Quand la Chine veut vaincre
Il y a quelques décennies quelques bons esprits prédisaient le réveil de la Chine. À dire vrai Mao les avait précédés en rendant ainsi compte de l’ambition de son pays depuis l’arrivée des communistes au pouvoir en 1949 : « Notre territoire est vaste, notre population nombreuse, notre position géographique avantageuse… Il serait intolérable de ne pas nous hisser au premier rang des nations. »
Trente ans plus tard la Chine a décollé avec l’atout de centaines de millions de Chinois mobilisés en faveur d’une puissante croissance qui ne donne pas le moindre signe de faiblesse. L’on grappille ici des technologies, là des usines mais plus pour très longtemps, on commerce avec le monde entier ; une fraction de la population s’enrichit suivant ainsi les conseils de Deng Xiaoping que l’on croirait inspirés de Guizot ; d’innombrables entreprises se créent dans les zones spéciales aussi bien que dans les mégapoles ; on recherche fébrilement des matières premières partout dans le monde et tout particulièrement du pétrole en Afrique. La Chine se hâte non plus lentement mais avec ferveur vers un destin éminent. Car elle n’est plus seulement l’atelier du monde. Avec son poids bien réel elle possède désormais ses grandes entreprises dont de nombreuses multinationales, des fonds souverains, et bientôt si ce n’est déjà, avec le renfort de centaines de milliers d’ingénieurs, elle inventera ses technologies plutôt que de les importer comme le Japon et la Corée du Sud l’ont fait avant elle. Et surtout cette « Chine puissance » comme la qualifie Stéphane Marchand émerge militairement et bouleverse les équilibres d’une Asie à la spectaculaire réapparition.
Quand la Chine veut vaincre nous en donne une saisissante description : destruction de l’un des plus « anciens » satellites chinois avec un missile balistique lancé du Sichuan ! envoi d’un Chinois dans l’espace, programme lunaire pour rechercher de l’hélium 3, développement de missiles intercontinentaux, étude d’un porte-avions complétant une flotte plus importante en tonnage que la Royal Navy, recherche d’atolls pouvant servir de bases de lancements nucléaires bien avant l’Inde et le Pakistan…
Bien sûr nombre de ces armements et des manœuvres militaires ont pour objectif le rattachement de Taïwan à la Grande Chine, pacifiquement de préférence toutefois, d’autant que l’économie chinoise est pour une large part contrôlée par des capitaux taïwanais, que les liens de cette « autre Chine » avec les Américains sont anciens et étroits, et que de très hauts anciens dignitaires communistes font en permanence et secrètement la navette entre Pékin et Taipei. Cette géostratégie de la Chine qui achète massivement des armes à la Russie, exporte massivement vers le monde occidental, construit des dizaines de paysages lunaires où s’activent des millions de Chinois, dispose ou disposera bientôt du troisième budget militaire dans le monde, est décrite et décryptée dans l’ouvrage de Stéphane Marchand. À partir de spectaculaires exemples mis en perspective dans un style limpide, l’auteur nous fait pénétrer dans les secrets de l’Empire du milieu qui, s’il n’a pas encore de vraie puissance militaire capable de rivaliser avec celle des États-Unis, pratique la guerre asymétrique qui consiste à menacer des actifs militaires lourds et onéreux « à l’aide d’instruments légers et bon marché, militaires ou non ».
Bref, un ouvrage à lire impérativement pour mieux cerner les lignes de force du rééquilibrage militaire à venir entre la Chine et les États-Unis qui bouleversera la géopolitique mondiale.