Bois, charbon, pétrole, gaz, nucléaire et autres, mêmes problèmes
Il y a un peu plus de cent ans, Paris se chauffait au bois.
Des forêts du Morvan descendaient vers ma capitale de grands trains de bûches que les flotteurs conduisaient sur l’Yonne puis la Seine, souvent au péril de leur vie, car ces rivières n’étaient pas encore les » longs fleuves tranquilles » qu’elles sont devenues aujourd’hui.
Dans les familles morvandelles, les vieux parlent encore de ces arrières grands-pères qui travaillaient dur à abattre, élaguer, scier, assembler puis flotter, qui ne revenaient parfois jamais de leur voyage. Les cartes postales d’époque montrent aussi des forêts ravagées par l’homme, des rives des cours d’eau avec des troncs partout, des hommes, des femmes (des enfants aussi) au travail. Si une pensée écologique alors avait existé, elle aurait certainement contesté ce saccage du milieu naturel, ces conditions épuisantes de travail destinées à satisfaire la demande en énergie de la capitale. A contrario, l’image restée dans les mémoires est celle d’une époque où cette intense activité donnait du travail et permettait de vivre.
Puis le charbon remplaça le bois, et sauva vraisemblablement forêts et cours d’eau d’une destruction inévitable car, au rythme auquel on le consommait, le bois n’était pas une énergie renouvelable. Le charbon, lui, l’était car les ressources paraissaient inépuisables ; la main d’œuvre aussi d’ailleurs car l’exode rural, qui allait durer plus d’un siècle, fournissait les bras nécessaires. Le charbon allait assurer la richesse d’autres régions, dans le Nord et dans l’Est, où il allait signifier travail et vie.
Grâce au charbon, on put aussi fabriquer du gaz et éclairer les villes, qui passèrent ainsi de l’ombre à un peu de lumière, de l’état de coupe-gorge à celui de lieux plus sûrs. Le charbon permit aussi à la chimie de « sortir du bois », au sens propre comme au figuré : la chimie apporta les molécules servant à faire les médicaments et à sauver quantité de vies humaines.
Le charbon amena aussi le train, reliant villes et villages, transportant les richesses. Le charbon apporta enfin l’électricité, qui allait bouleverser la vie en sortant définitivement les villes et les logements du noir, en rendant le travail moins pénible grâce aux moteurs, en apportant le froid et donc la santé avec la possibilité de conserver vaccins et aliments, en permettant téléphone et radio.
Malheureusement, le charbon allait aussi comporter son lot de catastrophes : les 1060 disparus de Courrières et, plus près de nous, en 1966, les 144 morts (dont 116 enfants) d’Aberfan sont encore présents dans toutes les mémoires . Et on ne parlait encore ni de silicose, ni de maladie liées à la pollution atmosphérique, et encore moins de changements climatiques dus à l’effet de serre.
Le pétrole, et le gaz naturel qui lui est intimement lié à la sortie du puits, vinrent ensuite avec le développement des transports : l’automobile d’abord, l’avion ensuite. Ils apportèrent aux consommateurs de nos pays développés, encore plus que le charbon, prospérité économique et liberté de déplacement.
En revanche (le doit-on à leur fort développement ?) c’est de la période « pétrole, gaz, charbon » que naquit la contestation écologique mettant en cause l’épuisement des ressources et les conséquences de leur combustion, à travers l’effet de serre particulièrement.
Pour la première fois dans l’histoire des énergies, furent évoquées les générations futures : était-il bien raisonnable de les priver de ces ressources dont nous aurons, nous la génération actuelle, bien profité, d’autant plus que non contents de priver les descendants de ressources rares, il ne leur en sera laissé que leurs produits de combustion (CO2) aux conséquences climatiques mal connues ? (tableau 1).
Le pétrole, enfin, aura été la source d’actes de guerre, y compris de la part des pays les plus développés et les plus démocratiques, pour s’assurer le contrôle de leurs approvisionnements. La guerre de golfe en témoigne.
