Réinvestir la sacralité du livre
Dans le monde numérique, l’avenir du livre ne s’écrira pas de la même façon pour la lecture professionnelle de plus en plus marquée par les nouveaux supports et la lecture plaisir, pour laquelle la magie du livre-objet est toujours présente. Une mutation qu’il est important d’accompagner si l’on veut que le livre reste un instrument de correction de l’inégalité des chances.
L’irruption du numérique dans le monde du livre inquiète ses acteurs, même si bien des choses ont évolué depuis peu. Distinguons deux lectures, la lecture personnelle, pour le seul plaisir, et la lecture professionnelle, en quête d’informations. Le livre survivra pour la lecture plaisir.
REPÈRES
Le Centre national du livre a été créé pour encourager la création et la diffusion d’ouvrages de qualité, via divers dispositifs de soutien aux acteurs de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques, organisateurs de manifestations littéraires). Il est également un lieu de rencontres, d’échanges et d’actions interprofessionnelles.
On peut concilier bibliophilie et lecture informative sur écran
Mais il devra céder à d’autres supports pour la lecture professionnelle, il devra pour le moins leur concéder de l’espace. Est-ce à dire que l’on publiera moins de livres ? Même si cela devait être le cas, ce n’est pas forcément une situation regrettable. Tout au contraire, cela pourrait s’avérer une bonne nouvelle. Cela rendrait le livre au magistère de la littérature.
Psychose
L’inquiétude est atavique dans le milieu du livre. Le livre est depuis longtemps annoncé comme mort. Au dix-neuvième siècle, quand on a lancé le livre à un franc, on a prédit sa disparition. On l’a répété à l’avènement de la radio, puis de la télévision, puis de l’ordinateur. Or le livre est toujours là, on en publie et on en vend de plus en plus.
Et cela redonne aussi du temps au livre ! Lorsque, comme à présent, on publie en France 60 000 nouveaux titres par an, la rotation en librairie est bien trop rapide. Les libraires ont à peine le temps de défaire les cartons, de proposer des titres aux lecteurs, s’imposent déjà les retours.
Sortir de son univers
Des monuments, comme le Code civil, les dictionnaires et encyclopédies, peuvent aisément et au bénéfice de tous, car ils sont encombrants, coulisser vers l’écran. Et cela n’enlève rien à la magie du livre-objet qu’on continuera à garder chez soi.
Un sur quatre
Même s’il diminue, le taux de non-lecteurs demeure élevé. Près d’un Français sur quatre de plus de 15 ans n’a pas lu de livres au cours des douze derniers mois.
Dans le même temps, le nombre de faibles lecteurs augmente tandis que celui des forts lecteurs diminue. 38 % des personnes interrogées lisent moins de 10 livres par an (en comptant les bandes dessinées), contre 24 % en 1973.
Si cela apparaît comme rassurant, en principe, certains faits sont préoccupants. Alors que l’on comptait 22 % de lecteurs lisant plus de vingt-cinq titres par an en 1973, en 2005 ils n’étaient plus que 15 %. Cette dérive est inquiétante. On ne fait pas suffisamment le parallèle entre cette diminution du nombre de gros lecteurs et la fracture sociale. Le livre reste le dernier instrument de correction de l’inégalité des chances.
Cela dit, on croyait en avoir fini avec l’illettrisme et, depuis une dizaine d’années, il fait un retour spectaculaire, ce qui n’est pas étranger à la disparition du livre comme objet structurant. Il faut réinvestir la sacralité du livre à l’école.
Rester optimistes
Certains s’alarment de ce que le livre pourrait suivre le même déclin que la presse écrite. Il y a là un parallèle qu’il faut récuser. Le livre, c’est le temps et le silence. À l’opposé de la société contemporaine, marquée par le bruit, la rapidité et l’hyperconsommation publicitaire, le livre reste l’antichambre du pacte républicain fondé sur le savoir et le mérite
Bibliothèques pour tous
La fréquentation des bibliothèques n’a pas décru : elles restent l’équipement culturel favori des Français. Mais, son public est majoritairement étudiant et appartient en grande partie aux classes moyennes alors que la bibliothèque a été créée pour les plus démunis.
La clé du livre, c’est de rester fidèle à ses fondamentaux. C’est ce que la presse n’a pas su faire, cédant à une sorte de course à l’échalote stérile avec les médias et perdant ses lecteurs en voulant en conquérir d’hypothétiques. Les éditeurs sont un autre atout du livre. La France à la chance d’avoir encore des éditeurs qui sont des professionnels complets, et parfois en même temps d’excellents auteurs.
Il est, par contre, une crise bien réelle de la fonction critique. Elle est liée à plusieurs facteurs. On a substitué à une critique parfois virulente et ouvertement subjective une critique faussement objective. On a cessé de donner suffisamment de place à la critique.
Une politique active de soutien
La numérisation en marche
Pour le numérique, fort du précédent de la musique, il a été décidé d’anticiper plutôt que subir en attribuant près de 30 millions d’euros sur trois ans, via le CNL, et gérés par une commission du Syndicat national de l’édition. Ces fonds ont non seulement servi à la Bibliothèque nationale pour la numérisation du patrimoine écrit mais aussi aux éditeurs volontaires pour les livres sous droits. Aujourd’hui, une centaine d’entre eux a numérisé 16 000 titres.
Le ministère de la Culture a organisé depuis septembre 2006 une vaste concertation avec plus de 200 professionnels. Ces travaux ont abouti à un rapport intitulé » Pour que vive la politique du livre » établi par Sophie Barluet. Celle-ci s’est également appuyée sur des entretiens individuels et des enquêtes – notamment sur les bibliothèques et la librairie indépendante – menés sous l’égide de la Direction du livre et de la lecture. Les 50 propositions présentées en fin de rapport sont axées autour des thèmes suivants : le soutien à l’économie du livre (librairies, édition, auteurs, illustrateurs et traducteurs) ; les enjeux du numérique pour l’écrit, la lecture publique et le patrimoine écrit ; l’action de l’État en faveur de la politique du livre, notamment le rôle du Centre national du livre.
Ce rapport montre également que les acteurs de la chaîne du livre ne travaillent pas ensemble alors qu’ils partagent les mêmes valeurs. Une large expérimentation de la numérisation a pu ainsi être entreprise. Il faudrait maintenant passer à une numérisation choisie. Pourquoi ne pas utiliser le numérique pour accomplir l’ambition de Malraux qui voulait » rendre accessibles au plus grand nombre les oeuvres capitales de l’humanité » ?
La clé du livre, c’est de rester fidèle à ses fondamentaux
En ce qui concerne les libraires, une dizaine de millions d’euros a permis de créer un label pour les libraires indépendants de référence (LIR). Les labellisés seront exonérés de la taxe professionnelle. On attribue aussi des bourses aux libraires (on est passé en trois ans de 500 000 euros à 3 millions) et il existe également un fonds de transmission pour aider les nouveaux libraires à prendre le relais de leurs aînés. Il faut » aider moins pour aider mieux « .
Quant à la gouvernance, un Conseil du livre se réunit deux fois par an sous la présidence du ministre de la Culture. C’est une sorte de parlement du livre qui n’aborde que des sujets stratégiques. Ainsi, la politique publique est transparente. Tous les sujets évoqués ici ont été discutés et validés en son sein.
Article tiré d’un entretien avec Josyane Savigneau, Le Monde, 13 juin 2009, p. 22.