Juge des enfants
Juge au tribunal de grande instance, il exerce une fonction spécialisée mais il lui arrive de siéger dans des formations non spécialisées lorsque cela s’avère nécessaire (chambres correctionnelles, juge aux affaires familiales, chambres civiles etc.). Comme tout juge, il a pour mission de dire le droit, de l’appliquer aux situations individuelles, ceci nécessitant une interprétation de la loi. Les règles de procédure édictées pour sauvegarder les libertés individuelles et pour donner un cadre repérable au procès s’appliquent bien évidemment à la procédure suivie devant le juge des enfants : le respect du contradictoire, à savoir, présence possible ou parfois obligatoire d’un avocat, débats à l’audience où les parties sont entendues, motivation écrite de la décision et recours possible devant la cour d’appel.
Une double compétence
Il a deux » casquettes » : celle du civil (assistance éducative) et celle du pénal (ordonnance du 2 février 1945). Au civil il est juge de l’enfance en danger et doit prendre toute mesure utile pour faire cesser ce danger dans le respect des principes généraux cités plus haut.
Il faut être pédagogue, expliquer où se situe le danger, proposer des solutions
Le juge des enfants peut être saisi non seulement par les parents ou le tuteur ou le gardien, le procureur de la république, mais aussi par le mineur lui-même. C’est la seule juridiction qui peut être actionnée par un mineur. Autre originalité : le juge des enfants, aux termes de la loi (art 375–1 du code civil), » doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille aux mesures envisagées « . Cette exigence légale donne un ton particulier à nos audiences : il faut être pédagogue, expliquer où se situe le danger, proposer des solutions, si possible, coconstruire un plan d’action avec la famille. C’est pourquoi on a pu parler de justice négociée plus qu’imposée. Le juge est de ce fait obligé de s’interroger sur la compréhension qu’ont les familles du rôle du juge des enfants et quelles sont ses représentations du danger de leur enfant. Cela est particulièrement éclairant pour les familles issues de l’immigration. Les mesures ordonnées par le juge des enfants sont variées et peuvent se succéder. La première audience se conclut souvent sur une mesure d’investigation destinée à cerner l’existence même du danger parfois, sa nature, la problématique familiale et les remèdes possibles.
Une action éducative
Les mesures destinées à faire cesser le danger vont s’exercer soit en maintenant l’enfant dans son milieu familial avec une Action éducative en milieu ouvert (AEMO), soit en le plaçant en dehors de la famille si cela s’avère nécessaire. Parfois, le travail éducatif peut se dérouler sur une période assez longue (plusieurs années). Parfois une AEMO avec la coopération de la famille ou un accueil d’un adolescent à l’extérieur pendant une période de crise avec une participation des parents et de l’enfant à la prise en charge éducative feront cesser le danger dans un délai raisonnable. Il en est de même d’une prise en charge par un intermédiateur culturel pour peu que les particularités culturelles puissent être dégagées, explicitées et mises en relation avec les exigences du droit français et des règles familiales françaises.
L’éducatif avant le répressif
Au pénal, c’est dans cette éthique de fonctionnement que va venir s’inscrire la justice pénale des mineurs. Plus exactement, c’est l’ordonnance du 2 février 1945 qui a institué le juge des enfants qui s’est par la suite vu attribuer la protection de l’enfance en danger par l’ordonnance du 23 décembre 1958. La ligne directrice de l’ordonnance de 1945 est la primauté de l’éducatif sur le répressif. Mais le juge des enfants a toujours à l’esprit qu’un mineur est un être en devenir, que pour peu qu’on y mette du temps, des moyens, de la relation, je n’ose dire de l’amour mais au moins de l’intérêt, les situations peuvent s’inverser et un adolescent même délinquant réitérant peut parfaitement cesser toute conduite délictueuse pour peu qu’on ait pris le temps d’évaluer la situation et de répondre. Le juge des enfants instruit le dossier pénal lorsqu’il ne nécessite pas des actes trop longs ou lorsqu’il ne s’agit pas d’une affaire criminelle. À l’issue de la période d’instruction, il décide de la suite à donner à la procédure dont il a été saisi : soit un non-lieu si les charges sont insuffisantes, soit un jugement, pris en audience de cabinet où il sera seul ou au tribunal pour enfants, chambre collégiale composée du juge des enfants et de deux assesseurs, non professionnels, nommés pour quatre ans, renouvelables. Cette double compétence (instruction du dossier et jugement) est dérogatoire au droit commun mais a été validée par la Cour européenne des droits de l’homme, en considération de l’intérêt du mineur. C’est aussi la connaissance du mineur et de son environnement social qui détermine la compétence territoriale du juge des enfants. Elle se réfère au domicile familial et non au lieu de l’infraction comme c’est le cas pour le droit pénal des majeurs. Cela permet une continuité de la prise en charge et une connaissance réciproque du magistrat et des différents acteurs (sociaux, médicaux, policiers) de son secteur territorial.
Rien n’est joué
Les réponses peuvent être variées, successives, pouvant aller des mesures éducatives (seules possibles en audience de cabinet) à des condamnations pénales parfois très sévères. Cependant, on ne doit jamais cesser d’avoir à l’esprit que rien n’est joué et qu’il faut avant tout maintenir une relation éducative » contre vents et marées » avec l’éducateur qui le suit en milieu ouvert.
Amener le mineur à une prise de conscience du dommage qu’il a occasionné
La mesure de réparation consiste à amener le mineur à une prise de conscience du dommage qu’il a occasionné et du fait que quelqu’un a souffert à cause de lui. Cela nécessite un vrai travail éducatif qui se concrétisera souvent par l’envoi d’un courrier à la victime et par une activité de réparation telle qu’un travail dans une association ou une collectivité publique. La réflexion ainsi menée sur son acte et » le prix » payé pour le réparer est un facteur réel de prévention de la récidive. Il est extrêmement rare que la prison, même si actuellement on la prévoit » éducative « , développe chez un adolescent un processus de resocialisation puisque par la nature même de l’enfermement, il est mis à l’écart de la société et qu’il va rencontrer des jeunes plus inscrits que lui dans la délinquance. Au surplus le risque est grand que pour un adolescent en quête d’identité il ne se forge alors une identité de délinquant et ne sorte de prison en accédant au » caïdat » dans son quartier. Cet argument qui est souvent avancé par les professionnels de l’adolescence, je l’ai vécu au travers de mon expérience professionnelle. J’ai eu la chance de retrouver un ex-mineur. Il est parfaitement inséré, exerce un emploi dans la fonction publique, est marié et père de famille. Il a mené des recherches pour pouvoir dire à » son » éducateur et à » son » juge combien nous lui » avions sauvé la mise « . À ma question : » Que serait-il advenu si je vous avais mis en prison ? » il m’a répondu : » Je me serais inscrit dans une identité de délinquant. » L’identité, la transmission, le lien social et familial sous-tendent les interventions du juge des enfants tant au civil qu’au pénal. Il faut chercher comment, chez un jeune à l’égard duquel la loi n’est pas opérante, celle-ci va finalement être comprise et respectée. C’est tout le travail pédagogique du juge sans lequel ses décisions n’auront aucune portée.