Le réchauffement climatique : réponse à quelques questions élémentaires
Qu’est-ce que l’effet de serre ?
Qu’est-ce que l’effet de serre ?
L’effet de serre caractérise le fait que l’atmosphère terrestre se comporte comme une serre, qui, comme chacun le sait, laisse bien passer le rayonnement solaire incident (essentiellement composé de rayonnement visible) et mal le rayonnement réémis par l’intérieur de la serre, qui comporte une large part d’infrarouges. Cette différence de transparence au rayonnement confine ainsi une partie des infrarouges à l’intérieur de la serre (ou de l’atmosphère) ; l’énergie du rayonnement retenu prisonnier conduisant finalement à une augmentation de température de l’intérieur (de la serre ou de l’atmosphère).
L’effet de serre de l’atmosphère est dû pour l’essentiel à certains de ses composants minoritaires, naturels et présents de longue date, que sont la vapeur d’eau et en deuxième lieu le gaz carbonique1. Sans effet de serre, la température moyenne de la surface terrestre serait de l’ordre d’une trentaine de degrés en dessous des températures actuelles (vers ‑15°C plutôt que vers +15 °C), rendant notre planète tout à fait inhospitalière pour les bipèdes que nous sommes.
Le danger qui est désigné par le terme « effet de serre » correspond donc à un abus de langage, et nous emploierons pour la suite de cet article le terme de « réchauffement climatique », qui désigne mieux non pas le phénomène lui-même, parfaitement naturel et essentiel à notre existence, mais le déplacement du point d’équilibre, qui lui recèle des dangers potentiels.
Comment « fonctionne » l’atmosphère sur le plan radiatif ?
Notre planète reçoit, en moyenne, 342 W/m2 de rayonnement incident du soleil2 (figure 1).
Un petit tiers seulement est directement réémis vers l’espace dans le spectre du visible, par les diverses couches de l’atmosphère et la surface de la terre (qui se trouve être surtout…de l’eau !). Le reste, soit deux gros tiers, est absorbé par les divers composants de notre planète (sol, océans, atmosphère), transformé en chaleur, puis finalement réémis vers l’espace sous forme d’infrarouges.
Pourquoi dit-on que la planète se réchauffe ?
Si la composition de l’atmosphère ne variait pas au cours du temps, notre planète émettrait chaque jour exactement l’énergie qu’elle reçoit, notre système atmosphérique étant alors à l’équilibre (l’équilibre entre énergie reçue et énergie émise est l’état stable de tout corps isolé dans l’espace).
Par suite de la modification, notamment du fait de l’homme, de la composition de l’atmosphère, son opacité aux infrarouges (son effet de serre) augmente légèrement au cours du temps. Un peu plus d’infrarouges restent donc prisonniers de l’atmosphère chaque jour, contribuant à réchauffer globalement l’atmosphère et la planète.
En effet, si l’opacité aux infrarouges de l’atmosphère augmente, le nouvel équilibre radiatif ne s’atteint que pour une température supérieure, puisqu’il faut rayonner plus d’infrarouges (donc être plus chaud) pour que la partie qui arrive à quitter l’atmosphère équilibre toujours le rayonnement incident qui, lui, est resté le même.
Ce réchauffement a‑t-il commencé ?
FIGURE 2 |
Evolution des températures moyennes de l’air au niveaudu sol depuis 1880. On trouvera une explication possible à l’inflexion qui suit 1940 plus bas. Source : GIEC3. |
Oui. Les températures relevées précisément depuis 1860 (1860 est le début de la période d’instrumentation) font apparaître un réchauffement de la température moyenne de l’air au niveau du sol de 0,5 °C environ depuis le début du siècle, et les records de chaleur sont tous concentrés dans les années récentes (figure 2).
L’hypothèse la plus largement admise pour expliquer ce réchauffement est de l’imputer aux émissions humaines, notamment au regard de ce que l’on sait des variations passées. La seule zone d’incertitude vient de ce que l’on ne sait pas apprécier avec précision la variabilité climatique naturelle sur des périodes – un siècle – très courtes à l’échelle géologique.
Quelles sont les diverses émissions qui affectent le bilan radiatif (la différence entre énergie reçue et énergie émise) de l’atmosphère ?
Les composants émis par l’homme qui modifient le comportement de l’atmosphère vis-à-vis du rayonnement sont :
- * des gaz appelés « gaz à effet de serre », principalement le gaz carbonique (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O)4, et les composés halogénés du carbone5, qui contribuent au réchauffement car ils présentent des raies d’absorption dans l’infrarouge ; on dit que ces gaz induisent un « forçage radiatif » positif,
- des précurseurs d’aérosols6, essentiellement issus de la pollution « locale » (SO2 et poussières)7 et qui ont un effet « refroidissant », car ils engendrent des aérosols (des nuages) qui augmentent le pouvoir réflectif de l’atmosphère ; on dit que ces aérosols induisent un forçage radiatif négatif.
Combien valent les forçages radiatifs relatifs des divers gaz à effet de serre ?
Pour chacun des gaz à effet de serre on a la possibilité de calculer un « pouvoir de réchauffement global » ou PRG dont le principe est de donner l’impact radiatif qu’aura l’émission d’un volume donné de ce gaz dans l’atmosphère.
Ce PRG tient logiquement compte de deux données : les raies d’absorption dans l’infrarouge du gaz considéré (qui donnent la « puissance » instantanée) et sa durée de vie dans l’atmosphère (qui donne la durée sur laquelle il faut intégrer la « puissance » pour obtenir un impact énergétique à terme).
Ce PRG peut s’exprimer en valeur relative par rapport à celui du CO2 ; on obtient pour les principaux gaz à effet de serre les valeurs suivantes (tableau comparatif)
Par ailleurs, on peut également estimer, en fonction de leur concentration atmosphérique du moment et de leur PRG, les forçages radiatifs respectifs en valeur absolue des différents gaz à effet de serre, que l’on exprime alors en Watts par mètre carré (figure 3).
L’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle induit aujourd’hui un forçage additionnel de l’ordre de 1% du rayonnement reçu. C’est peu en instantané mais très significatif sur une longue période.
