Du bon usage de Wikipédia

Dossier : Google m'a tuer ! (Le livre et Internet)Magazine N°653 Mars 2010
Par Alan ROCKE

Tout expert d’un domaine se trouve confron­té au dilemme sui­vant : doit-il ou non appor­ter sa contri­bu­tion à l’ex­tra­or­di­naire base de connais­sances que consti­tue Wiki­pé­dia ? La réponse est clai­re­ment oui, à condi­tion de bien com­prendre le mode de fonc­tion­ne­ment de cette ency­clo­pé­die et d’y consa­crer le temps nécessaire.

REPÈRES
Wiki­pé­dia est une ency­clo­pé­die col­lec­tive éta­blie sur Inter­net, uni­ver­selle, mul­ti­lingue. Son objec­tif est d’offrir un conte­nu libre, neutre et véri­fiable que cha­cun peut édi­ter et amé­lio­rer. La ver­sion fran­çaise lan­cée en 2001 compte plus de 900 000 articles et est ali­men­tée par plus de 5 000 auteurs. La liber­té inhé­rente au concept per­met un enri­chis­se­ment per­ma­nent de cette base de connais­sances, mais est source de contro­verse en rai­son de l’absence de contrôle des contenus.

Pour­quoi me suis-je enga­gé dans cette entre­prise et pour­quoi d’autres his­to­riens de pro­fes­sion devraient-ils en faire autant ? Les argu­ments à l’en­contre sont par trop évi­dents. Wiki­pé­dia est un forum sans sur­veillance que les étu­diants consultent trop volon­tiers. Il semble donc pour le moins per­vers de s’en­ga­ger dans cet univers.

D’autre part, même si l’on est l’au­teur d’un texte ou d’une inter­ven­tion édi­to­riale remar­quables, cela ne vous est pas payé et cela demeure ano­nyme. Pour­quoi gas­piller un temps pré­cieux à encou­ra­ger ce que l’on peut consi­dé­rer comme l’un des fléaux de notre exis­tence, pour nous autres ensei­gnants et intellectuels ?

Ce n’est ni dif­fi­cile ni chro­no­phage de deve­nir cor­rec­teur occasionnel

La réponse elle aus­si est évi­dente. On peut aver­tir les étu­diants d’a­voir à se défier de Wiki­pé­dia, ce qui est ma ligne de conduite, on peut même leur inter­dire de s’y réfé­rer pour rédi­ger un devoir de classe, mais croire qu’ils s’abs­tien­dront de le consul­ter est d’une grande naï­ve­té. Sage Ross, dans son article sur » Wiki­pe­dia and the His­to­ry of Science « , four­nit des don­nées sur l’in­ten­si­té de la fré­quen­ta­tion de Wiki­pé­dia par ses uti­li­sa­teurs – d’une très grande diver­si­té, par­mi les per­sonnes en quête d’une infor­ma­tion – et il y a toute rai­son de pen­ser que cette ten­dance ne peut que s’ac­cé­lé­rer encore.

Plus ce site est uti­li­sé, plus il importe que l’in­for­ma­tion qu’on y trouve soit fiable. La com­mu­nau­té des spé­cia­listes d’un domaine est la mieux à même d’as­su­rer un tel contrôle.

Découvrir le mode d’emploi

J’en­cou­rage mes col­lègues his­to­riens, en par­ti­cu­lier les membres de la Socié­té d’his­toire des sciences (His­to­ry of Science Socie­ty, HSS), à visi­ter Wiki­pé­dia, en com­men­çant par les entrées sur des sujets his­to­riques qui leur sont fami­liers. S’ils tombent sur une erreur gros­sière et s’ils ont quelques ins­tants, qu’ils la cor­rigent. La per­sonne sui­vante à consul­ter cet article et tous les uti­li­sa­teurs après auront ain­si à leur dis­po­si­tion un article très lar­ge­ment amé­lio­ré. Si l’on mul­ti­plie en pen­sée cette » rus­tine » par plu­sieurs cen­taines, c’est-à-dire le nombre de socié­taires de l’HSS, on peut escomp­ter une grande amé­lio­ra­tion de la cou­ver­ture de l’his­toire des sciences par Wiki­pé­dia. Ma démarche ini­tiale fut moti­vée par l’ir­ri­ta­tion que j’ai res­sen­tie à lire un ou deux articles fran­che­ment mau­vais. J’ai consta­té de la sorte que ce n’est ni dif­fi­cile ni chro­no­phage de deve­nir cor­rec­teur occasionnel.

Des pistes d’amélioration

Mon expé­rience m’a­mène à faire plu­sieurs recom­man­da­tions. Tout d’a­bord, lorsque vous voyez une entrée que vous sou­hai­tez amé­lio­rer, cli­quez sur l’on­glet » modi­fier » puis allez‑y, cor­ri­gez son texte. Wiki­pé­dia a quelques règles de frappe non conven­tion­nelles, vous aurez vite fait de les apprendre en consul­tant les cor­rec­tions édi­to­riales de la même page, anté­rieures à la vôtre.

