L’envers du décor : Dans les quartiers sensibles, agir autrement face à la violence
Élevé dans des quartiers difficiles, Yazid Kherfi a connu très tôt la délinquance. Après un séjour en Algérie, il purge une peine de cinq ans en prison où il fait des études. Sans renier ce passé, il se consacre désormais à la lutte contre la violence.
Cet article rend compte d’une conférence que Yazid Kherfi a donnée le 10 décembre 2009 à l’École des mines, sous l’égide de l’École de Paris du management. Le conférencier est expert en prévention urbaine. Il intervient dans la formation continue des policiers, des magistrats, des personnels municipaux, des travailleurs sociaux et des surveillants de prison. Il est également chargé de cours au Département de sciences de l’éducation de l’université Paris-X- Nanterre. |
Yazid Kherfi se présente comme un expert en prévention urbaine. Cette expertise reconnue lui vient de son histoire. Issu de l’immigration – son père est kabyle – il naît à Triel en 1958. Quelques années après sa famille s’installe dans le quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie. Là, il parcourt tous les stades de la marginalisation que traversent un certain nombre de jeunes en banlieue, quand ils échappent au contrôle de leurs familles : échec scolaire, petite délinquance, maraude en bande organisée, vol de voiture, prison, récidive, retour en prison, nouvelle récidive et fuite en Algérie. Astreint à y faire son service militaire, il devient officier.
Mais se percevant toujours en immigré et ne supportant pas de vivre hors de France, il rentre et se fait attraper quelques mois plus tard. Ayant effectué sa peine, il est menacé d’expulsion, mais sa famille mobilise le témoignage du maire de Mantes, ce qui lui vaut une année probatoire au cours de laquelle il amorce sa reconversion.
La violence comme mode d’expression
Yazid Kherfi ne cherche pas à s’étendre sur son histoire, disant simplement que sa connaissance des problèmes des quartiers sensibles résulte du fait qu’il y a vécu la vie d’un jeune dans toutes ses dimensions de refus et de délinquance, ce qui l’a conduit à passer, en plusieurs séjours, cinq années en prison.
Il voit dans la violence un signe de bonne santé
Il en parle de façon très objective, comme un professeur de management analysant son expérience de la vie en entreprise. Il observe qu’avec la concentration des familles pauvres d’origine immigrée, les quartiers sensibles vivent une véritable ségrégation sociale que le système scolaire n’arrive pas à prendre en compte. Il en résulte un taux élevé d’échec scolaire et de grandes difficultés pour les jeunes à entrer sur le marché du travail.
Dans un tel contexte, il voit dans la violence un signe de bonne santé, car elle est le seul moyen qu’ils ont de se faire entendre. Quel que soit le parti au pouvoir, il faut en effet déclencher une crise pour être remarqué et obtenir autre chose que des discours. Ces jeunes ne refusent pas la société, ils revendiquent seulement d’en faire partie.
Des décisions loin du terrain
Situations aberrantes
L’éloignement des centres de décision conduit à des situations aberrantes : policiers astreints par des objectifs quantitatifs de répression, chefs d’établissements scolaires désignés à l’ancienneté et sans leur mot à dire sur le choix des enseignants, enseignants affectés là parce que, débutants, ils n’ont pas d’autre choix, et qui fuient aussitôt qu’ils en ont la possibilité, travailleurs sociaux dont le service se termine à l’heure où les jeunes auraient eu besoin d’eux.
Les jeunes n’arrivent pas à se faire entendre car tout ce qui concerne la vie dans ces quartiers est défini et décidé à des niveaux très éloignés du terrain, par des gens qui n’ont aucune appréhension directe de ce qui s’y passe. Ceux qui vivent au contact des habitants, policiers, enseignants, travailleurs sociaux sont largement démotivés par le fait qu’ils n’ont, eux non plus, pas voix au chapitre. Tout cela génère un sentiment d’impuissance qui ne peut qu’inciter les jeunes à chercher hors la loi des compensations.
Pourtant Yazid Kherfi s’en est sorti. Il manifeste un peu d’émotion en parlant de ceux qui l’ont aidé : ses frères et sœurs qui ne l’ont pas abandonné aux pires moments de son errance, le maire de Mantes qui a témoigné pour lui, le directeur de la mission locale de Mantes qui l’a écouté…
Ses frères et sœurs ne l’ont pas abandonné aux pires moments
Durant sa dernière incarcération au centre de détention de Liancourt dans l’Oise, il a passé deux CAP, et il a ensuite poursuivi des études jusqu’à une licence en sciences de l’éducation passée à Paris‑X – Nanterre en 1998, puis, en 2002, il a obtenu un DESS en ingénierie de la sécurité à l’Institut des hautes études de la Sécurité intérieure (IHESI) associé à Paris‑V.
Une approche d’ethnologue
Le conférencier ne renie rien de sa vie et son regard sur les quartiers sensibles est celui d’un ethnologue.
Une image détournée
L’image de ghetto souvent associée à certains quartiers est utilisée par les élus d’une certaine manière car, plus on parle de la violence, de la délinquance et de la toxicomanie dans ces quartiers, plus ils peuvent prétendre à des aides financières qui leur échappent si les choses vont bien.
Pour les jeunes de ces quartiers, la violence est un moyen d’exister et le franchissement de la frontière qui sépare les honnêtes gens des délinquants n’est pas un jeu tellement dangereux, dans la mesure où la plupart des délits sont classés sans suite. Comme tout le monde, ils ont besoin de considération et cette considération, ils la trouvent dans les bandes, puis dans le milieu carcéral. Mais pour la garder dans de tels environnements, il faut prouver qu’on le mérite, ce qui renforce leur exclusion du milieu des honnêtes gens et aussi l’image de ghetto de leur quartier.
C’est le regard de gens honnêtes et leur mobilisation en sa faveur, au moment où il risquait l’expulsion, qui a fait basculer Yazid Kherfi vers un engagement militant. Il s’est alors donné pour tâche de contrer ces enchaînements pervers, en créant des espaces et des temps de dialogue, où les jeunes puissent rencontrer, sans peur ni d’un côté, ni de l’autre, des policiers, des enseignants, des travailleurs sociaux, des gardiens d’immeuble…
Tous les jeunes recherchent la sécurité, la reconnaissance et l’amour
À ces rencontres, il donne pour objectifs de formuler des diagnostics et d’élaborer des propositions à soumettre aux autorités locales. Car dans ces quartiers, insiste Yazid Kherfi, il se passe aussi d’autres choses que la violence et la délinquance, et ce qu’y recherchent profondément tous les jeunes c’est la sécurité, la reconnaissance et l’amour.
Il a décrit en 2000 son aventure dans un livre intitulé Repris de justesse, réédité en 2003, où il évoque le plaisir qu’au temps de sa dérive il a trouvé dans la violence et dans la délinquance. Ce plaisir doit évidemment nous inquiéter : si des solutions sont trouvées qui améliorent l’éducation et la socialisation des jeunes de ces quartiers, seront-elles suffisantes pour le faire oublier ?
Une bouteille à la mer
Yazid Kherfi et la sociologue Véronique Le Goaziou ont publié Repris de justesse, livre qui retrace le parcours de Yazid Kherfi. Dans la préface, le psychologue Charles Rojzman, fondateur de la » Thérapie sociale « , écrit : » Ce livre est une bouteille à la mer. Il contient un message : Je ne suis pas complètement bon, je ne suis pas complètement mauvais. Voici ma vie, telle que je l’ai vécue, à partir de ce que j’ai reçu, en bien et en mal. Je n’ai pas renoncé à vous rencontrer. Ce livre en est la preuve. »