FIGURE 3 |
Contribution respective au forçage radiatif des divers composants de l’atmosphère. l es rectangles représentent les valeurs les plus probables, les tirets la zone d’incertitude. Source : GIEC. |
Une partie du forçage positif des gaz est compensé par le forçage négatif des aérosols, dont on est sûr de l’effet qualitatif, mais que l’on ne sait pas encore appréhender quantitativement avec précision. Les scientifiques sont toutefois relativement confiants dans le fait qu’il n’est pas suffisant pour compenser le forçage positif résultant des émissions anthropiques8 , notamment parce que la durée de vie des aérosols est de quelques semaines seulement et que ces derniers ne s’accumulent pas dans l’atmosphère.
Aux concentrations actuelles (lesquelles augmentent par ailleurs en permanence, cf. plus bas), les contributions respectives sont les suivantes :
- le CO2 produit environ 65% du forçage additionnel ; il provient pour l’essentiel de la combustion des énergies fossiles,
- le méthane produit environ 20% du forçage additionnel ; les émissions anthropiques9 proviennent des pratiques agricoles (des élevages de ruminants car leur digestion inclut de la putréfaction, des rizières), puis des décharges d’ordures ménagères, enfin des hydrocarbures (fuites de gaz liées aux exploitations du charbon et aux industries pétrolières et gazières),
- les dérivés halogénés du carbone (environ 10% du forçage additionnel), utilisés auparavant comme gaz propulseurs (les CFC10, maintenant progressivement interdits par la convention de Montréal car ils sont aussi responsables de la diminution de l’ozone stratosphérique) et actuellement comme gaz réfrigérants et dont les émanations proviennent désormais essentiellement des fuites et mise à la décharge des systèmes de climatisation11,
- le protoxyde d’azote (N2O, environ 5% du forçage)12, qui est principalement issu de l’utilisation des engrais en agriculture et de quelques usages industriels (notamment l’industrie chimique).
- enfin l’ozone troposphérique13, résultant de la pollution locale (les fameux « pics » de l’été) joue pour quelques petits %.
La durée de brassage de l’atmosphère étant de quelques semaines seulement, les lieux d’émission de ces gaz importent peu, ce qui n’est pas le cas des aérosols qui influent plus particulièrement au-dessus des zones où ils sont émis.
Est-on sûr que c’est l’homme qui rejette les gaz à effet de serre ?
FIGURE4 |
Variation des teneurs de l’atmosphère en gaz à effet de serre depuis le XVIIIe siècle (compilation réalisée par J. Chappellaz). les résultais proviennent de l’analyse des bulles d’air mesurées dans la glace (Blunier et al., 1993 ; Etherigde et al., 1996) et, pour les années récentes, de mesures directes. |
La figure 4 montre que les gaz à effet de serre suivent tous une courbe à peu près exponentielle depuis ce que l’on qualifie d’ère « pré-industrielle », laquelle s’est terminée en 1750 environ (un ppmv = une partie par million en volume, un ppbv = une partie par milliard en volume).
Aux incertitudes de mesure près, les concentrations de CO2 relevées avant 1750 sont constantes sur plus de dix mille ans, et n’ont jamais dépassé 280 ppmv depuis 400.000 ans.
Les concentrations jamais atteintes de ces gaz, ainsi que le rythme inconnu jusqu’alors de l’augmentation de leur concentration permettent d’affirmer que c’est bien l’homme et en particulier ses activités « modernes » qui est la cause de l’augmentation des concentrations de ces gaz. Cela est de toute façon une évidence pour les gaz qui n’étaient pas présents naturellement dans l’atmosphère (composés halogénés du carbone) et dont les concentrations augmentent également de manière exponentielle.
Comment peut-on savoir ce qui va se passer plus tard ?
Les outils dont nous disposons actuellement pour tenter de savoir ce qui peut se passer sont des modèles climatiques, qui schématiquement visent à reproduire sur informatique les lois qui gouvernent le climat pour voir comment évoluent les choses en introduisant des perturbations qui varient au cours du temps (notamment les teneurs en CO2).
Environ 2.000 scientifiques travaillent directement sur ces modèles de par le monde, et ont abouti de manière indépendante à la réalisation d’une quinzaine de modèles différents dont il est intéressant de comparer les résultats.
Les convergences qualitatives de ces modèles sont désormais suffisamment fortes pour que l’on puisse en admettre les principaux résultats :
— augmentation de la température moyenne de la planète (cf schéma ci-dessous)
— intensification du cycle hydrologique (c’est a dire des transferts d’eau entre l’atmosphère et la surface, cf. schéma ci-dessous),
— réchauffements plus prononcés la nuit que le jour, l’hiver que l’été, aux pôles et aux tropiques qu’aux moyennes latitudes, en altitude qu’au niveau du sol à l’équateur (et l’inverse aux pôles), et sur les continents qu’au dessus des océans.
Mais peut-on faire confiance aux modèles ?
L’indice de confiance est excellent en ce qui concerne la prévision d’un réchauffement global comme conséquence des émissions anthropiques, à tel point que la communauté scientifique concernée considère désormais que ce serait aux éventuels tenants de l’absence d’impact de l’homme sur le climat de démontrer leur point de vue.
Parmi les éléments qui incitent à donner du crédit aux modèles, disons que si l’on fait partir les modèles non pas d’aujourd’hui (pour savoir ce qui va se passer plus tard) mais du début de la période d’instrumentation, pour comparer ce que dit le modèle avec ce qui s’est vraiment passé, on obtient un bon recouvrement du modèle avec la réalité en ce qui concerne les températures (figure 6).
D’autres recouvrements significatifs entre les résultats des modèles et les mesures sont observés en ce qui concernent la hausse plus prononcée des températures l’hiver que l’été, la nuit que le jour, et en altitude qu’au niveau du sol.
Enfin certains modèles ont été testés sur Mars et Vénus où ils rendent bien compte de ce qui est observé ; Vénus a un système climatique plus simple que celui de la Terre (pas d’océan ni de glaces polaires) mais présente un phénomène particulier dans son atmosphère15 dont le rendu par les modèles est assez fidèle.
