La nouvelle ère de l’analyse financière
Le soutien de la croissance
Le soutien de la croissance
À l’origine, les banquiers prennent peu de risques sur les entreprises : ces risques concernent surtout les décalages de trésorerie, et leur analyse est réduite à une analyse de bilan dans une optique liquidative. Au cours des trente glorieuses, les entreprises ont recours au financement bancaire pour accompagner leur croissance. Dans cette période, la France et les pays développés connaissent une période de forte croissance de l’ordre de 5 % par an. La mise en place du marché commun européen (1957−1968) contribue à cette évolution favorable. Les taux d’intérêt réels sont faibles. Dans ce contexte, la concurrence se développe. Les entreprises ont besoin d’investir. Les banques accompagnent le mouvement en finançant leurs investissements.
Elles doivent alors apprécier la capacité de remboursement des entreprises, ce qui conduit l’analyse financière à évoluer. De nouveaux outils de diagnostic apparaissent pour mesurer la capacité de remboursement. Les notions de capacité d’autofinancement, de besoin en fonds de roulement et d’excédent de trésorerie en sont les principaux instruments de mesure. L’analyse des risques privilégie l’examen des flux de l’entreprise sur l’analyse du bilan.
Nouveaux acteurs
Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 bouleversent la donne : ralentissement de la croissance, concurrence accrue et taux d’intérêt réels positifs pèsent sur les comptes des entreprises en affectant leur capacité de remboursement. Les prêts bancaires trouvent leur limite. Un renforcement des capitaux propres des entreprises est indispensable. Dans les années 1980, les investisseurs mettent l’accent sur la performance et exigent des rendements de plus en plus élevés sur les capitaux apportés.
Dans les années 1990, ces investisseurs vont encore plus loin en mettant la « valeur » au centre des décisions financières. Des outils comme les tableaux de flux et le coût moyen pondéré du capital font alors leur apparition.
Économie virtuelle
Dans l’économie virtuelle, l’analyse des risques des entreprises perd du terrain
À la fin des années 1990, les banques voient leur contrainte de rentabilité exacerbée. Le niveau du ROE à 15% exigé par les actionnaires est tel que l’activité commerciale traditionnelle ne peut suffire. Les banques se tournent alors vers des activités de marché et abandonnent une partie du financement de l’économie réelle au profit de l’économie virtuelle dont le ROE est supérieur à 15%.
Dans un tel contexte, l’analyse des risques des entreprises perd du terrain. En effet, sachant qu’une part croissante des profits des banques provient d’opérations de marché, les « clients entreprises » laissent la place aux « clients institutionnels ».
Bulle Internet
148 milliards de dollars de pertes
En mars 2000 après avoir surfinancé des valeurs immatérielles, et suite aux relèvements des taux d’intérêt par la FED, la bulle Internet éclate. En deux ans, les entreprises du secteur des TMT enregistrent des pertes abyssales d’un montant de 148 milliards de dollars, soit l’équivalent des gains cumulés des 4 300 sociétés du Nasdaq depuis 1995.
C’est l’époque où on lève des fonds à tour de bras, sans business plan. Les critères d’analyse financière traditionnels sont jugés archaïques, seule compte la valeur de l’entreprise. Mais quelle valeur lorsque celle de eBay représente 8 600 années de bénéfices ! On n’analyse plus les sociétés. C’est le règne de l’immatériel dont la valeur n’a plus de limites – jusqu’à l’éclatement de la bulle Internet.
2008 : la redécouverte du risque de crédit
L’éclatement de la crise des subprimes résulte de la conviction de certaines banques américaines qu’il était possible de consentir des crédits hypothécaires à des particuliers dépourvus de capacité de remboursement. Peu importait que les créances soient irrécouvrables : on les vendait à des sociétés financières qui les transformaient en obligations (titrisation). On croyait faire du bon avec du mauvais. On permettait aussi aux entreprises d’acquérir des sociétés en se finançant presque exclusivement par de l’endettement. Le règne du LBO (leveraged buy-out, financement d’acquisition par emprunt) tous azimuts était né.
Manque de dialogue
Au cours de l’histoire financière, les banques ont utilisé des outils d’analyse des entreprises en suivant les normes comptables (en négligeant la valeur économique) et en donnant la priorité au court terme (faute de pouvoir appréhender l’avenir). De leur côté, les entreprises, poussées par la concurrence, ont privilégié le moyen terme en s’appuyant sur l’analyse stratégique, leur comptabilité analytique et le tableau de bord prospectif de Norton et Kaplan (TBP). Les entreprises et les banques se sont parlé, mais sans vraiment échanger.
En fait, il s’agissait bien de développer une économie virtuelle dont on imaginait que les profits seraient illimités. Le développement de cette économie virtuelle, couplé avec une augmentation des taux interbancaires, conduisit à une crise de liquidités qui entraîna le système bancaire mondial dans une crise de confiance sans précédent depuis 1929. Le resserrement du crédit qui s’ensuivit toucha l’économie réelle.
Priorité à la valeur économique
La crise financière récente et le prochain renforcement des normes prudentielles applicables aux banques (Bâle 3) rendent nécessaire une évolution de l’analyse des sociétés, tant pour évaluer leurs risques (prêts bancaires) que pour les valoriser (investissements en fonds propres, fusions- acquisitions).
L’objectif d’une nouvelle approche de l’analyse financière est de donner la priorité à la valeur économique de l’entreprise (sans rompre avec les normes comptables) dans une perspective à moyen terme. Pour y parvenir, on utilise les meilleurs outils d’analyse des risques des banques d’une part et des entreprises d’autre part.
Quatre axes
Apprécier la capacité de l’entreprise à s’adapter aux variations d’activités inhérentes à ses marchés
Pour ce faire, il convient en premier lieu d’analyser le niveau de stabilité et de récurrence du chiffre d’affaires, facteurs clés pour apprécier la capacité de l’entreprise à s’adapter aux variations d’activités inhérentes à ses marchés ; puis de distinguer le résultat économique du résultat exceptionnel tout en testant son niveau de stabilité – la notion de profit économique permettant de mieux cerner la qualité des fonds propres ; ensuite d’apprécier la qualité de l’endettement de l’entreprise afin de détecter les marges de manœuvres disponibles pour que l’entreprise conduise sa politique d’investissements et développe ses avantages stratégiques durables (ASD) ; enfin, d’élaborer des prévisions plus fiables pour permettre aux prêteurs et aux apporteurs de capitaux d’investir de façon plus sécurisée.
Ces préconisations mettent en évidence les grandes lignes d’une méthode dont les aspects pratiques permettent d’approcher l’entreprise au plus près de la réalité économique. Une méthode d’actualité, compte tenu des dangers du développement effréné de l’économie virtuelle.
Privilégier une vision économique
Pour satisfaire des objectifs de chiffre d’affaires et de résultats dictés par la direction générale, les prévisions sont le plus souvent construites par extrapolation des comptes les plus récents. Or, il faut construire des prévisions en partant de comptes plus économiques que la base comptable et en reliant l’analyse financière et la stratégie. Ainsi, les prévisions sont plus cohérentes avec le secteur de l’entreprise, son marché et ses ASD. L’utilisation du TBP facilite d’une part l’estimation des coûts passés pour mettre en place les actions stratégiques et d’autre part l’évolution de la position stratégique de l’entreprise.
Les deux auteurs viennent d’écrire L’Essence économique, une méthode d’analyse financière et stratégique. À paraître.