Illettrisme : un problème criant que l’on tait
Définition
Définition
Au XVIIIe siècle, un homme était dit » illettré » quand il ne connaissait pas les » belles lettres » ! De nos jours, un illettré est celui qui a appris à lire, qui a donc dépassé le stade de l’analphabétisme mais qui ne maîtrise pas la lecture et l’écriture. Être illettré, c’est lire mal, rester au mieux à la surface d’un texte, avoir du mal à écrire, à argumenter et à recevoir un discours avec discernement.
En 1946, la question » Savez-vous lire et écrire ? » a été retirée de l’interrogatoire de recensement, parce que, grâce à la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, il était inutile de poser une question dont la réponse allait de soi ! En 1979, la France, en réponse à une enquête européenne, écrit qu’il n’y a pas de problème d’illettrisme en France.
Dix pour cent de la population des plus de 18 ans
Le réveil a eu lieu un peu plus tard, vers les années 1980, quand le » fantôme de l’illettrisme » s’est mis à hanter l’Europe et les États-Unis. En 1984, le gouvernement crée un Groupe permanent de lutte contre l’illettrisme, et en 1996, une enquête de l’OCDE estime que 40 % des Français sont en situation d’illettrisme. En 2000, création de l’ANPLI, » Agence nationale de lutte contre l’illettrisme « .
Grâce à un patient travail de cette Agence pour définir le sens des mots, le contenu de la notion d’illettrisme, les questions à poser, notamment dans les » Journées d’appel de préparation à la défense » (JAPD), qui regroupent chaque année d’un coup quelque 800 000 jeunes dont on peut tester les capacités, on cerne assez bien le problème, sa gravité et son étendue.
En France, en 2006, ce sont 3 100 000 personnes de plus de 18 ans qui peuvent être, à des degrés divers, reconnues en position d’illettrisme, soit environ 10 % de cette population.
Plus de trois millions d’illettrés en France
Quelques précisions : plus de la moitié est âgée de plus de 45 ans ; les hommes (59 %) sont plus nombreux que les femmes ; la moitié des personnes concernées vit en zone urbaine ; 57 % des personnes concernées ont un emploi et 11 % sont au chômage ; il est remarquable que plus des trois quarts des gens en situation d’illettrisme utilisaient exclusivement le français à la maison à l’âge de cinq ans.
En ce qui concerne les jeunes de 18 ans, 35 % d’entre eux ont plus ou moins de peine à lire, et c’est 11 à 12 % d’une classe d’âge, soit 100 000 jeunes par an qui ne savent pas du tout ou pratiquement pas lire à la sortie de leur scolarité obligatoire…
Un phénomène mondial
Jeunes en difficulté
Les tests annuels des 800 000 jeunes des JAPD dégagent quatre grandes catégories de lecteurs : ceux qui ont des difficultés sévères (ils ne savent pas lire ! ce sont, en fait, des analphabètes) sont 5 % d’une classe d’âge ; les lecteurs qui ânonnent et déchiffrent à peine sont 6 à 7% ; les lecteurs médiocres, qui ont du mal à bien comprendre ce qu’ils déchiffrent, sont 10% ; enfin, dernière catégorie en difficulté, les lecteurs fiables mais lents sont 15%.
Le drame de l’illettrisme touche la plupart des pays occidentaux. Les tests de l’OCDE permettent, entre autres, de classer les élèves en cinq catégories. Entre 2000 et 2006, la note de la moyenne des 30 pays de l’OCDE (arbitrairement fixée à 500, pour servir de référence) a baissé de 6 points.
Appropriation du langage
Ces constats préoccupants amènent à se pencher sur le problème et comprendre sa nature. La langue et ses usages forment le socle de la culture que chacun doit acquérir pour pouvoir vivre en société. Nul d’entre nous n’a inventé sa langue maternelle. Notre langue est un patrimoine. Encore faut-il la posséder. Or, une langue ne s’apprend pas comme un théorème, que l’on ignorait et que maintenant l’on sait. Son appropriation par chacun demande un long apprentissage, avec son cortège de tentatives, de succès et d’échecs et, sans doute aussi, de recours à des bases formelles (grammaire).
