Richard Strauss : Ariane à Naxos
On a souvent vanté ici comment le DVD permet désormais de ressentir chez soi des émotions qui se rapprochent du concert.
Voir les musiciens, le chef d’orchestre, le public apporte une sensation de réalisme que n’offrait pas le disque. Pour l’opéra, l’apport du DVD est encore plus remarquable. Profiter de la mise en scène et du jeu des acteurs dans des décors pensés pour le spectacle est irremplaçable. Cette production d’Ariane à Naxos de Strauss à Zurich en 2006 en est un parfait exemple.
L’opéra composé par Strauss juste après Le Chevalier à la rose, dans un style bien plus accessible que les deux opéras qui l’ont précédé, Elektra et Salomé, est particulièrement original. Le prologue met en scène un compositeur qui se fait imposer jusqu’à la mort par un commanditaire ignare et pressé de mélanger son opera seria, qui relate les lamentations d’Ariane abandonnée sur l’île de Naxos par Thésée, avec un opéra bouffe faisant intervenir les personnages de la Commedia dell’Arte. Puis l’opéra lui-même mélange effectivement l’appel à la mort d’Ariane, puis son chant d’amour avec Bacchus venu la sauver, avec les amourettes de Zerbinette, Scaramouche et Arlequin. Cette trame est le support d’une des plus belles musiques de Strauss et d’un des plus fins textes de son librettiste de l’époque, le grand dramaturge Hugo von Hofmannsthal.
La mise en scène reproduite sur ce DVD pousse encore un cran plus loin l’intellectualisme de l’opéra. Ici l’île déserte est une métaphore pour l’isolement d’Ariane. Tout est transposé à une époque contemporaine, et le drame devient actuel avec mécènes parvenus, femmes abandonnées, coureuses vulgaires et bellâtres de comédie. Ici plus de péplum ni de costumes d’Arlequin : l’action se passe dans un grand restaurant zurichois, où les Naïades vocalisent en essuyant les verres et où les serveurs courtisent les clientes. Infidèle transposition, mais très crédible, avec de vraies trouvailles psychologiques, comme ce contraste atténué entre Ariane et Zerbinette pour montrer la proximité des deux femmes, ou ce spectre du compositeur qui hante toute la fin du mélange burlesque.
Musicalement, c’est somptueux. Christoph von Dohnanyi est un des plus grands chefs actuels. Son orchestre, léger et « chambriste », est très bien enregistré. Notamment les bois qui indiquent les sensations et les émotions (le désir de Zerbinette…) enveloppent parfaitement les chanteurs. Les quatre protagonistes principaux (Ariane, Bacchus, Zerbinette, le compositeur) sont absolument exemplaires. Sans tout citer, disons qu’Elena Mosuc donne une interprétation de Zerbinette bien plus simple que souvent, parfaitement adaptée à la mise en scène. Les prises de rôle de Roberto Sacca en Bacchus et de la grande Emily Magee (une formidable Desdemone aussi, un rôle aux antipodes de celui-ci) en Ariane ont été justement très remarquées à l’occasion de cette production.