Réussir une expatriation aux États-Unis
Six anciens polytechniciens de promotions très diverses et une ancienne d’HEC apportent leur témoignage sur leur expatriation aux États-Unis. Ils abordent tour à tour l’âge idéal pour tenter l’expérience, les atouts de leur formation, les contraintes familiales, le choc culturel, l’intégration, la vie pratique et l’hypothétique retour.
Avec la contribution de Myriam Le Cannellier (HEC), Nicolas Descoqs (01), Marc Fleury (89), Alain Gounon (90), Matthieu Guibé (92), Michel Iches (66), décédé depuis ce témoignage et Pierre Ollivier (78).
REPÈRES
Jacques Levin (58) vit aux États-Unis depuis quarante-deux ans. Après une thèse en physique à l’université de Grenoble, il débarque en Californie en 1968 pour son postdoctorat. Après trois mois, le voilà prêt à repartir. Mais, il souhaitait se reconvertir en mathématicien et informaticien. « On m’avait dit, en France, c’est impossible. Ici, par contre, on m’a dit : Vous avez un PhD, vous faites ce que vous voulez !» Quelques tentatives décevantes de retour en France n’ont pas résisté à l’attrait des États-Unis et des avances technologiques. « Ce que j’aime surtout ici, dit-il, c’est l’importance de l’action par rapport à la discussion. »
L’ÂGE IDÉAL
À quel âge faut-il tenter l’expatriation ?
Michel Iches estime « qu’il y a deux tranches plus favorables que les autres : vers 25- 30 ans, juste après avoir décroché un diplôme d’une université américaine ou d’une institution étrangère bien connue dans le milieu professionnel des États-Unis ; vers 35–40 ans, lorsqu’on est devenu un professionnel confirmé et qu’on est encore adaptable (ou malléable) au « choc culturel ». Après 45 ans, il est plus difficile de s’adapter culturellement et de s’intégrer dans des réseaux qui sont déjà constitués.
« Aux États-Unis, il faut assez vite faire son choix entre une « expatriation » au sens usuel (pour un temps limité et avec perspective de retour) et une « immigration » avec perspective de faire sa vie en Amérique. »
Une entreprise française
Pour Myriam Le Cannellier : « Il est plus facile de partir très jeune (juste après l’école, ou un ou deux ans après), où l’on peut être recruté par une entreprise française ou pour des compétences techniques bien spécifiques par une entreprise américaine.
Dans ce dernier cas, il faudra souvent ajouter un diplôme américain à la suite du diplôme français. C’est aussi plus facile dans cette tranche d’âge car il n’y a pas de grande famille à déménager. L’autre avantage, pour celui ou celle qui est vraiment attiré par les États-Unis, c’est d’acquérir très tôt une expérience américaine. Si l’on attend trop, les opportunités sont plus rares et les paramètres à prendre en compte se compliquent. »
LA FORMATION
Marc Fleury considère que « la formation polytechnicienne est utile pour une start-up. Elle enseigne à travailler dur, sans peur des sujets techniques, tout en étant généraliste. Un Américain, même avec une formation d’élite, est soit dans la technique soit dans le business, mais rarement dans les deux. Les Américains regardent avec suspicion les profils polyvalents. Ceux-ci sont cependant très adaptés aux startups où tous les rôles doivent être joués par les fondateurs, au moins dans les premiers temps. »
« Un Français, surtout polytechnicien, est éduqué pour être dans le vrai et avoir raison, confirme Alain Gounon. Il paraîtra le plus souvent arrogant aux yeux des Américains. Inversement les Américains sont plutôt éduqués pour aller de l’avant ; d’où le sentiment d’un Français que ceux-ci foncent sans réfléchir. »
LE CHOC CULTUREL
Le groupe X‑États-Unis-Canada
Créé il y a dix ans, le groupe X‑USA-Canada réunit aujourd’hui 900 membres. En liaison avec ParisTech et l’Association des Grandes Écoles (AAGEF), son objectif est de créer aux États-Unis et au Canada un réseau professionnel d’anciens des Grandes Écoles, solidaires et capables de s’entraider. « Confronté chaque jour à la puissance des réseaux nordaméricains il faut, en consolidant les réseaux, promouvoir la qualité de notre formation et nous faire connaître à l’étranger. »
Après trois expatriations, en Europe, en Asie, et en Amérique du Nord, Nicolas Descoqs témoigne de « la réalité du choc culturel ». « Au début, on découvre un pays nouveau, très souvent enthousiasmant. Mais, après quelques mois, on est envahi par le sentiment évident de ne pas être chez soi, source de malaise plus ou moins prononcé selon les personnes et les destinations, accentué souvent par l’obstacle de la langue. Ensuite, au fur et à mesure, on finit par s’habituer à son nouvel environnement.