Comprendre pour agir
L’enseignement primaire oublié
Dans le classement établi par l’OCDE, la France, avec 505 points en 2000, se situait au 15e rang, mais entre 2000 et 2006, sa note a chuté de 17 points. La Finlande et la Corée du Sud constituent invariablement le peloton de tête. La France investit, par élève, moins que la moyenne des autres pays de l’OCDE pour son enseignement primaire, mais plus que cette moyenne pour son enseignement secondaire, or on sait que l’illettrisme commence dès l’enfance.
Il est nécessaire tout d’abord de débusquer quelques idées reçues mais fausses, et partant, quelques fausses pistes de » solutions « . Il convient également de relativiser des prétendues » causes évidentes « , qui peuvent certes avoir un certain rôle mais qui ne sont pas des causes profondes : ainsi, la télévision et plus généralement les écrans, les » NTIC » (nouvelles technologies de l’information), la mauvaise formation des enseignants, la massification de l’école, etc.
L’illettrisme commence dès l’enfance
Quatre constats s’imposent. C’est dans l’enfance que se joue l’apprentissage de la langue et de l’écriture. Pour ceux qui partent dans la vie avec des bases incertaines, le risque de l’illettrisme est encore présent au fil de leur vie. L’illettrisme fabrique des marginaux, il n’existe pas d’illettré type. Enfin, la lutte contre l’illettrisme ne souffre pas l’amateurisme.
Les jeunes en apprentissage de la langue.
Les jeunes en apprentissage de leur langue méritent une attention toute particulière, à l’évidence, car c’est essentiellement dans leurs années de primaire qu’ils pourront accéder à une culture minimale qui est le contraire de l’illettrisme.
L’illettrisme fabrique des marginaux, difficilement capables d’altérité
Le Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, en 2009, ouvrage de référence (La Documentation française) détaille les actions en direction des jeunes dans le système éducatif, notamment les mesures de personnalisation aux élèves en difficulté, la réforme du Certificat de formation générale (CFG). Il évoque les actions contre l’illettrisme prises par d’autres instances publiques (le haut-commissaire à la Jeunesse et la Protection judiciaire de la jeunesse).
S’appuyer sur un projet professionnel
Pour les adultes en situation d’illettrisme, la première difficulté est de les détecter, avec toute la délicatesse nécessaire car l’illettré cache son handicap. Pour cela, les professions qu’on pourrait dire » au contact » sont sollicitées et reçoivent des vade-mecum adaptés. Ainsi par exemple, les DRH mais aussi les orthophonistes.
L’illettré cache son handicap
Il faut ensuite les accompagner. Or, ils sont en formation professionnelle, en prison, chômeurs, fonctionnaires des administrations territoriales, salariés d’entreprise, etc. Pour ces adultes, s’appuyer sur un projet professionnel facilite leur réapprentissage et leur » récupération « .
En 1979, la France déclarait qu’il n’y avait pas d’illettrisme en France. Depuis ce moment d’ignorance satisfaite, la vérité du problème de l’illettrisme en France a été révélée. Les acteurs en tous genres ont été mobilisés. Les succès suivront-ils ?
Quand la France rattrapera-elle la Finlande dans le palmarès des pays qui ont fait ce qu’il fallait ? Un jour, la France pourra-t-elle dire : » Oui, il y a eu de l’illettrisme en France, mais maintenant, c’est fini » ?
Commentaire
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complément d’information
Bonjour,
Sur quelles enquêtes vous appuyez-vous pour affirmer que « L’illettrisme fabrique des marginaux, difficilement capables d’altérité » ?
Est-ce une citation ?
Ce sujet m’intéresse car il se trouve au cœur de ma recherche universitaire.