François Lévy (41) Résistant et urbaniste

Dossier : ExpressionsMagazine N°657 Septembre 2010Par Georges DOBIAS (56)

Un docu­ment émouvant

Un docu­ment émouvant
On trouve, dans le dos­sier admi­nis­tra­tif de Fran­çois Lévy, un docu­ment cosi­gné par son père et lui : « Je sous­si­gné Lévy, Arthur Simon, recon­nais que mon fils Lévy Fran­çois Ber­trand, étant juif, n’a pas le droit, dans le cas de son admis­sion à l’É­cole poly­tech­nique, aux ser­vices de l’É­tat s’y recru­tant. Paris, le 1er mars 1941. Signé A. Simon Lévy, 72, rue de Rennes. Cosi­gné : Pris connais­sance Fran­çois Lévy. » Le com­mis­saire de police du quar­tier Bonne-Nou­velle cer­ti­fie maté­riel­le­ment la signa­ture ci-contre, le 3 mars 1941. 

Fran­çois Lévy naît en 1921 dans une famille juive pari­sienne. La pre­mière période de sa vie sera mar­quée par cette ascen­dance. Brillant élève, il est admis à Poly­tech­nique en 1941, en pleine tour­mente de la guerre et de l’Oc­cu­pa­tion. Fran­çois Lévy est admis à l’X en » bis « , comme quatre condis­ciples juifs, tous trai­tés comme des étran­gers : il ne peut entrer au ser­vice de l’É­tat. Il suit les cours de l’É­cole qui s’est repliée à Vil­leur­banne dans la zone sud non occu­pée par les nazis. En 1942, il par­ti­cipe aux tra­vaux du labo­ra­toire de Louis Leprince-Rin­guet à Brian­çon avant de reve­nir à Vil­leur­banne. En 1943, après l’oc­cu­pa­tion de la zone sud, l’É­cole poly­tech­nique revient à Paris, mais laisse ses cinq « bis » à Vil­leur­banne. Le jury vient à eux, en juillet, pour leur faire pas­ser leurs exa­mens. Fran­çois les passe brillam­ment et son clas­se­ment lui per­met­trait d’en­trer dans le corps des Ponts et Chaussées. 

André Chêne, le maquisard

Wir sind Juden
Après le débar­que­ment en Pro­vence, le 15 août 1944, le maquis décide de blo­quer un train alle­mand au voi­si­nage de Castres. Après une pré­pa­ra­tion par des spé­cia­listes amé­ri­cains, Fran­çois Lévy fait explo­ser la voie et bloque un convoi de 50 wagons. Après une nuit de com­bat, les Alle­mands se rendent aux maqui­sards qui les accueillent par les cris Wir sind Juden (nous sommes juifs). 

Après un séjour en Dor­dogne, il décide de par­tir en Afrique du Nord en pas­sant par l’Es­pagne. En fait, après quelque temps pas­sé à Tou­louse, il se retrouve, fin 1943, dans le Tarn chez les Éclai­reurs israé­lites fran­çais (EIF) qui fondent un petit groupe de maqui­sards sur le maquis de Vabre. Il devient André Chêne. Le groupe gran­dit jus­qu’à comp­ter une cen­taine de membres au moment du débar­que­ment, le 6 juin 1944. Il est sous les ordres du com­man­dant Hugues (Dunoyer de Segon­zac). Le groupe rejoint ensuite la Ire armée com­man­dée par le géné­ral de Lattre de Tassigny. 

Le lieu­te­nant Fran­çois Lévy com­mande une sec­tion. Il par­ti­cipe aux com­bats autour de Gérard­mer. Bles­sé en novembre 1944 à la jambe, il est éva­cué vers l’hô­pi­tal de Dijon puis le Val-de-Grâce. Il reçoit la médaille de la Résis­tance. Sa famille n’est pas épar­gnée, son frère cadet est dépor­té à Ausch­witz d’où il ne revient pas. 

Retour à la vie civile

Au terme de cette période noire, Fran­çois Lévy revient à la vie civile ; son rang de clas­se­ment lui per­met d’en­trer à l’É­cole des ponts et chaus­sées en 1945 comme élève ingé­nieur du Corps. Il pour­suit ensuite une brillante car­rière dans le domaine du contrôle de l’élec­tri­fi­ca­tion des che­mins de fer, au niveau natio­nal, puis au niveau du nord-est de la France. 