Bois utilisé intensivement, charbon, gaz, pétrole ont en commun l’énorme avantage d’être faciles d’utilisation (il suffit de les faire brûler) et plutôt bon marché (la nature s’est chargée de les fabriquer, presque prêts à l’emploi). Ils ont en revanche plusieurs inconvénients :
- les process industriels qu’ils utilisent mettent en jeu des fortes pressions et des températures élevées dont la dangerosité est reconnue et doivent faire l’objet d’attentions particulières,
- ils ne libérent leur énergie que sous forme de chaleur (la forme, certes utile, mais aussi thermodynamiquement la moins souple d’utilisation)
- et surtout de le faire en rejetant dans l’atmosphère leur carbone sous forme de gaz à effet de serre : en langage écologique, on dit que l’aval du cycle de ces énergies n’est pas assuré puisque les déchets produits ne sont ni retraités, ni stockés et qu’on n’a aucune idée du coût de telles opérations.
Mais « l’histoire énergétique » ne s’est pas achevée avec le gaz et le pétrole puisqu’ensuite sont apparues les deux nouvelles formes d’énergie, qui sont d’une part les renouvelables et d’autre part le nucléaire.
Les renouvelables, aujourd’hui et pour des décennies encore constituées à plus de 90% par l’hydraulique, offrent beaucoup d’avantages :
- leur caractère renouvelable bien sûr qui fait qu’on ne prive pas les générations futures de ressources rares,
- l’absence de problèmes liés au rejet de gaz à effet de serre (donc « d’aval du cycle »),
- le fait que l’énergie produite est électrique (la forme thermodynamiquement la plus souple d’utilisation).
Mais, elles ont, elles aussi leurs inconvénients
- elles occupent un espace souvent revendiqué pour d’autres usages (vallées pour l’hydraulique, côtes et crêtes pour les éoliennes),
- elles sont très capitalistiques (il faut bien payer pour concentrer l’énergie et refaire ce que la nature a fait seule dans le cas des énergies fossiles).
C’est pourquoi, les renouvelables subissent aussi une contestation écologique, d’autant plus forte qu’elles sont utilisées à forte dose : grands barrages et fermes éoliennes sont plus contestées que petits barrages et éoliennes isolées.
En fait, le principal reproche qui est fait aux renouvelables tient à leur essence-même : parce qu’elles font appel à des éléments diffus comme le vent ou le soleil, elles consomment en grande quantité un espace, ou un paysage, qui est aussi une ressource limitée pour l’humanité (tableau 2).
Tableau 2 – Sol occupé en km² par une installation produisant 1 TWh/an | |
Charbon | moins de 1 |
Cycle combiné à gaz | moins de 1 |
Nucléaire | moins de 1 |
Hydraulique | environ 5 |
Biomasse bois | plus de 700 |
Photovoltaïque | plus de 5 (1) |
Éolien | plus de 15 |
(1) Pour nos latitudes, avec 2 000 h/an d’ensoleillement et un rendement net de 10%. |
Les renouvelables sont par ailleurs souvent associées à une meilleure maîtrise des consommations d’énergie. Celle-ci est bien sûr toujours souhaitable, au nom de l’efficacité, quelle que soit l’énergie produite, qu’elle soit renouvelable, fossile ou nucléaire.
Le nucléaire, lui aussi, a ses avantages et ses inconvénients :
- moins renouvelable certes que l’hydraulique, il fait appel à des ressources naturelles tellement plus abondantes que bois, charbon, gaz ou pétrole que l’horizon prévisible d’épuisement dépasse largement la durée de vie des technologies ;
- en outre, les ressources sont beaucoup mieux réparties sur le globe, de sorte que le scénario de « guerres du golfe » est peu probable ;
- il ne produit aucun gaz à effet de serre ; il occupe peu d’espace ;
- il est très efficace, ce qui se traduit par une énergie abondante et à prix de revient faible, y compris en y incluant l’aval du cycle (tableau 3).
Il présente aussi des inconvénients, qui sont bien connus :
Tableau 3 – Prix de revient du kWh produit | |
Charbon | environ 0,20 F (1) |
Cycle combiné à gaz | environ 0,20 F (1) |
Nucléaire | environ 0,20 F (1) |
Hydraulique | environ 0,20 F (1) |
Biomasse bois | environ 0,30 F |
Photovoltaïque | entre 3 F et 6 F (2) |
Éolien | environ 0,30 F (1) |
(1) Ces coûts sont des moyennes, avec (pour tous les modes) des fourchettes de plus ou moins 5 centimes suivant qu’on prend des modes de financement plus ou moins chers et qu’on projette des évolutions de réglementation plus ou moins coûteuses. Ils sont donc grosso modo équivalents, mais cette équivalence cache en fait une grosse différence : les périmètres ne sont pas les mêmes ! le coût du nucléaire intègre tous les coûts de l’aval de l’activité (démantèlement des centrales, retraitement des combustibles usés, conditionnement et conservation des déchets sur des durées très longues). Parmi les autres modes de production, seule la grande hydraulique prend en compte ses coûts de démantèlement. les modes ni nucléaire ni hydraulique calculent leurs prix sans prendre en compte leur démantèlement, leurs émissions de CO2 et leurs conséquences sur l’effet de serre, le devenir de leurs batteries ou de leur silicium (photovoltaïque). etc. La raison de cette non-prise en compte provient vraisemblablement du fait que soit on ne sait que très mal calculer les coûts correspondants (effet de serre], soit on ne l’a jamais fait pour les énergies les plus anciennes (combustion thermique).