Faites-vous connaître

Comme l’his­to­rien Sage Ross l’ex­prime dans un article publié par His­to­ry of Science Socie­ty, la grande majo­ri­té des uti­li­sa­teurs de Wiki­pé­dia sont ravis de trou­ver des contri­bu­tions éma­nant d’ex­perts et la plu­part vous réser­ve­ront un accueil enthou­siaste et res­pec­tueux de votre savoir en tant que supé­rieur aux leurs. Mais ils sont inca­pables de vous iden­ti­fier en tant qu’ex­pert si vous ne le faites pas savoir et peuvent même, dans leur igno­rance, vous croire non compétent.

Votre tra­vail ter­mi­né, allez dans l’en­coche » dis­cus­sion » pour expli­quer aux autres édi­teurs les rai­sons de votre modi­fi­ca­tion, puis appuyez sur le bou­ton » publier « . Pour consul­ter les ver­sions anté­rieures de la même entrée, cli­quez sur l’on­glet » his­to­rique » en haut de la page. N’u­ti­li­sez pas de textes pro­té­gés par copy­right dans votre inter­ven­tion, même si vous citez vos sources. Don­nez des réfé­rences lors­qu’elles s’imposent.

Autre conseil : bien que des inter­ven­tions édi­to­riales ano­nymes soient licites, il vaut mieux vous enre­gis­trer sous votre nom d’u­ti­li­sa­teur préa­la­ble­ment enre­gis­tré. Cela per­met à d’autres inter­ve­nants de dis­cer­ner qui a fait quoi. Cela vous four­nit aus­si une page en tant qu’u­ti­li­sa­teur dans laquelle pré­ci­ser à vos lec­teurs, comme je le fais, qui vous êtes, et cela vous per­met aus­si d’in­sé­rer un lien vers l’ins­ti­tu­tion dont vous faites partie.

Enfin, je reste impres­sion­né de la rapi­di­té avec laquelle sont répa­rés tant des actes de van­da­lisme que des cor­rec­tions édi­to­riales incom­pé­tentes. Si vous ne dési­rez pas qu’un autre inter­ve­nant, pris d’un accès de zèle, ramène votre prose admi­rable à la ver­sion anté­rieure, assu­rez-vous d’a­voir bien expli­qué vos cor­rec­tions dans le cadre pré­vu à cet effet, après vous être iden­ti­fié. Vous pou­vez recou­rir aus­si à la » dis­cus­sion » – toute entrée et tout uti­li­sa­teur de Wiki­pé­dia en a une – pour affi­cher vos vues.

Mais oui, tout ça prend du temps ! Com­bien ? D’une minute tous les 36 du mois à cent heures par semaine. Mais toutes les contri­bu­tions que vous ferez contri­bue­ront à amé­lio­rer encore une ins­ti­tu­tion en crois­sance hyper­ra­pide. Croyez-moi, le jeu en vaut la chandelle.

Témoi­gnages
Le Kindle est une pure « liseuse ». Son écran e‑Ink lui donne une longue auto­no­mie et per­met une lec­ture confor­table, en tour­nant les pages séquen­tiel­le­ment. Choi­sir son livre sur le por­tail d’Amazon, puis le trou­ver ins­tal­lé dans sa liseuse, via les réseaux mobiles, est son inno­va­tion « magique » car Ama­zon s’est construit une large offre de titres comme prin­ci­pal dis­tri­bu­teur des édi­teurs amé­ri­cains. D’où son suc­cès, par­ti­cu­liè­re­ment dans les fic­tions ou les livres rapi­de­ment péris­sables. Les chiffres en témoignent : durant la période de Noël, Ama­zon a ven­du davan­tage de ver­sions Kindle que papier lorsque les deux étaient dis­po­nibles. Cette liseuse révo­lu­tionne l’édition, comme l’iPhone pour l’Internet mobile.

Jean-Philippe Papillon (90),
directeur général de SagaTel et IT.Cal

Le réseau implique évi­dem­ment une modi­fi­ca­tion en pro­fon­deur des habi­tudes de lec­ture et de consul­ta­tion, dans la manière d’aborder les pro­blèmes. La sur­vie des biblio­thèques tra­di­tion­nelles est liée à la sur­vie du livre. Pour le moment au moins, il me semble que le livre ne va pas dis­pa­raître : plus on uti­lise les res­sources en ligne, plus on est ame­né à recou­rir à des livres, dans le cas de recherches telles que les miennes en tout cas. On a même l’impression, peut-être en par­tie illu­soire, que les livres publiés sont de plus en plus nom­breux, ou que du moins on a accès à un nombre crois­sant de livres et d’articles (grâce au prêt entre biblio­thèques en particulier).

Françoise Létoublon,
helléniste, Institut universitaire de France, Grenoble

Commentaire

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Oli­vier Cahenrépondre
4 octobre 2011 à 19 h 50 min

M.
A pro­pos du « Kindle » : avec cet appa­reil plus petit qu’un livre de poche, d’une auto­no­mie suf­fi­sante pour la durée de la tra­ver­sée de l’ag­glo­mé­ra­tion pari­sienne en RER, qui coûte moins de cent euros, on peut lire gra­tui­te­ment tous les grands classiques.
Que sera l’a­ve­nir des libraires aux­quels on retire tout le mar­ché des livres dont les droits d’au­teurs sont épuisés ?

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