Un Chapeau de paille d’Italie
Ayant écouté, ou lu, les nouvelles du jour, et surtout les commentaires qui les accompagnent, il doit bien vous arriver, amis lecteurs, de penser qu’une fraction importante de vos contemporains marche sur la tête. Et de vous en affliger. Dans ce cas, le meilleur conseil que je puisse vous donner, si vous souhaitez vous désaffliger, sera d’aller voir jouer du Labiche. Cela est souverain. J’ai, pour ma part, pratiqué récemment avec succès cette thérapie. J’en avais bien besoin, émergeant d’intéressantes pages consacrées au devenir de notre Éducation (?) nationale.
J’ai profité de l’idée de J.-D. Laval de monter et mettre en scène Un Chapeau de paille d’Italie dans son théâtre Montansier, à Versailles. Une excellente idée, car le Chapeau est peut-être la pièce la plus délirante et la plus farfelue du grand Labiche, et Dieu sait s’il s’y connaît en la matière. Il l’a écrite, comme d’ailleurs presque toute son œuvre, en collaboration, cette fois avec Marc-Michel et elle fut créée sur le théâtre de La Montansier – celui de Paris, devenu par la suite le Palais-Royal – le 11 août 1851, c’est-à-dire quelques mois avant le coup d’État du 2 décembre, coup de force approuvé trois semaines après par le suffrage universel, avec sept millions de oui contre six cent mille non, à l’indignation de Victor Hugo qui n’avait rien compris à la situation, ce qui ne saurait surprendre de la part de ce grandiloquent bavard.
Mais rassurons-nous. Il n’est en rien question de politique, ni de près ni de loin, dans le Chapeau, pas même d’actualité. Tout au plus y voit-on le comptable Tardiveau faire encore partie de la Garde nationale à soixante-deux ans, non par dévouement à la chose publique mais tout bonnement pour le plaisir d’y retrouver son copain Trouillebert, professeur de clarinette.
Si donc l’actualité est totalement absente du Chapeau, du moins y nageons-nous dans une combinaison toute labichienne de personnages parfaitement normaux et plausibles dans leurs réactions et leur comportement, mais emportés par les circonstances dans des situations totalement invraisemblables, où l’on voit le malheureux Fadinard contraint de partir à la quête d’un chapeau de paille d’un modèle rarissime en ignorant qu’il en possède un, cela le jour même de son mariage et, de ce fait, flanqué d’une noce au grand complet qui le suit sans rien comprendre, entassée dans huit fiacres, collant sans défaillir à chacune de ses pérégrinations, dans une boutique de modiste qu’elle prend pour la mairie, dans les salons d’une comtesse musicienne où elle s’empiffre en se croyant au , restaurant où devait avoir lieu le déjeuner, au domicile d’un vieux ronchon enfin, tout occupé à prendre un bain de pieds bien chaud pour se consoler de son présumé cocuage, domicile où elle cherche la chambre nuptiale en criant “ vive la mariée ”.
Au dix-neuvième siècle, on pouvait se payer une grande abondance de personnages. Dix-sept en l’occurrence, plus de nombreux figurants : toute la parentèle du pépiniériste Nonancourt, le père de la mariée, qui a déferlé de Charentonneau et d’ailleurs. De nos jours, de pareils plateaux sont devenus inabordables. M. Laval a supprimé trois rôles subalternes et apportant peu, remplaçant donc certains dialogues purement explicatifs par de simples monologues, et surtout fait disparaître la parentèle, en y substituant tout bonnement trois musiciens (accordéon, guitare, flûte traversière), qui font du bruit comme quinze et harcèlent le pauvre Fadinard en un burlesque et incessant ballet, évoquant fort bien l’encombrant cortège nuptial conçu par Labiche.
Une idée géniale de metteur en scène, qu’il convient de saluer très bas, parce que d’aussi heureuses trouvailles ne sont pas si fréquentes de nos jours.
Un grand spectacle, digne du Montansier versaillais, tout repeint de frais, où flottent encore entre Rue des Réservoirs et Bassin de Neptune les mânes de Thierry Maulnier et surtout de son épouse Marcelle Tassencourt. Elle dirigea longtemps ce théâtre, où lui succéda Francis Perrin, que la grande Tata appelait “ le petit con ”, marquant ainsi, à sa manière, l’affection admirative qu’elle portait à son surdoué pupille.
Quoi qu’il en soit, cette représentation du Chapeau nous aura montré que le Montansier demeure sous la houlette de M. Laval un très haut lieu de théâtre, et c’est tant mieux.