Créer son entreprise, c’est changer de vie
De plus en plus de polytechniciens envisagent de se lancer dans la création ou la reprise d’entreprise et s’engagent dans cette voie. Il leur faut s’attendre à un changement de mode de vie radical et prendre le temps de soigneusement préparer leur projet, ce qui n’empêchera ni les difficultés ni le stress. Volonté et ténacité permettent de les surmonter et de connaître de grandes satisfactions.
REPÈRES
En 1970, quelques années après avoir quitté l’École et avoir passé cinq ans au sein du groupe Philips, j’ai sauté le pas. À l’époque, nous étions vraiment très peu nombreux à faire ce choix et je crois bien être l’un des rares de ma promotion à l’avoir fait. Aujourd’hui, cela a bien changé et plus de dix pour cent d’une promotion n’hésite plus à se lancer dans la création de leur start-up.
Quel est celui d’entre nous qui n’a pas, à un moment ou un autre, envisagé de se mettre à son compte comme consultant ou pour reprendre une entreprise ou encore pour en créer une ? Les motivations sont multiples et variées : une étape, une ambition, un rêve d’accomplissement, un besoin d’autonomie ou une combinaison d’entre elles.
Si vous n’avez pas les nerfs solides, ne tentez pas l’aventure
La décision se ramène toujours en fait au même choix : abandonner une relative sécurité dans une administration ou dans une entreprise plus ou moins importante ou bien plonger dans le grand bain et courir le risque de se retrouver quelques années plus tard dans une situation délicate à gérer que l’entreprise créée ou reprise s’avère une réussite, le cas idéal, ou un échec, cela arrive, avec toutes les conséquences personnelles, familiales et matérielles qui en découlent.
La solitude de l’entrepreneur
Choix difficile
Les difficultés sont toujours les mêmes et le choix n’est pas plus facile : avoir la bonne idée, délimiter un créneau où la concurrence n’est pas trop dure, trouver la bonne entreprise à reprendre et définir un business plan solide, imaginer et construire la structure adéquate, solliciter et obtenir des financements à des conditions acceptables, recruter des collaborateurs compétents et coopératifs, anticiper les difficultés sans se laisser aller au catastrophisme, s’entourer de conseils avisés et, enfin, commencer à tracer son sillon.
Trente-cinq ans d’expérience dans la continuité en tant qu’entrepreneur indépendant m’ont inspiré quelques réflexions. La toute première question qu’il faut se poser, c’est de se demander si l’on a les ressources mentales suffisantes pour être autonome et indépendant. Il faut se regarder dans une glace et évaluer franchement sa capacité à absorber seul toutes les difficultés imaginables et inimaginables.
En effet, l’entrepreneur est, en définitive, seul lorsqu’il doit prendre des décisions cruciales pour son entreprise car les conseilleurs ne sont pas les payeurs, formule classique mais très réelle au quotidien. Tout le monde a eu ou aura des coups durs la plupart du temps inattendus et il faudra savoir réagir rapidement sans perdre de temps pour prendre les bonnes décisions. Si vous n’avez pas les nerfs solides ou si vous avez tendance à attendre que les problèmes se règlent tout seuls restez où vous êtes et ne tentez pas l’aventure.
Un soutien familial réel
Vie quotidienne
Il faut être conscient que la vie quotidienne va être très différente. Dans votre vie précédente, vous disposiez d’un environnement en permanence à votre service. Vous devrez parfois vous prendre par la main pour effectuer des tâches très triviales car vous n’aurez personne pour les faire à votre place : photocopier un dossier, chercher le courrier à la poste, réserver vos billets de train ou d’avion, rappeler un correspondant jamais disponible, prendre des rendez-vous, etc.