« Il est illusoire de penser que l’on évitera le choc culturel parce qu’on connaît déjà la destination pour s’y être rendu à plusieurs reprises en voyage d’affaires : des séjours de courte durée, à l’hôtel et en pension complète, n’exposent en réalité qu’à un premier aperçu relativement superficiel du pays. »
Acceptation ou rejet
Alain Gounon distingue quatre phases : « Tout nouveau tout beau, sous le coup de l’émotion de l’arrivée.
Une nouvelle vie s’offre à soi. À partir du deuxième mois, les vraies difficultés commencent : Que diable suis-je allé faire dans cette galère ? Tout ce qui est simple chez soi devient extrêmement compliqué. Ouvrir un compte en banque, louer un appartement, obtenir un permis de conduire, s’inscrire à tel ou tel club ou telle activité devient un parcours du combattant. C’est à ce stade que tout se joue. Si quelque chose ne fonctionne pas comme chez soi, c’est qu’il y a une bonne raison
« Acceptation ou rejet constitue donc la troisième phase. On ne comprend pas, on ne veut pas comprendre, on reste dans ses certitudes. C’est l’attitude de rejet qui aboutit en général, un an après l’arrivée, à un retour fulgurant dans le pays d’origine, avec amertume et désabusement. L’acceptation, elle, passe par la volonté de chercher à comprendre. À chaque difficulté, prendre le réflexe de noter que c’est différent, que c’est surprenant, ne pas hésiter à demander aux locaux pourquoi ils font ça, et pourquoi comme ça. La quatrième et dernière phase est celle de l’intégration ou Poisson dans l’eau. On a acquis une autre dimension culturelle en sus de sa culture d’origine. »
LE CONJOINT
« La carrière du conjoint constitue bien souvent un frein à l’expatriation, estime Myriam Le Cannellier. Selon son métier, sa capacité à trouver un emploi sur place variera beaucoup. Aux États-Unis certains visas ne permettent pas au conjoint de travailler. » « Dans notre cas, ce fut le contraire, explique Jacques Levin. Mon épouse, d’origine hollandaise, professeur de français mais étrangère, n’avait pu se faire une carrière en France. Ce fut complètement différent aux États-Unis. À peine arrivés en Californie, nous avons vite constitué un cercle d’amis. En peu de temps, mon épouse avait trouvé une place dans une école privée le matin et à l’université l’après-midi. »
Les qualités de la famille
« Certaines entreprises annoncent très tôt le projet envisagé d’un départ en expatriation, rappelle Nicolas Descoqs.
D’autres annoncent ce projet très peu de temps avant le départ. Dans un cas comme dans l’autre, certaines qualités sont exigées de la famille.
Dans le premier cas, au cours de la période d’incertitude, très inconfortable et souvent éprouvante nerveusement, le conjoint et les enfants doivent littéralement s’armer de patience car la tendance naturelle est alors de chercher à « planifier l’implanifiable ». Toujours contacter l’association locale d’accueil des expatriés francophones
« Dans le second cas, ou une fois la décision de départ en expatriation prise, la famille doit alors faire preuve de beaucoup de réactivité. Il n’est plus temps de se renseigner, mais de réserver effectivement son logement, d’inscrire ses enfants à l’école, et surtout de préparer son déménagement, obtenir son visa et prendre ses billets d’avion.