Les caractéristiques globales d’un changement climatique sont donc bien cernées sur le plan qualitatif, par contre les prévisions locales sont très difficiles à établir, et le degré de confiance des prévisions à cette échelle locale – hormis quelques indicateurs sur quelques grandes zones – est assez mauvais.
FIGURE 5 |
Les courbes ci-dessus (une courbe par modèle) donnent, en fonclion des années, l’augmentation des températures moyennes annuelles par rapportà la situation actuelle (0 des ordonnées). On a pris l’hypothèse d’une concentration en CO2 qui augmente de 1 % par an. Source IPSL14. |
FIGURE 6 |
Les courbes ci-dessus (une courbe par modèle) donnent, pour chaque latitude, l’évolution des précipitations moyennes annuelles par rapport à la situation actuelle (0 des ordonnées) au moment où la concentration en CO2 dans l’atmosphère aura doublé. Source IPSL. |
Cesser rapidement d’émettre des gaz à effet de serre suffirait-il à arrêter le réchauffement en cours ?
Hélas non. La durée de vie (temps nécessaire à la disparition de 50% du gaz) des principaux gaz à effet de serre dans l’atmosphère est très longue : 12 ans pour le méthane, de l’ordre de un siècle pour le CO2, 120 ans pour N2O, et certains dérivés halogénés du carbone (CF4, par exemple, utilisé pour la production d’aluminium) ont des durées de vie qui peuvent aller jusqu’à 50.000 ans.
Arrêter les émissions demain matin permettrait seulement de stabiliser les concentrations à leur niveau actuel puis de les faire lentement décroître. Or ces gaz continuent de faire du forçage radiatif tant qu’ils sont présents ; quoi que nous fassions le réchauffement issu des gaz déjà présents dans l’atmosphère se poursuivra donc pour encore quelques siècles. Par contre le moment où l’on commence à diminuer nos émissions et le niveau de diminution ont un impact très fort sur les températures maximum atteintes et la pente de montée en température (cf. plus bas).
À titre informatif, la durée de vie dans l’atmosphère de la vapeur d’eau, premier contributeur à l’effet de serre, est de quelques jours seulement, car le système se régule très vite pour ce composant : si il fait plus chaud, il y a plus d’évaporation, donc plus de nuages. Plus de nuages refroidissent l’atmosphère (par réflexion du rayonnement) et engendrent des précipitations qui contribuent aussi à une baisse des températures (en retirant la vapeur d’eau de l’atmosphère). De telles régulations rapides ne sont pas possibles avec les gaz à effet de serre dont aucun phénomène naturel ne permet l’élimination rapide
Où nous situons-nous dans l’échelle des températures par rapport à ce qui s’est passé auparavant ?
En effectuant des forages dans les glaces polaires, il est possible de reconstituer de manière relativement précise l’évolution des températures sur les 400.000 dernières années (âge des couches les plus profondes)16. Sur cette période, le maximum de la moyenne annuelle de la température est de 1 à 2°C au dessus de la moyenne actuelle (16 à 17 °C au lieu de 15) ; c’était il y a 130.000 ans.
Lors des dernières glaciations (de ‑20.000 ans à ‑100.000 ans), la température du globe était inférieure de 4 à 5°C à la moyenne actuelle. Une différence de quelques degrés de température moyenne n’est donc pas un changement mineur, loin s’en faut.
La planète a‑t-elle déjà connu des réchauffements rapides par le passé ?
Sur les 10.000 dernières années, la température moyenne du globe n’a jamais progressé aussi rapidement que ce qui est prévu par les modèles. En outre, la vitesse d’augmentation en elle-même importe peu sans précision sur le niveau de départ. C’est le couple (température moyenne de départ, rythme de réchauffement) qui est inédit
À combien de degrés en plus peut-on arriver ?
Les augmentations prévues varient entre 1,5 et 3,5 °C pour la température moyenne de l’air au niveau du sol à l’horizon d’un siècle selon les modèles et les scénarios retenus (figure 7 ; voir article de Jean Jouzel).
FIGURE 7 |
Comparaison entre la tempéralure moyenne globale annuelle entre 1860 et 1990 observée (courbe en escaliers) et celles simulées en tenant compte, soit de l’augmentation de l’effet de serre seul (courbe supérieure), soit de celui-ci et des aérosols (modèles les plus récents, courbe inférieure). la baisse de 1945 à 1970 esl probablement due aux polluants locaux (qui sont des précurseurs d’aérosols) largement émis pendant les « trente glorieuses « . Cette figure esl adaptée de GIEC (1996). |
Toutefois nous avons vu que même en cas de suppression totale des émissions les concentrations – et donc les forçages radiatifs – ne décroîtraient que très lentement.
Il en résulte que le maximum des températures n’est atteint que bien après que le maximum de concentration en gaz le soit, et les valeurs atteintes en 2100 pour les divers scénarios d’évolution ne représentent que 50 à 90% du maximum absolu à venir ultérieurement.
La prolongation tendancielle des courbes données par les modèles donne des augmentations de température pouvant aller jusqu’à 7°C lorsque le maximum est atteint (dans l’hypothèse haute où nous émettrions des quantités sans cesse croissantes de gaz à effet de serre pendant le siècle à venir), après quelques siècles (et 3 m d’augmentation du niveau des océans).
Deux cas de figure peuvent se présenter si cette hypothèse haute est celle qui se concrétise :
- soit notre système climatique reste à peu près ce qu’il est avec une telle augmentation de température. La prolongation du modèle, qui représente le système climatique, est donc valide à cette échéance, et un tel maximum n’est pas à exclure. Il serait vraisemblablement totalement incompatible avec le maintien de notre forme actuelle de civilisation et avec la survie de quelques milliards d’hommes sur la Terre.
- soit le système climatique se modifie profondément pour permettre une émission nettement supérieure à l’actuelle de rayonnement vers l’espace (pour « refroidir » la planète plus rapidement). Nous entrons alors dans l’inconnu.
