LES CRISES ET LE XXIe SIÈCLE
« Le XXIe siècle… va déployer un éventail de crises totalement nouveau qui, en même temps qu’un effort de prospective, exige une réflexion sur nos concepts. » Cette phrase de Jacques Lesourne montre bien que son but, au-delà d’un ensemble très riche d’analyses, a été de préciser les concepts que nous utilisons, d’en proposer de nouveaux, mais aussi d’en écarter certains qui jouissent souvent d’un statut sans aucun rapport avec leur efficacité.
Le premier de ces outils est le concept de système tel qu’il émerge aujourd’hui. Regarder le monde à partir de l’approche systémique, c’est renoncer aux visions simplificatrices (et normatives), c’est donner un sens nouveau à des concepts comme « démocratie » et « gouvernance ». Le deuxième outil est celui d’évolution. Ce que Jacques Lesourne nous invite à retenir, c’est :
« Le mélange des comportements d’adaptation, de mimétisme, de rationalité, les résistances différentielles à l’innovation, la coexistence de durées de changement rapides et lentes, les essais, les erreurs, les bifurcations, les pièges, les explosions, les effondrements. »
Troisième outil, qui structure le livre lui-même : c’est le choix de décrire le monde à partir de trois « points de vue » complémentaires :
– celui des bilans planétaires et des ressources globales,
– celui des « fourmilières humaines » et de leur organisation,
– celui de la géopolitique.
Changer notre regard
Chacun de ces points de vue conduit à un décentrement, et oblige le lecteur à renoncer à « ce qui constitue notre Charybde et notre Scylla : le retard de nos mentalités et le danger des utopismes ». Je vais insister sur cinq points pour lesquels ce décentrement me paraît très novateur. Le premier est la définition systémique de la démocratie : « Un système complexe et par conséquent soumis, par le jeu de ses éléments, au risque de destruction et de fonctionnement dégradé. » On est surpris de voir à quel point cette approche est féconde… et combien de questions apparemment insolubles trouvent leur réponse une fois qu’on l’a adoptée.
Le second est le choix, pour décrire le monde, du concept de « plaques tectoniques » (le livre en retient six), et la récusation du concept de « civilisations » cher à Samuel Huntington. Ce qui est décisif, dans l’analyse proposée, c’est de constater que les civilisations sont loin de former des ensembles homogènes. De sorte que c’est le concept de plaque tectonique qui joue un rôle opérationnel.
Le troisième point apparaît dans la description des « fourmilières humaines », qui conduit Jacques Lesourne à noter une « diversité écosystémique » assez stupéfiante, et à souligner qu’elle est destinée à durer. États, marchés, multinationales, médias, mafias : chaque chapitre fait découvrir un aspect des sociétés humaines, et souligne leur vitalité. Et aussi le fait que chaque sous-système peut être source d’instabilité. Tout cela conduit à revenir sur la notion de Développement durable, à souligner ses ambiguïtés et la confusion qu’elle entretient entre le « réel » et le « désirable ». Quant au Principe de précaution, son histoire semble coïncider avec notre refus de voir à quel point, dans un monde globalisé, personne n’est propriétaire de la notion de risque : « En quoi importe-t-il à l’humanité que les Français, 1 % de la population mondiale, interdisent les OGM si les surfaces cultivées qui y ont recours s’accroissent à grande vitesse tout autour du globe ?
Un pessimisme mesuré
De la notion de risque et d’aléa, on passe à celle de crise. Deux sous-systèmes sont particulièrement difficiles à stabiliser. Le premier est le système financier. Le second, qu’il ne faut jamais oublier, est celui des taux de change entre plaques tectoniques. Le jugement de Jacques Lesourne sur notre capacité à améliorer les deux est raisonnablement… pessimiste.
Ces analyses feront date, à la fois par leur nouveauté, et par la très grande cohérence de l’ensemble. Elles montrent la fécondité des trois outils de départ : systèmes, évolution, séparation en trois approches complémentaires. Mais, bien entendu, le plaisir de la lecture va bien au-delà de cette armature conceptuelle que j’ai choisi de souligner. Le lecteur sera convié, au cours des derniers chapitres, à dialoguer avec l’auteur sur le sens de l’aventure humaine. Ce sera à chacun de se positionner sur ces questions, sur lesquelles Jacques Lesourne nous livre ses choix, sans édulcorer les difficultés, et les incertitudes…