En Algé­rie

Comme de nom­breux anciens cama­rades, Fran­çois Lévy a par­ti­ci­pé au déve­lop­pe­ment et à l’é­qui­pe­ment hors de la métro­pole. En 1960, il est affec­té à la direc­tion de l’éner­gie et de l’in­dus­tria­li­sa­tion de la Délé­ga­tion géné­rale du gou­ver­ne­ment en Algé­rie. Il y exer­ce­ra notam­ment les fonc­tions de direc­teur géné­ral de Gaz d’Al­gé­rie jus­qu’en 1963 après l’in­dé­pen­dance de ce pays. 


Après trois ans en Algé­rie, il est affec­té au ser­vice des Ponts et Chaus­sées de la Seine en tant qu’ad­joint char­gé du contrôle des trans­ports. Après la réor­ga­ni­sa­tion admi­nis­tra­tive de la Région pari­sienne et la sup­pres­sion du dépar­te­ment de la Seine, il rejoint, en 1967, le ser­vice régio­nal de l’É­qui­pe­ment de la Région pari­sienne pour diri­ger la divi­sion des trans­ports publics et de la cir­cu­la­tion. C’est l’é­poque faste du déve­lop­pe­ment péri­ur­bain avec la créa­tion des pre­miers RER et la construc­tion du réseau auto­rou­tier, confor­mé­ment aux orien­ta­tions du sché­ma direc­teur d’a­mé­na­ge­ment et d’ur­ba­nisme de 1964. 

En 1974, il devient direc­teur dépar­te­men­tal de l’É­qui­pe­ment de Seine-Saint-Denis, poste qu’il occu­pe­ra jus­qu’en 1978. Il par­ti­cipe acti­ve­ment à la pro­fonde muta­tion de ce département. 

En 1978, l’in­gé­nieur géné­ral Fran­çois Lévy est char­gé de l’ins­pec­tion spé­cia­li­sée du contrôle des villes nou­velles, ins­pec­tion créée qui lui est confiée à cause de la grande diver­si­té des com­pé­tences acquises dans ses postes pré­cé­dents. Sa mis­sion d’ins­pec­tion est ensuite éten­due aux ser­vices tech­niques d’ur­ba­nisme du minis­tère de l’É­qui­pe­ment. À ce titre, il est nom­mé admi­nis­tra­teur de la RATP dont il assu­re­ra la pré­si­dence pen­dant une courte période. 

Ces mis­sions d’ins­pec­tion le conduisent natu­rel­le­ment à être nom­mé en 1983 pré­sident de la sec­tion « urba­nisme, archi­tec­ture et habi­tat » du Conseil géné­ral des ponts et chaus­sées. Il pren­dra sa retraite en 1986, tout en conser­vant diverses acti­vi­tés exté­rieures. Il est décé­dé le 25 mars 2010, au terme d’une mala­die rare. 

Un humaniste

Patron et conseiller
Fran­çois Lévy était tou­jours de bon conseil et savait diri­ger sans avoir l’air d’im­po­ser. Clair, pré­cis, il savait décryp­ter les pro­blèmes de façon lumi­neuse, savait trou­ver très vite ce qui n’al­lait pas dans un rai­son­ne­ment ou dans un rap­port, même fort épais. 

Ses qua­li­tés de rela­tions humaines sont una­ni­me­ment recon­nues par tous ceux qui l’ont ren­con­tré : capa­ci­té d’é­coute, inté­rêt por­té aux autres, éga­li­té d’hu­meur, gaie­té. Pour ses col­la­bo­ra­teurs, sa porte était tou­jours ouverte pour dis­cu­ter des ques­tions quo­ti­diennes. La rapi­di­té et la clar­té de son intel­li­gence étaient éga­le­ment frap­pantes ; on avait quel­que­fois l’im­pres­sion que sa pen­sée se déve­lop­pait si vite qu’il avait du mal à l’ex­pri­mer à la même vitesse. Selon son conseil, il conve­nait d’as­su­mer com­plè­te­ment son action, même si celle-ci n’é­tait pas par­faite. Ce fut un grand patron, à la fois huma­niste et grand ser­vi­teur de l’État. 

Que sa famille, son épouse, ses enfants, ses petits-enfants trouvent ici l’hom­mage dû à Fran­çois Lévy par un de ses collaborateurs.

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