Il faut rappeler que nous n’avons aucune visibilité historique sur une élévation rapide de température de quelques degrés au-dessus des températures actuelles : le maximum observé durant les quelques centaines de milliers d’années écoulées (+1 à +2°C par rapport à la moyenne actuelle il y a 120.000 ans) a mis quelques milliers d’années à se produire et non un siècle.
Pendant ce réchauffement, les températures vont-elles évoluer partout de la même manière ?
Probablement pas, pas plus qu’elles non varié de manière homogène dans le passé. Par exemple, lors des dernières glaciations, la température moyenne de l’atmosphère terrestre était inférieure de 4 à 5 °C à la moyenne actuelle, mais la moyenne française était inférieure de 10°C à ce qu’elle est aujourd’hui, pendant que certaines zones tropicales avaient des températures moyennes à peu près identiques à ce qu’elles sont maintenant.
FIGURE 8 |
Prédictions de l’augmentation de la température moyenne de surface entre 1990 et 2100 pour différentes valeurs de la » sensibilité du climat » (IPCC, 1996) |
Le modèle de l’Institut Pierre Simon Laplace par exemple, donne une idée de ce que pourraient représenter les écarts au moment ou la concentration de CO2 aura doublé (dans 60 à 80 ans en prolongation tendancielle) (figure 8).
On constate que ce modèle, pour un réchauffement moyen de 2° C environ, donne des évolutions par zones allant de ‑2 à +4 °C.
Certaines zones se refroidiraient, reflétant probablement en cela la modification des courants marins. La fonte des glaces polaires – par suite du réchauffement global – entraînera un apport d’eau douce dans la mer qui diminuera la salinité des eaux de surface, lesquelles, moins denses, cesseront alors de plonger vers le fond de l’océan en faisant remonter les eaux profondes, plus chaudes.
L’arrêt de l’apport de température des eaux profondes chaudes explique ainsi les refroidissements locaux, sans que l’on sache avec un bon degré de confiance à quels endroits précis ce phénomène se manifestera plus particulièrement.
Ces mouvements convectifs verticaux17 servant par ailleurs de « moteur » aux circulations océaniques profondes (comme le Gulf Stream), ces dernières pourraient être significativement modifiées, avec comme conséquence sur les zones bordant ces courants des fluctuations bien différentes des valeurs moyennes.
Sans que les zones concernées soient identiques ou de même étendue, les autres modèles donnent tous des variations fortement hétérogènes selon les zones, et pouvant comporter des refroidissements locaux.
Le terme de « réchauffement », globalement valable, ne se transpose donc pas de manière homothétique sur le plan local, loin s’en faut.
Les variations vont-elles être réparties de manière homogène au cours des saisons ?
Probablement pas. Par exemple, les modèles convergent qualitativement sur le fait que les modifications de cycle hydrologique ou de moyennes de températures seront différentes selon que l’on se situera en été ou en hiver.
Va-t-on avoir plus de tempêtes et de phénomènes extrêmes ?
Les modèles ne permettent pas pour l’instant de répondre de manière irréfutable sur ce sujet.
FtGURE 9 |
Températures moyennes au niveau du sol par zones au moment où la concentration en CO2 dans l’atmosphère aura doublé, Source : IPSL. |
Il y a deux raisons à cela :
- la première est qu’ils travaillent tous avec des maillages de l’atmosphère (la maille d’un modèle est la distance qui sépare deux points sur lesquels on fait des mesures ; les modèles utilisés en météo travaillent avec des mailles beaucoup plus petites, de l’ordre de quelques km) qui sont de l’ordre de quelques centaines de km, ce qui est insuffisant pour prédire avec un degré de confiance acceptable l’évolution de phénomènes dont la taille est du même ordre de grandeur que la maille18 (un ouragan fait typiquement de quelques centaines à un millier de km de diamètre),
- la deuxième est que cette préoccupation à propos des phénomènes extrêmes est récente, alors que la modélisation climatique date de quelques dizaines d’années.
Mais quelques éléments peuvent quand même être retenus :
- pour certains modèles (pas pour tous), on a étudié l’évolution de la variabilité du climat futur (c’est à dire de la dispersion des valeurs autour des moyennes ; un phénomène extrême étant, comme son nom l’indique, caractérisé par un écart fort à la moyenne). Les modèles étudiés font ressortir une évolution à la hausse de cette variabilité, notamment en ce qui concerne le cycle hydrologique, ce qui signifie très probablement une augmentation des inondations et des sécheresses (et peut-être…des gelées intenses sous nos latitudes). Certains modèles prédisent également une augmentation des tempêtes. Ce premier résultat, qui demande à être confirmé par un travail approfondi, tend à indiquer que les risques de voir apparaître des phénomènes extrêmes augmentera globalement sur la planète, sans que l’on puisse nécessairement localiser les endroits qui seront plus particulièrement concernés19.
- Les phénomènes extrêmes sont des événements par lesquels l’atmosphère évacue rapidement une fraction de son énergie. Par suite du réchauffement, l’atmosphère, globalement plus chaude, donc recelant plus d’énergie, pourrait engendrer des phénomènes de libération plus « énergétiques », ce qui signifie que leur pouvoir destructeur unitaire augmenterait.
Les tempêtes de l’hiver 1999 en France sont-elles des premiers signes du réchauffement ?