« Arrive enfin le moment attendu : l’atterrissage dans le pays d’accueil. Je recommande vivement au conjoint de contacter alors le plus rapidement possible l’association locale d’accueil des expatriés francophones (présente dans la plupart des grandes villes à travers le monde), association qui permet de se tisser un réseau social rapidement. »
L’INTÉGRATION
Comment s’intégrer rapidement ? Voici, selon Alain Gounon, quelques particularités à retenir pour une expatriation réussie aux États-Unis. « Bien entendu le trait est très caricatural et rien ne vaut l’expérience du terrain pour découvrir toutes les subtilités qui font la richesse humaine et le sel de la vie d’expatrié.
« La société américaine est une société fondée sur l’action : l’individu se définit par ce qu’il fait. Au contraire de la France qui est une société de statut où l’individu se définit par ce qu’il est. C’est pourquoi le diplôme par exemple a tant d’importance en France et en a corollairement moins aux États-Unis.
« Un ami, aux États-Unis, est quelqu’un avec qui on fait quelque chose (même club de sport, collègue de travail, voisin partenaire de barbecue, etc.). Si ce dernier vient à déménager à l’autre bout du pays, on ne fera plus rien ensemble, il ne sera plus un ami. C’est choquant pour un Français pour qui un ami est quelqu’un avec qui on partage une complicité intellectuelle ; on peut ainsi garder un ami à l’autre bout de la planète et pour la vie. »
Les fundraisings
Il n’existe pas de subventions publiques pour les associations et toute activité doit être financée par la community. Ce que l’on ne paye pas en impôt, on a le devoir de le donner pour le développement de celle-ci. Cela revient au final aussi cher que les impôts en France mais au moins on choisit ce que l’on subventionne !
« La notion de community est fondamentale pour comprendre la culture américaine, souligne Matthieu Guibé. Elle est si particulière à l’Amérique qu’il n’existe pas de traduction française pour ce mot. Elle représente les groupes auxquels on se rattache. Ce peut être le quartier, la paroisse, le club de sport, l’école, etc. La community est le lieu où s’exerce la solidarité. Lorsque l’on a intégré une community, on est très rapidement sollicité pour participer à sa vie par du bénévolat et des fundraisings.
« Nous avons choisi de mettre nos enfants aux Boy Scouts of America. C’est un investissement important en temps (transport, camping) et en tâches diverses (solliciter les voisins et amis pour leur vendre des Girl Scouts Cookies ou des Boy Scouts Popcorns). « Cet engagement dans la community nous a permis de créer des liens d’amitié avec des Américains avec lesquels nous partageons des valeurs communes et qui nous permettent peu à peu de mieux comprendre leur culture. »
LA VIE COURANTE
Dans l’ensemble (hors logement) le coût de la vie n’est pas sensiblement différent de celui de la région parisienne, a calculé Michel Iches.
Bureaucratie
En trente ans, le pays s’est bureaucratisé dans des proportions spectaculaires. L’un des points-clefs est le rôle central joué par le social security number. Sans ce sésame, plus question d’obtenir une carte de crédit (on peut quand même avoir une debit card à débit instantané), difficile d’obtenir un abonnement de téléphone mobile, impossibilité de passer le permis de conduire, d’immatriculer un véhicule à son nom, etc. L’une des premières choses à faire en s’installant est d’obtenir ce fameux numéro.
« L’alimentation courante est plutôt bon marché, ainsi que l’essence (moitié du prix français) ; les livres, les vêtements sont à peu près aux prix français. « La restauration de base est infecte, la restauration de luxe inaccessible. On note l’apparition d’une gamme moyenne de bistrots qui servent une cuisine, à tonalité italienne, ou synthèse italo-japonaise, tout à fait correcte à des prix très abordables (ne pas oublier les 20 % de pourboire qui plombent les prix).»
Un logement difficile
« Le marché du logement est un marché local qui peut varier beaucoup d’une ville à l’autre. Une seule considération générale : avant d’ouvrir un journal d’annonces ou de contacter une agence, il faut prendre connaissance de la géographie d’ensemble de l’agglomération, de la configuration des axes de communication et identifier les quartiers vivables et ceux qu’il est (vivement) conseillé d’éviter.