(2) Ces prix sont ceux que l’on constate actuellement dans les opérations réalisées à l’échelle mondiale. Le groupe EDF, comme tous les autres promoteurs de ce type d’énergie, espère à terme atteindre l’objectif de 1 à 2 F. |
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Tableau 4 – Déchets nucléaires haute activité en mm3/kWh produit | |
Charbon | 0,01 |
Cycle combiné à gaz | 0,0002 |
Nucléaire | 0,30 (1) |
Hydraulique | 0,02 |
Biomasse bois | négligeable |
Photovoltaïque | négligeable |
Éolien | négligeable |
(1) Ceci correspond, pour la production française, à un volume total d’environ 110 m3 par an. |
- les process industriels qu’il utilise mettent en jeu des matières radioactives dont la dangerosité est avérée et doit donc faire l’objet d’attentions particulières,
- les déchets qu’il produit sont eux-mêmes radio-actifs et doivent être particulièrement surveillés pendant des durées très longues,
- il est (comme les renouvelables) très capitalistique (tableau 4).
Que le nucléaire soit contesté aujourd’hui est indéniable, et il l’est d’autant plus que la conscience écologique est beaucoup plus aiguë qu’au temps des énergies qu’il a partiellement remplacées. La prise de position du nouveau gouvernement allemand, qui affiche la volonté d’abandonner à terme cette énergie en est la plus récente illustration. Cette position est cependant concomitante de l’engagement international du même pays de réduire de plus de 20% sa production de gaz à effet de serre, ce qui suppose maintien du nucléaire et passage du charbon au gaz.
Or, l’Allemagne doit sa place de première puissance économique en Europe en particulier au fait qu’elle a su développer une forte industrie chimique à partir du charbon puis faire appel massivement à l’énergie nucléaire, limitant ainsi sa dépendance énergétique.
La contestation du nucléaire, parallèle à celle du charbon, iront-elles jusqu’à faire renoncer ce pays à sa place de leader industriel européen et à accepter de dépendre de gaz et d’électricité venant d’autres pays (électricité nucléaire pour la plus grande part, puisque la quinzaine d’autres pays européens ayant plus de 20% de leur électricité qui est nucléaire n’a entrepris aucun geste de sortie comparable au geste allemand)?
Le paradoxe de l’énergie nucléaire est vraisemblablement davantage d’être la « petite dernière » dans la famille des énergies, celle qui a grandi si vite que tous attendent d’elle qu’elle ait réponse à tout, à toutes les questions auxquelles ses grandes sœurs n’ont pas encore apporté de réponse comme celle de l’aval du cycle : ceux des Allemands qui disent à la fois « non au CO2″ et « non au plutonium » sont peut-être tout simplement en train d’exprimer à leur façon qu’il faut s’intéresser à l’aval de toutes les énergies ?
Si tel est bien le cas, nous vivons les signes précurseurs des problèmes que se poseront nos concitoyens européens dans les décennies 2020 à 2050, quand il leur faudra reconstruire les infrastructures énergétiques (hydrauliques, gazières, pétrolières et nucléaires) que leurs arrière-grands parents avaient construits entre 1950 et 1980.
Ce sera un vrai dilemme puisque, quels que soient leurs choix, ces choix auront la même conséquence : la nécessité d’adopter une attitude responsable à l’égard des déchets ou plus généralement des détriments, que ceux-ci soient diffus comme l’effet de serre (par les énergies fossiles), ou bien concentrés comme les déchets de forte radioactivité (par l’énergie nucléaire) ou la prédation d’espaces rares (par les énergies renouvelables).