Conformément à ce qui précède, il est prématuré de dire que ces tempêtes sont une conséquence du réchauffement global (les phénomènes tempétueux ne datent pas d’hier). Toutefois, sans déroger à la nécessaire prudence, on peut quand même affirmer :
- qu’en ce qui concerne la partie « inondations », c’est une explication vraisemblable conforme à la tendance générale donnée par les modèles, ainsi qu’il est expliqué ci-dessus,
- que le « moteur » des tempêtes est toujours un gradient élevé de température ou d’humidité entre deux masses d’air. Or divers modèles – par exemple celui de l’IPSL, cf figure 9 – prédisent une augmentation du gradient de température entre les masses d’air situées au nord de l’Europe et celles situées au sud. Si l’on rappelle que les tempêtes de l’hiver dernier avaient pour origine la confrontation d’une masse d’air inhabituellement chaude venu du sud avec une masse d’air inhabituellement froide venu du nord, on voit bien qu’une évolution telle que celle donnée par ces modèles « aiderait le hasard » dans la génération de tempêtes analogues à celles que nous venons de connaître,
- plus généralement les modèles prédisent tous des augmentations de gradient dans l’atmosphère, mais pas aux mêmes endroits. Des renforcements de gradients, non localisables à l’avance, sont donc probables, et ces tempêtes donnent donc une idée de ce qui pourra survenir de manière chronique en cas de réchauffement, chez nous ou ailleurs (probablement sans que l’on puisse le prévoir),
- enfin que si ce genre de phénomène est déjà une conséquence du réchauffement, il y a bien pire à venir, les températures étant d’ores et déjà destinées à augmenter – même si nous supprimions les émissions de gaz à effet de serre demain matin – pendant encore quelques siècles.
Y a ‑t-il d’autres risques identifiés ?
Sans que la liste soit limitative :
- les études du passé ont montré qu’il s’était déjà produit des « surprises » climatiques (voir article de ]ean Jouzel), caractérisées, sur une zone donnée (plusieurs fois la taille de la France), par une variation très forte (10°C) et très rapide (en quelques dizaines d’années) des températures moyennes, et par une variation aussi rapide voire plus des conditions hydrologiques. Ces « surprises » ne sont absolument pas à exclure dans le cadre du réchauffement en cours et restent par nature assez imprévisibles,
- de nombreuses espèces naturelles – dont les arbres – pourraient dépérir en cas de modification climatique brutale : les aires favorables se déplaceraient trop vite pour que la régénération naturelle puisse les suivre (les modèles indiquent que les augmentations de température moyenne au-dessus des continents seront probablement très supérieures à l’augmentation moyenne du globe, un facteur 2 à 3 entre les deux étant parfaitement possible),
- l’agriculture pourrait souffrir, notamment de l’augmentation de la variabilité du climat,
- en ce qui concerne la santé humaine, il y aura un impact négatif direct dû aux augmentations de températures (voir article de Jean-Pierre Besancenot) mais le plus grand risque – les études démarrent tout juste sur ce sujet – est probablement de voir la virulence et la mutabilité des micro-organismes pathogènes augmenter de manière forte ; l’urbanisation croissante de l’humanité, le recours constant aux antibiotiques et la forte progression du transport aérien étant autant de facteurs aggravants pour enrayer la dissémination de nouvelles souches,
- par suite de la dilatation des océans sous l’effet de la chaleur et de la fonte des glaces polaires, leur niveau va monter. Cela va poser des problèmes aux zones côtières, où vivent 80% de l’humanité : invasion par la mer de zones d’estuaires (biologiquement très riches et souvent cultivées), augmentation significative des risques d’inondation lors de tempêtes, etc,
- si les courants thermohalins qui ramènent des profondeurs les sels minéraux nourrissant le plancton venaient à s’affaiblir fortement, cela mettrait en péril toute la chaîne alimentaire marine (c’est exactement ce qui se passe à l’échelle locale pour El Niño, période pendant laquelle des eaux habituellement poissonneuses deviennent désertées par la faune),
- Enfin – et d’une certaine manière surtout – des modifications climatiques de grande ampleur, selon la région où elles surviennent, pourraient achever de déstabiliser un équilibre géopolitique local déjà précaire et favoriser des évolutions propices aux conflits : migrations excessives, luttes pour la possession des nouvelles zones favorables, etc, et ce dans un monde ou les armes de destruction massive tendent à se banaliser. Si la Sibérie devient un vert Paradis alors que la Chine se désertifie, que se passera-t-il ?
Les « puits de carbone » ne vont-ils pas absorber le surplus de CO2 ?
Il est vrai que les émissions anthropiques de carbone ne sont qu’une petite partie du cycle naturel de cet élément : 6 Gt par an environ dans un flux global de 160 Gt par an (figure 10 ; les chiffres sont en Gt de carbone) soit 4% environ des échanges naturels.
FIGURE 10 |
Flux et stocks de carbone en gigatonnes |
Et pourtant nos 6 « petites » Gt ne trouvent pas preneur parmi les « puits » qui absorbent le carbone : seuls 3 Gt sont rapidement recyclées, le reste contribuant à augmenter les concentrations atmosphériques.
En ce qui concerne l’océan, sa capacité d’absorption augmente avec la pression partielle de CO2, mais le réchauffement climatique aura un effet antagoniste :
- d’une part l’eau chaude dissout moins bien le CO2 que l’au froide,
- d’autre part le réchauffement engendrera une diminution des courants convectifs entre océan de surface et océan profond (cf plus haut), or ce sont ces courants qui entraînent le carbone dissous en surface vers les fonds marins où il est stocké (essentiellement en y entraînant des restes d’animaux).
En ce qui concerne la biomasse non cultivée (forêt essentiellement), le problème est complexe, mais dans l’ensemble les forêts ne sont des puits de manière certaine que lorsqu’elles sont en croissance : en régime de croisière les forêts ne sont pas des puits puisqu’il en sort à peu près ce qu’il rentre (exception faite du bois d’œuvre), et surtout la tendance actuelle est plutôt à la déforestation, laquelle équivaut de manière certaine à des émissions de CO2 supplémentaires (de l’ordre de 1 Gt de carbone). - En ce qui concerne la biomasse cultivée ou élevée, cette dernière est une contributrice nette au réchauffement, car les plantes cultivées absorbent un peu de CO2 (lequel finit en outre par être restitué au milieu ambiant) mais les pratiques agricoles produisent du méthane (dont le forçage radiatif est 20 fois supérieur à celui du CO2), sous-produit de la digestion des ruminants et de la culture du riz, et du protoxyde d’azote (dont le forçage radiatif est 300 fois supérieur à celui du CO2), qui résulte de l’usage des engrais azotés.
N’y aurait-il pas la possibilité qu’un phénomène inconnu « amortisse » le réchauffement ?
Les carottages glaciaires font apparaître, sur de longues périodes, une étroite corrélation entre températures et concentration des gaz « naturels« 20 à effet de serre (voir article de Jean Jouzel).
