar à 300 km/h. Depuis 1990, d’ailleurs, la France détient tou­jours, on le sait, le record de vitesse sur rail à 515,3 km/h.

André Mau­zin fut de ceux qui appro­fon­dirent le pro­blème de la sta­bi­li­té des bogies ; il pro­po­sa même en 1964 deux nou­veaux types de bogies ; un seul fut rete­nu, pour des rai­sons qu’il n’est pas pos­sible d’expliciter ici.

Ce phé­no­mène de lacet don­na lieu, à l’initiative d’un très grand ingé­nieur, Robert Lévi (14), alors direc­teur des Ins­tal­la­tions fixes de la SNCF, à un concours inter­na­tio­nal dont les lau­réats furent deux ingé­nieurs fran­çais. Ce concours fut sui­vi par la créa­tion du Comi­té consul­ta­tif de l’Office de recherche et d’essais (ORE) de l’Union inter­na­tio­nale des che­mins de fer (UIC). Ce comi­té com­pre­nait des mathé­ma­ti­ciens de haut niveau, fran­çais (le pro­fes­seur de Pos­sel) et néer­lan­dais (le pro­fes­seur Van Bom­mel) à côté de spé­cia­listes fer­ro­viaires alle­mands, bri­tan­niques, suisses et fran­çais (dont A. Mau­zin et le signa­taire de ces lignes). Le rôle de ces spé­cia­listes fut de don­ner aux mathé­ma­ti­ciens toutes les don­nées dis­po­nibles afin de les orien­ter, mais aus­si d’éviter les “ envo­lées ” des mathé­ma­tiques, ceci afin d’aboutir essen­tiel­le­ment à des conclu­sions appli­cables dans la pra­tique ; ce ne fut pas tou­jours simple car les démarches et les moti­va­tions des mathé­ma­ti­ciens ne coïn­ci­daient pas néces­sai­re­ment avec celles des ingénieurs…

En défi­ni­tive, l’expérimentation demeu­ra d’un inté­rêt pri­mor­dial et la théo­rie ne per­mit pas de cal­cu­ler avec une pré­ci­sion suf­fi­sante quelle serait la vitesse cri­tique d’un véhi­cule bien défi­ni sur une voie fer­rée don­née, ceci en rai­son de la mécon­nais­sance pré­cise, à tout ins­tant, des carac­té­ris­tiques tant géo­mé­triques que méca­niques de la voie et du véhi­cule. Tou­te­fois, l’approche mathé­ma­tique fut très utile et per­mit de pré­ci­ser l’influence rela­tive des divers para­mètres sur les­quels on peut jouer.

Le confort dynamique

Le pro­blème de la sta­bi­li­té de marche réso­lu, il fal­lut aus­si s’intéresser au confort dyna­mique des voya­geurs, c’est-à-dire aux mou­ve­ments de la caisse. André Mau­zin s’intéressa alors à la sus­pen­sion secon­daire et donc aux fré­quences propres des mou­ve­ments de la caisse et à celles des bogies. Son idée était de faire en sorte que la sus­pen­sion secon­daire donne à la caisse une fré­quence propre net­te­ment plus faible que celle du bogie. Le lacet de bogie a une lon­gueur d’onde qua­si constante, et donc une fré­quence crois­sant avec la vitesse. La caisse sur sus­pen­sion, au contraire, a une fré­quence tem­po­relle qua­si constante ; il suf­fit donc que la réso­nance se pro­duise à faible vitesse pour que la caisse se tienne ensuite dans la zone super­cri­tique. André Mau­zin en fit la démons­tra­tion écla­tante en fai­sant rou­ler à 140 km/h un auto­rail sur une ligne très secon­daire dont la voie était de très mau­vaise qua­li­té, Male­sherbes-Pithi­viers ; cela se situait vers 1960. Ain­si fut défi­nie de façon empi­rique une “ note de confort ” = nombre d’heures de voyage sup­por­table sans impres­sion de fatigue, note éva­luée en fonc­tion des accé­lé­ra­tions mesu­rées dans la caisse.

La première voiture pendulaire

Pour ter­mi­ner, il faut rap­pe­ler qu’André Mau­zin fut le pre­mier à construire une “ voi­ture pen­du­laire ” en 1957. La presse parle actuel­le­ment de cette solu­tion comme d’un remède miracle pour cir­cu­ler à vitesse plus éle­vée sur les lignes exis­tantes, solu­tion bien plus éco­no­mique que le TGV qui néces­site la construc­tion coû­teuse de lignes nouvelles.

Voiture pendulaire Mauzin, en 1957.
Voi­ture pen­du­laire Mau­zin, en 1957.

Les jour­na­listes, friands de nou­veau­tés sen­sa­tion­nelles, se gardent bien de défi­nir avec objec­ti­vi­té les limites de cette solu­tion, dans la mesure où ils peuvent l’exposer cor­rec­te­ment… Si la voi­ture pen­du­laire inven­tée par André Mau­zin, il y a qua­rante ans, ne créa pas une révo­lu­tion, c’est que les situa­tions où elle aurait pu trou­ver une appli­ca­tion inté­res­sante et éco­no­mi­que­ment valable sont très limitées.

