Lire et écrire autrement
Le livre s’est déjà coulé à moitié dans le moule d’Internet. L’accès immédiat à des milliers de livres est possible, à partir d’un ordinateur ou d’un simple téléphone. Apparaissent des écrans spécialement dédiés à la lecture de livres. Il faut s’en féliciter. Comme Alfred Sauvy l’observait : » Le facteur essentiel du développement et du progrès n’est pas le capital, mais le savoir des hommes. » Internet colporte aujourd’hui une grande part de ce savoir.
Il est donc pertinent d’alimenter la réflexion par la prospection d’un avenir déjà bien amorcé : quelles sont les mutations en cours dans l’édition ? La numérisation des bibliothèques contribuera-t-elle à la construction européenne ? À la vitalité de la francophonie ? Les liseuses électroniques seront-elles bientôt dans toutes les mains, écoliers y compris ? En quoi le métier d’écrivain se nourrit-il désormais des ressources de la Toile ? Quelles sont les formes nouvelles de publications scientifiques ?
Bref, ce dossier à plusieurs voix explore les modalités d’une symbiose d’Internet et du livre traditionnel.
Certes, à côté d’une meilleure diffusion de la culture, certains craignent un appauvrissement de cette culture. La nouvelle façon de lire et d’écrire ne va-t-elle pas se résumer à la forme triviale d’une petite annonce : cherche rédacteur réducteur pour lecteur butineur ?
» Ceci tuera cela, le livre tuera l’édifice « , écrivait Victor Hugo de l’invention de l’imprimerie expulsant des cathédrales leur statuaire. Notre inquiétude quant à la pérennité du livre s’ancre dans de telles analogies. Ne sont-elles pas fallacieuses ?
La Toile ne tuera pas plus le livre que le livre n’a tué le monument. Si elles ont perdu leur rôle de bande dessinée hiératique, nos cathédrales sont de plus en plus admirées et visitées. Et l’on n’a jamais publié autant de livres.
TémoignagePapier, ou électrons ?les deux, mon Colonel, ou plutôt le papier pour la volupté d’en humer les senteurs surannées, de le caresser amoureusement, d’en capter le fin duvet au bout des doigts ou, du regard, tout le lustre ; pour le plaisir d’entendre le doux crissement des feuillets que, d’un vieux grimoire, l’on égrène ; pour la surprise de tomber, dans une ruelle d’Alexandrie, sur une fabrique artisanale de papyrus, plongeon dans les siècles et dans les presque débuts de l’écriture ; pour l’émotion de tenir entre des mains soudain tremblantes une longue lettre de Leibniz découverte par hasard dans un tome des comptes rendus de l’Académie des sciences, année 1715 ; pour le saisissement d’entrevoir, en pensée, courir la main frémissante de Mozart faisant jaillir son Don Giovanni sur l’admirable manuscrit qu’en a offert Pauline Viardot à la France ; ou tout simplement pour le bonheur de tourner lentement les pages denses d’un roman de Léon Tolstoï, celles d’un manuscrit de Pierre-Gilles de Gennes ou celles d’un cours de Laurent Schwartz… Yves Quéré, ancien directeur de l’Enseignement à l’École polytechnique |