« Compter une à deux semaines pour s’imprégner de ces données avant de se lancer dans la recherche ; ce n’est pas du temps perdu, au contraire, ça évite de se faire balader pour rien par les agents immobiliers dans des tas de coins pas possibles. »
Social et retraite
Si l’on travaille comme indépendant ou dans une petite structure, il faut souscrire une assurance individuelle. En gros, on est couvert tant que l’on reste en bonne santé. Les soins médicaux sont chers. C’est donc un point crucial à discuter avec l’employeur préalablement à l’expatriation et il faut envisager toutes les éventualités possibles. Côté retraite, il existe des fonds de pension d’entreprises, les uns intégrés au bilan de la firme (méfiance), les autres à gestion externalisée (c’est mieux). Un conseil : souscrire à la CFE (Caisse des Français de l’étranger) ; ça coûte un peu cher ; du point de vue santé, ça ne couvre pas les frais au niveau américain, mais c’est plus simple pour se faire rembourser les frais médicaux lors des congés passés en France ; ça ne donne qu’une retraite minimale, mais ça donne l’immense avantage de valider les annuités passées en expatriation si on retourne un jour en France.
LE RETOUR
Pierre Ollivier a choisi d’aborder le problème du retour en France. Le retour se prépare dès l’arrivée sur le sol américain
« Il est utile de bien avoir en tête que le retour se prépare dès l’arrivée sur le sol américain. Je vois trois étapes clés à bien identifier et organiser.
« La préparation s’effectue dans les deux ou trois dernières années sur le sol américain. Il est essentiel de garder des liens avec des collègues ou des personnes en France ayant une capacité de décision. Mais il est important pour la hiérarchie locale aux États-Unis de comprendre dans quel cadre vous venez travailler avec eux : tout ce qui peut être mis sur la table de manière franche dès le début est un gage de réussite.
« La dernière année est celle du compte à rebours. Il convient de voir où on pourra revenir et comment. Il faut compter au minimum un an pour y voir clair (guère plus, car les organisations peuvent rarement prévoir un an à l’avance, mais guère moins, car les discussions d’organigrammes sont rarement semestrielles et mettent du temps à se figer sur un scénario donné). Bien communiquer sur la date de son retour et le fait qu’on cherche une place à Paris à telle date. Savoir être à l’écoute et s’adapter aux circonstances. »
Deux ans pour se réinsérer
« La réinsertion nécessite les deux années suivantes. Le retour ne fait pas l’économie d’une analyse sans complaisance sur la véritable valeur ajoutée apportée par l’expérience vécue au large, de s’y tenir et de la communiquer régulièrement en finesse et sans arrogance ; en effet personne ne vous attendait avant votre retour et il peut exister une sorte de défiance vis-à-vis de celui qui a vécu en dehors du cercle des habitués. En particulier il faut veiller à faire connaître votre valeur ajoutée dans un cercle plus large que le seul cercle professionnel immédiat ; cela permettra de parer à tout risque de rejet de la structure, qui, s’il survient, arrive en général au bout d’un ou deux ans après le retour. J’ai personnellement connu nombre d’expatriés ayant changé d’entreprise à moins d’un an de leur retour en France, qu’ils l’aient voulu ou non : il faut donc s’y préparer aussi soi-même dès l’arrivée sur le sol français. »
L’importance des réseaux
« Les réseaux sont importants à tout moment, souligne Myriam Le Cannellier, mais encore plus au moment du retour. Alors que le départ est relativement « accompagné », le retour ne l’est que très peu, voire pas. Les compétences nouvelles acquises sont mal valorisées. Les réseaux jouent alors un double rôle : le réseau interne dans l’entreprise doit être travaillé durant toute la durée de l’expatriation pour mieux préparer et négocier son retour et éviter le syndrome « loin des yeux loin du cœur ».
Les réseaux externes (anciens élèves, anciens collègues partis dans d’autres entreprises, etc.) peuvent également faire surgir des opportunités nouvelles dans le cadre d’un retour, notamment si rien d’intéressant n’est proposé à l’expatrié au sein de son entreprise. »