Rap­pe­lons que l’idée est de mettre à pro­fit l’insuffisance de dévers admis­sible dans une courbe tant du point de vue de la résis­tance trans­ver­sale de la voie que du risque du bas­cu­le­ment du véhi­cule vers l’extérieur de cette voie pour réduire “ l’inconfort ” res­sen­ti par le voya­geur sous l’effet de la force cen­tri­fuge non com­pen­sée. Pour sup­pri­mer ou tout au moins atté­nuer cette sen­sa­tion, il fau­drait que la voi­ture se couche vers le côté inté­rieur de la courbe alors qu’au contraire, en rai­son de l’élasticité de la sus­pen­sion, elle se couche vers l’extérieur.

Le “ coef­fi­cient de sou­plesse ” est tel que l’accélération res­sen­tie peut, par exemple, être majo­rée de 20 %, ce qui est consi­dé­rable1. Pour résoudre le pro­blème, l’idée est de “ sus­pendre la caisse ” audes­sus de son centre de gra­vi­té ; elle s’incline alors du bon côté, comme un pen­dule, de manière que la résul­tante du poids et de la force cen­tri­fuge soit per­pen­di­cu­laire au plan­cher de la voi­ture ; l’idée est simple, mais la réa­li­sa­tion est com­plexe et oné­reuse. Après la voi­ture pen­du­laire de Mau­zin, la SNCF déci­da de faire quelques réa­li­sa­tions sur des voi­tures clas­siques, mais avec des vérins télé­com­man­dés à par­tir d’un accé­lé­ro­mètre pla­cé à l’avant de la loco­mo­tive ; il ne s’agissait donc plus d’une pen­du­la­tion natu­relle, mais ce fai­sant on évi­tait toute hys­té­ré­sis et tout retard dans la mise en inclinaison.

Mais, cepen­dant, le gain de vitesse ain­si obte­nu n’était vrai­ment inté­res­sant que sur les lignes tor­tueuses qui, en géné­ral, ne sont pas com­mer­cia­le­ment les plus inté­res­santes en France. Ain­si, sur la ligne Paris-Tou­louse, dans la tra­ver­sée du Mas­sif cen­tral, où l’on cir­cule à 100 km/h en courbe de 500 m de rayon, on pour­rait atteindre 140 km/h, soit un accrois­se­ment de 40 %. Mais, dans une courbe de 1 000 mètres, valeur cou­rante sur la ligne PLM, Paris- Mar­seille, où l’on cir­cule à 160 km/h, on ne pour­rait atteindre que 190 km/h, soit seule­ment un accrois­se­ment de 20%.

Ain­si, on ne pou­vait résoudre de cette façon le pro­blème de satu­ra­tion qui se situait entre Paris et Lyon, mais plu­tôt l’aggraver au contraire du fait de l’écart crois­sant des vitesses entre les trains de fret et les trains de voya­geurs ain­si accé­lé­rés. C’est pour­quoi la SNCF déci­da de ne pas pour­suivre ces recherches et se tour­na réso­lu­ment vers l’étude de la grande vitesse sur des lignes nou­velles ne com­por­tant que des rayons supé­rieurs à 4 000 mètres2.

En Ita­lie, les études se sont pour­sui­vies et le pro­fes­seur Di Majo, de Fiat, trou­va une solu­tion ori­gi­nale, le “ Pen­do­li­no ”. D’autres réseaux de che­mins de fer peuvent trou­ver un cer­tain inté­rêt com­mer­cial dans la “ pen­du­la­tion ” mais sur le réseau de la SNCF, les cas viables sont très peu nom­breux ; il ne s’agit donc pas d’une alter­na­tive avan­ta­geuse par rap­port au TGV sur ligne nouvelle.

Je crois ne rien avoir oublié d’essentiel pour ce qui concerne le pro­li­fique et remar­quable tra­vail d’André Mau­zin dans le domaine fer­ro­viaire. Peu d’ingénieurs peuvent s’enorgueillir d’avoir autant mis à pro­fit leur intel­li­gence et leur ima­gi­na­tion et faire ain­si hon­neur à la com­mu­nau­té polytechnicienne.

André Mau­zin prit sa retraite en 1966. Dès 1940 il avait été lau­réat de l’Institut et, en 1943, titu­laire du prix Gar­nier de la Socié­té des ingé­nieurs et scien­ti­fiques de France ; peu avant sa retraite, il avait reçu la médaille d’or de la Socié­té d’encouragement pour l’industrie natio­nale. Il était che­va­lier de la Légion d’honneur et offi­cier dans l’ordre natio­nal du Mérite.

Il occu­pa sa retraite à la sculp­ture et au pia­no, qu’il avait appris dans son enfance : sculp­ture sur bois prin­ci­pa­le­ment et pia­no à quatre mains avec son épouse.

Il s’est éteint le 7 mars 1995 à l’âge de 94 ans.

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1.
Pour le TGV, on a réus­si à limi­ter ce coef­fi­cient de sou­plesse à moins de 10 %.
2. Une étude récente sur l’itinéraire Paris-Stras­bourg actuel a mon­tré que l’utilisation de voi­tures pen­du­laires per­met­trait de réduire la durée du tra­jet d’une demi-heure envi­ron, soit un gain de temps de 20 % alors que pour le TGV sur nou­velle ligne le gain serait de 40% : une heure cin­quante contre trois heures cin­quante. Seul ce der­nier temps de une heure cin­quante don­ne­ra au train l’avantage sur l’avion et inci­te­ra les auto­mo­bi­listes à pré­fé­rer le train…

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