Le Barbier de Séville et Les Noces de Figaro
Les deux pièces de Beaumarchais ont fourni le livret des plus importants opéras de deux magiciens de l’art lyrique, Mozart et Rossini. Chacune est d’ailleurs parfaitement adaptée au compositeur qui l’a mise en musique et les opéras en soulignent encore davantage les différences. Le Barbier de Séville, pleine de légèreté et parfois de bouffonnerie, succession de situations invraisemblables et d’épisodes burlesques, avec un Figaro souvent pataud et toujours vantard, a bien naturellement séduit Rossini. Le Mariage de Figaro, bien plus fin et plus construit, véritable pièce des Lumières, avec ses six personnages beaucoup plus complexes et subtils, et un Figaro plus malin et plus agile, était bien sûr adapté à Mozart.
Ces deux productions sont probablement parmi les meilleures de ces dernières années, avec des décors et une mise en scène d’exception.
Le Barbier de Séville de l’Opéra Bastille, mis en scène par Coline Serreau en 2002 et repris cette année à Paris, est magnifique. Les décors rappellent que Séville a été occupée quatre cents ans par les musulmans qui y ont laissé une forte empreinte. Ce sont les plus beaux décors vus depuis longtemps, les différentes scènes nous montrant patios et extérieurs aux couleurs de l’Andalousie musulmane (azulejos…). La mise en scène est simple et efficace, avec de vrais moments forts comme cet Air de la calomnie chanté par un Basilio de plus de deux mètres, véritablement impressionnant et intégralement cocasse. En fait la mise en scène fait preuve d’équilibre entre comique, voire burlesque (comme ce Figaro recouvert de téléphones portables), et classicisme (comme ces ensembles un rien statiques, aux antipodes des effervescences et agitations qu’on a pu voir dans d’autres productions). Le comte Almaviva magnifiquement chanté par Roberto Saccà est en fait le vrai héros de l’opéra. L’air assez long où il converse avec ses hommes de main est, avec l’Air de la calomnie déjà cité, un des moments forts du DVD. Ajoutons que l’image de grande qualité rend justice aux costumes et aux superbes décors, et que l’opéra est très bien enregistré ce qui donne un plaisir peut-être supérieur à ce que l’on peut entendre dans l’acoustique parfois difficile et ingrate de l’Opéra Bastille.
La production des Noces de Figaro à l’Opéra londonien de Covent Garden mérite également d’être conservée. Ici il n’y a plus de comique, seul parfois un humour fin dans une atmosphère et des lumières à la Watteau ou Fragonard. Les grandes caractéristiques de cette production sont un jeu d’acteur digne du théâtre, des costumes et des décors somptueux, décors changeant à vue entre les actes de façon impressionnante et efficace et un ensemble musical de tout premier plan.
Le chef Antonio Pappano, qui tient aussi le clavecin lors des récitatifs, dirige un ensemble d’une très haute musicalité : le Figaro d’E. Schrott a une présence phénoménale, le comte de G. Finley joue bien les différents états d’esprit du personnage (amoureux et égrillard, puis menaçant et méchant, puis perdu et pénitent), le Basilio de P. Langridge semblant le seul personnage issu du Barbier de Séville lance le fameux cosi fan tutte qui fait le lien avec l’opéra suivant de Mozart. Les chanteuses sont encore plus exceptionnelles : le voi che sapete de Chérubin (où l’on voit comme au théâtre la comtesse se laisser peu à peu séduire, et Suzanne accompagner le page à la guitare) est un enchantement, le porgi amor de la comtesse de D. Röschmann, le dove sono de la Suzanne pétillante de Miah Persson sont de grands moments de l’opéra.
Vraiment, ces Noces de Figaro sont peut-être le DVD à posséder en priorité pour se convaincre de l’intérêt de l’opéra en image.