La rupture, ça se négocie
Pour un cadre dirigeant, la rupture avec son employeur est un moment difficile et délicat. Il doit accepter le choc et se mettre dans une position constructive pour mener à bien la négociation qui s’engage. Bien tourner la page, c’est bien se préparer à en écrire de nouvelles.
REPÈRES
Bertrand Reynaud a exercé les fonctions de DRH dans de grands groupes (AXA, Fnac, La Poste). Son métier actuel consiste à accompagner des dirigeants en période de rupture pour qu’ils puissent, autant que possible, optimiser les conditions financières de départ tout en maintenant une relation de qualité avec l’entreprise
Rude moment pour un dirigeant. Après avoir servi et défendu les intérêts de son entreprise, le voilà en confrontation avec elle. La rupture avec l’employeur peut être source de fragilisation et parfois de souffrances. Le monde du travail est souvent brutal. Il impose à chacun de s’affirmer par et à travers l’épreuve.
L’épreuve de la rupture
Face à ce choc, chaque dirigeant est confronté à un choix, qui influencera son futur.
L’épreuve peut devenir un moteur de construction identitaire
Soit subir le choc, chercher à le bloquer, résister, lutter de diverses manières, voire entamer un contentieux long, coûteux, aléatoire. Tentative souvent vaine qui crispe les situations et limite l’ouverture à la créativité.
Soit inscrire cette rupture dans une démarche dynamique. L’épreuve peut alors devenir un moteur de construction identitaire, qui favorise l’émergence et l’affirmation de soi, renforce l’adaptabilité dans un monde incertain. Devenu seul face à une entreprise organisée et puissante, le dirigeant doit éviter l’improvisation.
Penser à la négociation
La rupture s’annonce ? Mieux vaut sortir les antennes que les armures. Il ne s’agit pas en effet d’entrer en guerre mais de développer une grande vigilance pour appréhender la situation dans sa complexité, y évoluer avec souplesse et obtenir des résultats quantitatifs et qualitatifs élevés.
Le « dossier » de négociation doit être préparé dans ses multiples dimensions. La première est le contexte de négociation : quels acteurs ? Quels scénarios envisageables ? Quelles conséquences en l’absence d’accord ? Quels sont les facteurs susceptibles de peser (ancienneté, âge, situation de famille, urgence du départ, pouvoir de nuisance ou d’influence) ?
La dimension professionnelle est centrale : en fonction de l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, la formation, l’expérience, quel est le degré de difficulté probable de la future recherche d’emploi ?
Les aspects psychologiques et émotionnels (comment le dirigeant ressent la situation ?) sont à analyser avec soin car l’identification des émotions (colère, frustration, angoisse) aide à leur maîtrise.
Calculer ses droits
Incidence fiscale
Avant la négociation, il faut anticiper et calculer l’impact fiscal de l’accord. En effet, la fiscalité n’est plus ce qu’elle était : au-delà de 20 7000 euros, les indemnités sont chargées et imposées comme de la rémunération.
Sur le plan financier, le dirigeant calculera ses droits liés au départ, ses futures allocations de chômage. On estimera le juste montant de l’indemnité négociée de rupture.
Enfin, sur le plan juridique, il est essentiel de déterminer si l’entreprise dispose d’éléments sérieux contre son dirigeant ou si la décision est surtout politique. Et aussi de savoir quelles sont les modalités de rupture les plus adaptées.
Intervenant le plus en amont possible, ce travail ouvre à l’action, réduit l’anxiété et balise le territoire, souvent inconnu, sur lequel le dirigeant s’engage.
Les objectifs de négociation (quantitatifs et qualitatifs) et la stratégie la plus adaptée sont alors identifiés. Cette étape est nécessaire pour se lancer dans une négociation qui, bien préparée et conduite, pourra assurer la sécurité financière attendue tout en enrichissant son expérience.
Un art contre-intuitif
Dominer ses sentiments
Au moment clé de la négociation, le risque est grand de se laisser emporter par l’émotion, la colère, de s’opposer à ses interlocuteurs, de leur dire leurs quatre vérités, de répondre pied à pied. Cette réaction humaine et habituelle n’est généralement pas la plus efficace.
Quelle posture adopter ? C’est en dominant son émotivité que l’on retrouve force et puissance de façon à développer des relations de qualité avec les négociateurs, éviter les guerres de position, chiffrer ses propositions et faire preuve de souplesse.
Il est essentiel de travailler la qualité de la relation avec ses interlocuteurs, d’entendre leurs arguments, de les remercier d’une proposition significative, d’être attentif à ce qui est renvoyé par les interlocuteurs. En exprimant posément les sentiments que nous inspire la situation et en posant des questions pour explorer le territoire de l’autre, on découvre bien des aspects du problème (et de sa solution) que la colère non maîtrisée ne laissera pas deviner.
Justifier ses demandes
Benchmarking
Pour s’assurer de la pertinence des données et montants évoqués de part et d’autre, on s’appuie sur des critères d’équité : montants susceptibles d’être octroyés par un tribunal, pratiques de l’entreprise, pratiques du marché. Ce travail qui crédibilise le discours et assoit l’analyse des propositions de l’entreprise est une dimension importante du travail préparatoire. Grâce à mon expérience, je dispose d’éléments utiles à cet indispensable exercice.
Plutôt que de s’arc-bouter sur des positions, il convient de poser ses attentes et préoccupations (financières, en termes d’image de soi, de réputation) afin d’arriver à un bon accord, tout en restant à l’écoute de celles de l’entreprise. Base d’un accord mutuellement acceptable, cette démarche positive ouvre l’espace de solutions créatives.
Quand il faudra en arriver à des propositions concrètes et à des chiffres, le dirigeant a tout intérêt à disposer d’un maximum de références chiffrées permettant de justifier ses demandes.
Souplesse et patience
Rester serein sur la relation, exigeant sur le fond, souple dans le mouvement et dans la tactique, cela donne puissance et efficacité dans la négociation.
Toute décision est précédée de temps, même courts, de réflexion
Toutes antennes sorties, il est utile de jouer sur les rapports dans l’entreprise, de faire levier avec différents acteurs internes. À aucun moment, il ne faut décrédibiliser ses interlocuteurs directs. De plus, jamais prise dans l’instant, toute décision est précédée de temps, même courts, de réflexion.
Enfin, si l’interlocuteur use de tactiques déloyales de coercition, de pressions et d’attaques personnelles, je peux rapidement prendre le relais et négocier directement avec l’entreprise ou son représentant.
Un nouveau départ
Cette approche inconditionnellement constructive permet de garder le contrôle sur la négociation et rend crédible la fermeté dans la défense de ses intérêts tout en favorisant la créativité.
Les dirigeants que j’ai ainsi accompagnés témoignent que cette démarche les aide à passer de la réaction, très humaine mais pas toujours efficace, à l’action stratégique. La rupture permet alors d’assumer le passé et devient une étape clé dans la préparation de l’avenir. C’est une grande vertu que savoir » éprouver l’épreuve « .