Gilbert Dreyfus (X37)
GILBERT DREYFUS nous a quittés. Né en 1916, d’une famille alsacienne, il sort de l’X, dans les fabrications d’armement en 1939. Rappelé un mois après sa sortie, il fréquente l’École d’artillerie, puis est affecté au 108e régiment d’artillerie lourde… La débâcle le conduit dans le Sud-Ouest, où le rattrapent les lois raciales de décembre 1940.
Il est exclu du Corps de l’armement, mais, bizarrement, autorisé à suivre les cours, à Tarbes, de l’École des industries mécaniques, puis est affecté à l’Arsenal, où il « omet » de se présenter. Le voilà déserteur, il traverse les Pyrénées pour l’Espagne, y fréquente les prisons de Franco, avant un départ pour l’Algérie, pour rejoindre la première armée française.
La guerre terminée, il est admis, sur titres, dans le Corps des Ponts et Chaussées, et il suit, à trente ans, les cours de l’École. Il disait volontiers qu’il devait sa carrière, et sa vie familiale, à Hitler, Pétain et Staline (sa femme Suzanne était d’origine russe).
Il sera successivement affecté à Bayonne, puis au service des Ponts et Chaussées de la Seine, où il construit la voie du canal Saint-Maurice et l’autoroute du Sud, et enfin à Lille. Visionnaire, ingénieur, constructeur, négociateur, il sait innover, aller de l’avant, prendre des initiatives, fuir le formalisme excessif, donner la priorité aux besoins, et aux moyens. Il sait surtout s’entourer, déléguer, faire confiance, tout particulièrement aux jeunes. Partout, ses talents de relations humaines et la qualité de ses contacts, en particulier avec les préfets et les élus de tous bords, font merveille.
Après avoir dirigé le Cabinet du ministre André Bettencourt, il est nommé directeur des routes, en 1967. Il contribue largement au développement du réseau routier et autoroutier français, ainsi qu’à son exploitation. On lui doit, par exemple, la création presque clandestine du « Centre d’informations routières » de Rosny.
En 1971, il est directeur général d’Aéroports de Paris ; il adapte l’établissement public à la formidable explosion du transport aérien, mais aussi aux contraintes multiples qu’elle suscite : sécurité, sûreté, nuisances, relations avec les riverains. Son sens des relations humaines, son humanisme, son habileté, sa gentillesse, qui dissimulent son refus de transiger avec ses principes, impressionneront.
Il quitte les aéroports à l’âge fatidique de 65 ans, mais dispose encore de quatre ans avant sa retraite pour prendre la présidence des autoroutes du nord de la France, et en assurer la fusion avec l’autoroute privée APEL, en mauvaise posture, pour créer l’actuelle SANEF.
Son activité au service de la collectivité ne s’arrêtera pas là. Outre les missions dont il sera chargé par les cabinets ministériels, les travaux d’expert et de conciliateur qu’il mènera pour la Cour de cassation et diverses entreprises, il se verra confier, de 1990 à 1996, la présidence de l’ORT-France, institution juive internationale d’éducation et de formation de jeunes et d’adultes. Il y imposera sa marque en rénovant à la fois les huit écoles, le statut, le conseil d’administration et la gestion de cet ensemble alors vieillissant.
Mais, autant que de ses brillants états de service, c’est la fascination qu’il exerçait sur tous ceux et celles qui l’ont rencontré qui l’ont toujours caractérisé. Gilbert s’exprimait avec une voix, une simplicité et une clarté sans égales, accompagnées d’un humour qui ne le quittait pas. Un seul exemple : alors qu’il avait conservé jusqu’à son dernier souffle sa mémoire et son acuité intellectuelle, il disait que « sa vue diminuait à vue d’oeil et qu’il en était de même pour son ouïe, bien entendu ». Gilbert était aussi un superbe versificateur et il a animé bien des soirées en se livrant à l’exercice difficile des bouts rimés.
Son amour du prochain, son infinie tolérance et sa fidélité à toute épreuve lui faisaient parfois oublier les inévitables imperfections des autres, et c’est la seule petite réserve qu’il soit possible d’émettre sur cet homme d’exception.
Et comment ne pas associer à cet hommage, son épouse Suzanne qui lui a donné, disait-il, soixante-quatre ans de vrai bonheur et une nombreuse descendance qu’ils chérissaient tous deux. Disparue à peine plus d’un an avant lui, des suites d’une longue maladie invasive, elle avait l’élégance de ne jamais évoquer ses souffrances, mais restait intarissable sur l’histoire et surtout les qualités de tous ceux qui avaient eu le privilège d’être proches de leur couple. Gilbert et Suzanne, Suzanne et Gilbert, nous vous aimions, vous nous manquez.
H. C. (46), J. C. (48), P. D. (49), C.A. (51), F.A. (56)