Cela ne signifie pas en soi que les réchauffements du passé ont résulté d’un effet de serre (la variabilité naturelle découle essentiellement de paramètres astronomiques : distance de la terre au soleil, inclinaison de la terre sur son orbite, etc).
Mais « cette augmentation parallèle de la concentration en gaz carbonique et de la température signifie l’existence d’un mécanisme qui rend illusoire l’existence d’un phénomène encore inconnu et susceptible de diminuer l’amplitude du réchauffement par effet de serre« 21.
Ne faut-il pas attendre de constater le phénomène avant de faire quelque chose ?
FIGURE 11 |
Annex I et Non-Annex I désignent respectivement les pays signataires du protocole de Kyolo (dont tous les pays développés) el ceux qui ne le sont pas (essentiellement les pays du tiers-monde, dont la Chine, premier consommateur mondial de charbon). |
Au moment où l’on pourra constater par la mesure physique que le phénomène sort du « bruit de fond » de manière indubitable (ce qui se caractérisera par une série longue située en dehors des valeurs habituelles, un climat se définissant par des moyennes sur une durée longue (30 ans), pas sur l’observation d’un seul événement ou même d’une série courte) nous serons alors très avancés – et de manière irréversible pour quelques siècles, à cause de la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère – dans un phénomène comportant une inertie considérable. Ne rien faire maintenant en attendant de nouvelles avancées de la science est donc d’ores et déjà prendre le pari qu’aucune catastrophe ne surviendra.
Comment évoluent actuellement les émissions de gaz à effet de serre ?
Ces émissions (cf. figure 11 pour le CO2 seul) augmentent de plus en plus rapidement (non seulement la dérivée est positive mais la dérivée seconde aussi).
Au sein de cet ensemble, les émissions par pays sont très variables ; nous en donnons quelques-unes (uniquement pour le CO2) (figure 12).
Les émissions par habitant sont également très variables, puisque même au sein des pays du G7 elles varient d’un facteur 3 entre les deux extrémités (figure 13).
Comment se répartissent les émissions de gaz à effet de serre au sein des actes de la vie courante qui sont impliqués ?
Les répartition par activité des émissions de gaz à effet de serre est très variable d’un pays à l’autre. Nous la donnons à titre indicatif pour la planète et pour le CO2 seul, qui est le gaz le plus étroitement mêlé à notre mode de vie (supprimer – ou fortement réduire – des émissions très spécifiques à un secteur est plus facile et a déjà été fait à de nombreuses reprises dans l’industrie ;le SO2 est un bon exemple) (figures 14 et 15).
Les émissions nationales sont calculées en suivant la méthodologie mise au point par le GIEC, laquelle considère des volumes globaux consommés ou utilisés. Il n’est pas facile d’en déduire les émissions liées à des actes particuliers de la vie courante. J’ai cependant calculé ci-dessous quelques ordres de grandeur d’équivalent carbone, pour le seul CO2 (il s’agit bien d’ordres de grandeur ! Mais ils sont déjà éclairants si l’on rappelle que l’émission moyenne par Français est de 1,9 tonne d’équivalent carbone par an).
FIGURE 12 |
Source : ministère de l’Industrie – Observatoire de l’Énergie. |
FIGURE 13 |
Emissions de carbone correspondant au chauffage d’une maison :
- au fuel (3.000 l) : 2,2 tonnes ;
- en utilisant du gaz naturel, pour un même confort thermique : 1,5 tonne,
- à l’électricité, sur une base de 4.000 kWh23 par mois, en supposant que nous prenons les émissions moyennes du parc de centrales : 0,4 tonne en France (où l’électricité est à 90% nucléaire et hydroélectrique) ; près de 3 tonnes en Grande Bretagne (30% de nucléaire) et plus de 4 tonnes au Danemark (électricité essentiellement produite à base de charbon et de pétrole)24.
Emissions de carbone correspondant à un déplacement de 15.000 km (la moyenne des distances annuelles parcourues par les automobiles en France est de 14.000 km) :
FIGURE 14 |
Répartition par activité des émissions de CO2 seul dans lemonde. |
FIGURE 15 |
Répartitionpar gaz du » pouvoir de réchauffement global » des émissions de gaz à effet de serre en France. |
- en voiture25 de petite cylindrée, à la campagne (sans embouteillages) : environ 0,6 tonne par véhicule26.
- en voiture de grosse cylindrée, en zone urbaine (avec embouteillages) : jusqu’à 2,7 tonnes27.
- en RER ou en train28 : environ 0,05 tonne de carbone par personne (en France, 5 à 10 fois plus à l’étranger)
- en avion court courrier29 : un peu plus de 0,7 tonne de carbone par personne
- en avion long courrier30 : environ 0,45 tonne de carbone par personne.
Marchandises :
- le transport d’une tonne de fruits venant d’Espagne (1.000 km) en poids lourd engendre environ 8 kg de carbone ; une tonne de pommes venant du maraîcher du coin en utilitaire léger (25 km) engendre environ 1,4 kg, une tonne de mangues venant d’Afrique du Sud par avion engendre 1,5 tonne de carbone, une tonne d’oranges de Tunisie en avion un peu moins d’une tonne de carbone.
- une tonne de courrier Paris-Nice par train de nuit engendre 3 kg de carbone, en avion (chronopost ou équivalent) 345 kg (100 fois plus !).
Agriculture :
- la production d’une tonne de blé engendre environ 110 kg d’équivalent carbone (provenant pour 25% du N2O issu des engrais et pour 75% du CO2 issu de la dépense énergétique),
- une tonne de bœuf engendre jusqu’à 2,8 tonnes (1,7 tonne pour le CH4 provenant de la fermentation intestinale plus 1,1 tonne s’il est nourri aux céréales31,
- pour une tonne de viande de volaille, 0,2 tonne d’équivalent carbone pour le CH4 provenant des déjections.
Autres Produits :
- la fabrication d’une tonne d’acier produit environ 0,6 tonne d’équivalent carbone, de plastique environ 0,65 tonne de carbone, de verre environ 0,35 tonne, de ciment environ 0,1 tonne.
