Guy Dejouany (40) :
Né en 1922, reçu à l’École polytechnique en 1940, Guy Dejouany entra à la Compagnie générale des eaux en 1950 et en fut l’emblématique président de 1976 à 1996. Sous sa direction, cette maison centenaire connut une expansion fulgurante dans les métiers de l’environnement, les travaux publics et la communication.
Il la transforma en leader mondial, multipliant par sept son chiffre d’affaires, et lui donna l’envergure correspondant au potentiel de ses métiers. Cette politique se révéla d’une fécondité exceptionnelle, puisque la Compagnie générale des eaux donna naissance à plusieurs fleurons de l’économie française : Veolia environnement, Vivendi, Vinci, Nexity, Générale de santé.
Un visionnaire
S’il fut un très grand professionnel des métiers de service public, il fut en même temps reconnu comme un visionnaire. Un éloge justifié car il était, au fond, un explorateur des services du futur. Tout en étant P‑DG, il resta un ingénieur des Ponts et Chaussées passionné par les innovations technologiques et les grands ouvrages. L’inauguration d’une usine, d’un pont ou d’un édifice faisait sa fierté.
L’audace et l’imagination
Décédé en novembre dernier, celui qui fut l’un des plus grands capitaines d’industrie français nous lègue deux enseignements majeurs.
Guy Dejouany ne fut pas seulement l’homme des périodes fastes, il fut aussi l’homme des temps difficiles, notamment lorsque l’État tenta de s’approprier la Compagnie générale des eaux et de la dénaturer. Il la défendit avec énergie et lui permit de demeurer maîtresse de son destin.
L’audace stratégique, d’abord, car s’il cultivait la discrétion, il cultivait surtout l’audace. Secret mais entreprenant, il n’hésita pas à prendre des risques difficilement concevables aujourd’hui : la création de Canal +, alors que personne ne croyait à l’avenir des médias payants ; le lancement de SFR, premier réseau de radiotéléphonie privée, n’hésitant pas à affronter la toute-puissance de France Télécom.
L’imagination permanente, ensuite : pour lui, le rôle de l’entrepreneur était avant tout de créer.
Sans cesse en éveil
Mais ce qui était le plus fascinant en lui, c’était l’homme. Guy Dejouany, c’était avant tout une présence, un regard sans cesse en éveil sur le monde d’aujourd’hui et celui de demain. Il stimulait les intelligences, passant avec une agilité déconcertante du détail à la vue d’ensemble, de la question à la réflexion, de la réflexion à la décision.
Le rôle de l’entrepreneur est avant tout de créer
Il ne détestait rien tant que le contentement de soi, la maigreur de l’ambition, les analyses étriquées, le manque de vision. Doté d’une mémoire encyclopédique, il se révélait un homme de grande culture : amateur de littérature, passionné de musique, amoureux du cinéma, éperdu de peinture, fanatique de football.
Un personnage de l’histoire industrielle
Sous des dehors parfois déroutants, impressionnants ou durs, Guy Dejouany était aussi un humaniste : il se montrait profondément attentif à ses collaborateurs, les aidant à devenir davantage eux-mêmes. Le rôle d’un patron consiste avant tout à insuffler un élan, à inciter chacun à aller jusqu’au bout de soi et de sa mission créatrice dans l’entreprise. Guy Dejouany sut être ce patron.