Les déficients visuels, une chance pour l’entreprise
Selon une enquête de 1998–2000, la France comptait 207 000 aveugles ou malvoyants profonds et 932000 malvoyants moyens, soit près de 1,9 % de la population. Sur les 20 000 X vivants, 380 sont donc dans ce cas. Seuls 7 000 aveugles complets sur 17 000 en âge de travailler ont une activité professionnelle. Le taux de chômage des personnes handicapées visuelles s’élève à 30 %, contre une moyenne nationale de 9%.
La loi de 2005
Depuis la loi du 11 février 2005, l’obligation d’emploi des personnes handicapées est de 6%, sous peine de très fortes amendes. Or, cette loi a par ailleurs supprimé les catégories sur la lourdeur du handicap, ce qui pénalise gravement les déficients visuels dans la mesure où les entreprises préfèrent embaucher des personnes plus légèrement handicapées ou qui n’ont pas besoin d’aménagements spécifiques de leur poste de travail.
La charte université-handicap de 2007 et la charte de la Conférence des grandes écoles sur le handicap de 2008 ont établi une série de recommandations avec la création de « missions handicap » dans les universités et de » référents handicap » dans les grandes écoles. La situation est cependant encore très inégale entre établissements et il faut reconnaître que beaucoup reste à faire. Il importe dans tous les cas que les déficients visuels se fassent connaître auprès de la mission handicap ou du référent handicap dès leur arrivée à l’université ou à l’école.
Ne pas recruter uniquement pour le politiquement correct
En ce qui concerne les classes préparatoires, la barrière reste très forte ; pour les concours, les solutions explorées sont l’adaptation de certaines épreuves et le recrutement parallèle par les écoles.
Entre atouts et difficultés
Dans l’entreprise, la prise de conscience est réelle : nombreuses sont celles qui ont mis en place des » missions handicap » dotées de budgets. Ceux-ci concernent d’abord les aides techniques nouvelles : logiciels de synthèse vocale, grands écrans, plage tactile braille, agrandisseurs et logiciels facilitant le travail sur un ordinateur. Ces adaptations du poste de travail sont d’un coût modéré.
Logiciels de synthèse vocale, grands écrans, plages tactiles braille, agrandisseurs et logiciels spécialisés facilitent le travail sur ordinateur. |
À noter cependant un point souvent méconnu qui interpelle les DSI : les applications maison ne sont pas toujours très accessibles et leur multiplication, avec des ergonomies disparates, rend leur utilisation malaisée.
Seule une forte volonté d’intégration des systèmes, une charte de réalisation des logiciels, et une stratégie informatique volontariste, clairement soutenue au plus haut niveau, peuvent y remédier.
Si les aides techniques sont une chose, l’attitude de l’entreprise à l’égard des déficients visuels est tout aussi – sinon plus – importante. D’abord, il ne faut pas recruter uniquement pour le politiquement correct ou pour satisfaire à des quotas obligatoires, mais en se focalisant sur les compétences et la personnalité des postulants.
Ensuite, tout en étant à l’écoute des difficultés rencontrées, il faut éviter de surprotéger ou, pire, de montrer une compassion exagérée, mais au contraire traiter les déficients visuels comme des salariés comme les autres : mêmes objectifs, mêmes réunions. Les entreprises cherchent aujourd’hui à développer les » aides humaines » en mutualisant des assistants entre plusieurs déficients visuels.
Une stratégie gagnant-gagnant
Pour utiliser une expression à la mode, le recrutement de déficients visuels participe d’une stratégie gagnant- gagnant, en raison de la richesse de l’apport des déficients visuels.
S’adapter à soi-même et à son environnement
Habitués à vaincre les obstacles, à ne pas se décourager à la première difficulté mais à réagir pour la contourner, les déficients visuels sont un exemple et un facteur d’entraînement et de motivation pour leur équipe : » S’il l’a fait, pourquoi pas moi ? » Par ailleurs, les déficients visuels ont appris par la force des choses à écouter et à déléguer, deux qualités essentielles d’un manager.
S’il n’y a pas d’élèves déficients visuels à l’X en raison du statut militaire de l’École, il est statistiquement certain que des camarades perdent plus tard la vue, partiellement ou totalement. Il s’agit dans ce cas d’accepter, ce qui n’est évidemment pas facile, et très vite d’engager des actions pour s’adapter, à soi-même et à son environnement, en ne tardant pas à mettre en oeuvre toute une panoplie de formations : déplacement, informatique, mémorisation, prise de parole en public, etc. Dans la vie courante aussi, des choses a priori simples ne le sont plus, comme manger proprement.
Dans l’entreprise, il faut mettre le sujet sur la table avec tout nouveau supérieur ou collaborateur direct. Avec un nouvel interlocuteur, toujours le prévenir à l’avance pour éviter une surprise.