- la « fabrication » d’une tonne de bois consomme environ 0,5 tonne déquivalent carbone ; le bilan de la substitution d’une tonne d’acier pour une tonne de bois d’œuvre est donc d’environ une tonne de carbone en faveur du bois.
N’aurons nous pas fini de brûler tous nos stocks d’énergie fossile à brève échéance ?
Au niveau actuel de consommation annuelle, nous disposons :
- d’au moins 40 ans de réserves prouvées de pétrole, mais les pétroliers s’arrêtent de prospecter intensément dès qu’ils ont quelques dizaines d’années de réserves devant eux ; cela fait un siècle qu’ils n’ont « que 40 ans » de réserves prouvées. En outre les « réserves ultimes » (schistes bitumineux, sables asphaltiques) prouvées représentent des quantités supplémentaires à peu près équivalentes à 40 ans de consommation elles aussi (voir article de Denis BABUSIAUX),
- de plus de 60 ans de gaz (les estimations varient de 65 à 100 ans),
- de plus de 2 siècles de charbon.
Nous ne pouvons donc pas compter sur une raréfaction très rapide des ressources fossiles pour limiter nos émissions.
Si la collectivité souhaite agir, que peut-elle faire ?
Il faut à la fois diminuer les émissions, et se préparer au réchauffement inéluctable découlant des gaz déjà présents dans l’atmosphère, qui à eux seuls assurent déjà 1,5 à 2 °C de réchauffement à terme. Il importe de garder à l’esprit que le problème de la réduction des émissions ne peut se résoudre que de manière internationale, car :
- le changement climatique se manifestera partout dans le monde, sans être circonscrit aux zones qui sont les plus « pollueuses » en gaz à effet de serre, et n’offrira aucun sanctuaire,
- un seul gros « mauvais joueur » (les USA actuellement, peut-être la Chine demain) suffit pour réduire à néant les efforts des autres pays.
C’est la raison pour laquelle il fait périodiquement l’objet de réunions internationales : Rio (1992), Berlin (1995), Genève (1996), Kyoto (1997), Buenos Aires (1998), Bonn (1999) et bientôt La Haye (2000).
Pour la réduction des émissions, trois variables rentrent en ligne de compte :
- le progrès technologique, qui permet de réduire les émissions unitaires32,
- la substitution au niveau des sources d’énergie primaire33,
- les économies d’énergie provenant de modes d’organisation et de « développement » différents de la société34.
Il est hautement improbable que les deux premiers paramètres seuls permettront d’arriver rapidement à une baisse significative35, au niveau mondial, des émissions de gaz à effet de serre.
Quels sont les niveaux de réduction souhaitables ?
FIGURE 16 |
Il n’y a hélas pas de réponse à cette question qui puisse se calculer scientifiquement. Tout ce que les scientifiques peuvent faire est de donner la valeur des concentrations de CO2 dans l’atmosphère en fonction de la courbe des émissions (figure 16).
Ces courbes se lisent de la manière suivante : pour une valeur de la concentration en CO2 qui se stabilise à un niveau donné (figure du haut) on a calculé des exemples de courbes d’émission qui y correspondent (figure du bas). La correspondance entre figures se fait sur les références de courbe (S450, S550, etc). Le point origine représente les émissions de 1990. Le trait gras (IS92a) correspond au « scénario catastrophe » où les émissions ne baissent jamais.
On constate que même avec une décroissance dès 2020 des émissions pour les ramener en 2100 à un gros tiers des émissions actuelles (S450), la concentration de CO2 dans l’atmosphère se stabilise « seulement » à 450 ppmv, soit 60% de plus qu’à l’ère pré-industrielle et de quoi nous assurer quand même 1,5 °C de plus en 2100 et éventuellement le double à terme.
La seule chose que l’on puisse dire, lorsque l’on regarde ces courbes, est que la rapidité du démarrage des réductions a un impact très significatif sur le niveau de stabilisation à terme, et que donc le plus de réduction le plus tôt sera le mieux.
Quels sont les objectifs des négociations internationales ?
Les négociations internationales tournent autour de l’idée de stabiliser les gaz à effet de serre à deux fois leur concentration préindustrielle (soit 500 ppmv pour le CO2) ; la convention de Rio sur le climat signée en 1992 indiquait quant à elle que l’objectif était de « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
Sans vouloir polémiquer de manière abusive, on relèvera que :
- personne ne sait quelle est la concentration de gaz à effet de serre « qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » : les niveaux auxquels nous sommes déjà sont sans précédent dans l’histoire humaine ; il est donc strictement impossible de s’inspirer du passé pour savoir où est le seuil en dessous duquel nous ne courons aucun danger.
Vu « l’effet retard » du réchauffement par rapport aux concentrations en gaz à effet de serre, nous avons peut-être déjà largement dépassé la cote d’alerte pour éviter des catastrophes majeures dans un futur plus ou moins lointain. Le danger ne provient pas seulement du niveau de CO2 auquel nous parviendrons (il y a déjà eu des concentrations fortes avant l’apparition de l’homme), mais surtout de la vitesse à laquelle nous y allons : en forçant le système climatique à un rythme inconnu dans le cadre des évolutions naturelles récentes, nous risquons d’enclencher des déplacements d’équilibre violents et incontrôlables. - en conséquence de ce qui précède, les engagements annoncés à Kyoto de ramener en 2010 les émissions mondiales quelques % en dessous du niveau de 1990 ne constituent pas une réponse élaborée scientifiquement pour se couvrir d’un risque dûment identifié ; il s’agit simplement du résultat de négociations politiques sur la base du constat « qu’il faut faire quelque chose »,
- les objectif de stabilisation à deux fois la concentration préindustrielle, dont personne ne peut juger de la pertinence, ne seront en outre pas tenus au train où vont les choses.
Qui devrait réduire ?
Pour le moment, les émissions par tête sont environ 10 fois moindres dans les pays en voie de développement que dans les pays développés (environ 0,4 tonne de carbone par habitant et par an contre 3 dans les pays de l’OCDE). On serait donc tenté de dire que nous devons commencer.