La question suivante consiste à s’assurer de la solidarité familiale et de la solidité de ses liens. L’entrepreneur dont le conjoint est hésitant ou réticent à l’accompagner prend des risques qui peuvent se terminer malheureusement en catastrophe. Votre compagne ou votre compagnon doit être bien conscient qu’il ou elle sera partie prenante à 150 % de vos soucis et de vos angoisses, 150 % parce qu’elle ou il ne pourra s’en libérer sur personne. Il faut aussi savoir que vous allez vous dévouer à votre projet de nombreuses heures par jour y compris les week-ends ce qui ne vous laissera pas beaucoup de temps pour une vie de famille et pour la détente nécessaire et indispensable.
Nouveaux problèmes
Vous allez avoir aussi à vous préoccuper vous-même de gérer votre trésorerie, d’organiser l’activité de vos collaborateurs, de contrôler si ce n’est de faire vos déclarations fiscales ou sociales même si vous disposez d’un cabinet comptable, toutes opérations dont vous n’avez jamais ou du moins rarement eu à vous occuper vous-même car vous disposiez de services spécialisés et compétents.
Comme vous n’aurez pas l’expérience correspondante, vous allez devoir consacrer du temps et de l’énergie à résoudre des problèmes qui sont essentiels mais qui vont vous empêcher de vous mobiliser en permanence sur votre projet.
Lorsque vous aurez pris conscience de tout cela et que vous en aurez accepté les conséquences, vous allez pouvoir entreprendre concrètement votre projet.
Prendre du temps
Se faire conseiller
Une fois que le nouvel entrepreneur a bien défini son projet, il doit s’entourer de spécialistes pour aborder les problèmes pratiques et se faire conseiller à propos des questions juridiques, sociales et matérielles. Quel statut juridique pour l’entreprise ? Quelle protection sociale pour vous et les vôtres ? Quelles ressources financières seront nécessaires ? Quel emplacement, proche ou loin de son domicile, de quelle dimension, etc.? Comment constituer une équipe ? Tout cela doit permettre d’être prêt à l’action et d’écrire un business plan crédible.
Ne croyez pas que la première idée soit la bonne ou que la première entreprise à reprendre soit l’affaire du siècle. Prenez votre temps pour étudier la question sous tous les angles. Parlez-en autour de vous à des personnes complètement extérieures. C’est en exprimant ses idées qu’on les fait progresser sinon vous tournerez en rond et vous risquer de vous auto-convaincre. Il faut savoir prendre du recul pour prendre les bonnes décisions. Soyez humble et acceptez la contradiction. Vos interlocuteurs n’auront pas la même vision que vous et leur éclairage différent vous fera sans doute voir des aspects que vous ne soupçonniez pas.
Ne croyez pas que la première idée soit la bonne
Et voilà, tout est en ordre, vous pouvez vous lancer et c’est maintenant que les difficultés vont survenir et que le stress va faire son apparition. Gardez votre sang-froid, prenez du recul avant de prendre les décisions qui s’imposeront. Sachez prendre encore du temps pour conserver votre équilibre. Soyez capable de reconnaître vos erreurs tactiques. Faites preuve d’humilité face aux événements. Ne vous emballez pas quand une occasion se présente mais sachez saisir les opportunités qui surgissent sans hésiter. Bref, accomplissez-vous.
Apprendre de ses erreurs
Comme moi, vous allez faire des erreurs, vous allez vous laisser embarquer dans des voies sans issue, vous allez perdre du terrain mais vous allez vivre votre aventure, vous allez vous battre et vous réussirez car vous aurez la rage de gagner.
Puis, quand vous vous retournerez vous aurez la satisfaction d’avoir rempli votre vie, d’avoir fait votre devoir de citoyen responsable, d’avoir créé des richesses pas forcément monnayables mais moralement satisfaisantes, d’avoir réussi votre vie familiale avec des hauts et des bas et tout cela grâce à vous et à votre indéfectible volonté.
Bonne chance !
Commentaire
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C’est réaliste, très complet, et complémentaire des projections idylliques faites par les créateurs par procuration (les conseilleurs qui ne sont pas payeurs!): bravo Jacques-Charles.