Jacques Bédhet, « accessoirement déficient visuel »
« Au cours de ma carrière, j’ai perdu progressivement la vue sur vingt ans. Après Sup’Aéro et un MBA à l’INSEAD, j’ai occupé des fonctions très variées et des postes de direction générale en Europe, toujours dans le même groupe industriel américain, Air Products. Quand mon acuité visuelle a baissé significativement, mon vice-président m’a simplement demandé : “ Que te faut-il pour continuer à contribuer à la réussite de notre groupe ? ” « Nous avons recruté un assistant pour mes déplacements, la lecture papier, le décryptage du langage corporel de mes interlocuteurs. L’équipe informatique, du global VP à l’opérateur, m’a toujours trouvé des solutions. « Je me considère comme “accessoirement déficient visuel” plutôt que comme handicapé : pour manager une organisation, garder la confiance de ses équipes, collègues, clients et partenaires, il faut travailler énormément pour compenser une lenteur certaine et bien sûr, plus qu’un autre, se remettre en cause, anticiper, s’adapter. Rien n’est jamais acquis. « Depuis que j’ai cessé mes activités professionnelles, j’accompagne bénévolement des déficients visuels au Club emploi du GIAA, avec un seul leitmotiv : Croyez en vous, ils croiront en vous. »
En entreprise comme à l’extérieur, le danger est de s’isoler. Si les transports en commun sont de plus en plus accessibles, c’est paradoxalement le déplacement des piétons qui devient hasardeux avec la multiplication d’obstacles sur les trottoirs et les véhicules silencieux (vélos, voitures électriques).
Quant aux loisirs, de nombreuses adaptations ont été mises en place dans les musées, dans les spectacles avec l’audio-description, dans le sport. Des déficients visuels font de l’escrime, du ski, montent à cheval ou pilotent des avions.
La lecture est grandement facilitée par les logiciels de synthèse vocale qui permettent de lire des courriels ou de surfer sur Internet. De même, les CD Daisy (Digital Accessible Information System), format international dérivé du MP3 avec de nombreuses fonctionnalités supplémentaires comme des marque- pages, le réglage de la vitesse de lecture sans altérer le son, la navigation de chapitre en chapitre permettent de lire et même de feuilleter des livres et des revues.
Axel Petit : des compétences et des résultats
« Déficient visuel de naissance, j’ai eu la chance, depuis l’enseignement secondaire et jusqu’à mon entrée dans la vie professionnelle, de pouvoir faire mes choix d’orientation en fonction de mes aspirations et non d’une liste de métiers “ accessibles “ aux aveugles et déficients visuels. Il n’y a du reste évidemment pas de telle liste, et les orientations possibles sont celles dont on a envie et dont on se donne les moyens. « Au cours de mes études (Sainte-Geneviève, HEC, puis pendant un an sur le campus de l’X), l’INJA (Institut national des jeunes aveugles) ainsi que les encouragements de mes camarades et de mes enseignants m’ont aidé à trouver les techniques efficaces (aides techniques, informatique, etc.) et ainsi à entrer dans la vie active – à EDF – avec un certain nombre de solutions aux difficultés auxquelles je pouvais m’attendre. « Ce que, je crois, beaucoup d’entre nous attendent des entreprises, c’est qu’elles fassent confiance à notre volonté d’adaptation et puissent mettre en oeuvre, quand cela est nécessaire, les aménagements raisonnables qui nous permettent de travailler au mieux, et nous donnent ainsi l’occasion d’être jugés sur nos compétences et nos résultats. »
2010- : EDF, économiste des marchés énergétiques
2009–2010 : Polytechnique, Master Economie et Finance Quantitative
2006–2010 : HEC
2004–2006 : classes préparatoires au Lycée Sainte-Geneviève
Membre fondateur d’Handifférence, association d’étudiants d’HEC qui sensibilise les élèves et personnels de l’école à l’intégration des personnes handicapées dans l’enseignement supérieur et la vie active.
Au diable les idées reçues
Les déficients visuels sont aujourd’hui ingénieur, assistante sociale, contrôleur de gestion
La représentation populaire veut que les aveugles soient, dans le meilleur des cas, rempailleurs de chaises, accordeurs de pianos, musiciens ou kinésithérapeutes, quand ils ne sont pas simplement considérés comme inaptes au travail. Les entreprises peinent aujourd’hui à recruter des personnes handicapées, et en particulier des déficients visuels ayant une formation supérieure car ils sont encore peu nombreux (en Grande- Bretagne, par exemple, les handicapés dans l’enseignement supérieur sont dix fois plus nombreux qu’en France).
Or les nouvelles technologies, existantes et en développement, élargissent considérablement la palette des métiers accessibles aux déficients visuels. Ils sont aujourd’hui ingénieur, assistante sociale, contrôleur de gestion, psychologue, enseignant, assistant de manager, juge ou avocat, informaticien, sans oublier le secteur du télétravail (téléopérateur, conseiller clientèle, hot-liner, etc.), et une évolution de carrière vers des postes à responsabilités ne leur est plus fermée.