Mais une prolongation tendancielle de la situation actuelle donne la Chine comme plus gros émetteur de gaz à effet de serre dans quelques décennies, devant les USA. Certains pays occidentaux (dont les USA, responsables à eux seuls de 25% des émissions) sont donc tentés de dire que les réductions des pays occidentaux ne peuvent démarrer que lorsque les pays en voie de développement s’engageront dès maintenant à diminuer eux aussi leurs émissions dans un avenir qu’il importe de fixer (ce qui n’est pas le cas).
Il est cependant évident que le monde « développé » devra donner l’exemple d’une réduction de grande ampleur de sa consommation énergétique, et le donner rapidement, compte tenu des délais de mise en œuvre : les pays dits « en voie de développement » n’ont que notre modèle à suivre. Il est totalement illusoire de vouloir changer leur trajectoire sans changer le modèle. On pourrait résumer la chose comme suit : demande-t-on à son voisin de ne pas faire de bruit quand son propre chien aboie toute la nuit ?
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1. Et même tres minoritaires : on parle pour le CO2 de concentrations allant de 300 à 500 ppm (parties par million) soit 0,03% a 0,05% de l’atmosphere en volume, et de 300 a plus de 1 000 fois moins pour les autres gaz concernes.
2. Il s’agit d’une double moyenne, temporelle (sur l’année) et géographique (sur la surface de la planète), de l’énerg ie reçue par un mètre carré de surface au sommet de l’atmosphère.
3. Le Groupe international sur l’évolution du climat (GlEC) (sigle anglais,lPCC : International Panel on Climate Change) a été mis en place conjointement par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies ; il s’agit d’un ensemble de scientifiques qui publie des ouvrages sur l’état de l’art de la recherche en Climatologie et qui est chargé de préparer les documents mis à la disposition des délégations nationales lors des sommets tels que celui de Kyoto.
4. De formules respectives CO2, NH4, N2O.
5. Vaste famille de molécules d’hydrocarbures ou l’hydrogène est totalement ou partiellement substitue par des halogènes, avec une formule générique de type CxHyHalz où Hal représente un ou plusieurs halogènes (Fluor, Chlore, Brome … ).
6. Rappelons qu’un aérosol est une suspension dans l’air de poussières ou de gouttelettes ; dans l’atmosphère il s’agit essentiellement de nuages.
7. Une partie du SO2 et des poussières viennent aussi des émissions volcaniques.
8. Anthropique : du fait de I’homme.
9. Deux tiers des émanations proviennent des émissions anthropiques. Le reste vient des zones marécageuses et… des termites !
10. Chlorofluorocarbones, de formule générale CxHyCl2Ft
11. les autres sources significatives proviennent de la métallurgie des métaux non ferreux.
12. Pour ce gaz les émissions anthropiques sont de l’ordre de 50% des émissions naturelles, qui proviennent essentiellement des zones humides.
13. la troposphère correspond à la couche la plus basse de l’atmosphère.
14. Institut Pierre Simon Laplace, rassemblant le laboratoire de météorologie dynamique du CNRS [lMD, unité commune à l’École normale, l’X et Jussieu) et le laboratoire des sciences du climat et de l’environnement du CNRS (unité mixte CEA-CNRS).
15. La rotation de l’atmosphère est plus rapide que celle de la planète.
16. Plus précisément les températures peuvent être déterminées avec un très bon degré de précision sur les 100 000 dernières années, et avec une précision encore acceptable de ‑100 000 ans à ‑400 000 ans.
17. Désignés sous le terme de circulation thermohaIine.
18. Les modèles utilisés pour la météo travaillent avec des mailles beaucoup plus petites : de l’ordre de quelques kilomètres.
19. El Niño et Lo Niña donnent un exemple intéressant illustrant cette difficulté de localisation : une variation de quelques degrés seulement (2 ou 3) de la température de surface des eaux du Pacifique engendre des sécheresses intenses (les dernières ont conduit à de gigantesques incendies), des moussons diluviennes, etc., et tout cela il à des milliers de kilomètres du phénomène d’origine.
20. Gaz dont la concentration atmosphérique il l’ère préindustrielle n’était pas nulle : CO2, CH4, N2O.
21. Citation de Michel Petit, directeur général adjoint de l’X chargé de la recherche.
22. Un climat se définit par des moyennes sur une durée longue (trente ans), pas sur l’observation d’un seul événement ou même d’une série courte.
23. 4 000 kWh est plus ou moins l’énergie dégagée par la combustion d’une tonne de pétrole, soit un peu plus de 1 000 litres, mais le rendement thermique des chaudières n’est pas de100% !
24. Calcul rapide fait a partir de la structure de la production d’électricité dans divers pays ; source Observatoire de l’énergie, ministère de l’Industrie.
25. la moyenne des distances annuelles parcourues par les automobiles en France est de 14 000 km.
26. La combustion d’hydrocarbures produit aussi des précurseurs de l’ozone (2000 fois plus « réchauffant » que le CO2) et des oxydes d’azote dont nous tenons pas compte dans ces calculs.
27. les grosses voitures parcourent un kilométrage annuel supérieur aux petites (source : INRETS). En outre, contrairement à une idée répandue, les voitures les plus modernes ne sont pas les plus économes en carburant : l’efficacité des moteurs a augmenté mais le parc est monté en gamme (cylindrées qui augmentent. climatisation … ); l’effet des deux est une consommation unitaire par véhicule neuf vendu qui a tendance a légèrement augmenter depuis quinze ans.
28. Distance annuelle domicile travail parcourue par un banlieusard habitant à 30 km de son travail. ou !ors de 10 allers-retours Paris-Marseille.
29. Par exemple 10 allers retours Paris-Marseille.
30. Par exemple 1 aller retour Europe-USA.
31. l’alternative est bien entendu le pâturage !
32. Voir l’article de Maurice Claverie.
33. Voir l’article de Jean-Pierre Bourdier.
34. Voir l’article de Benjamin Dessus.
35. Significative s’entend comme une diminution de moitié, voire plus.