Protéger l’invention et accompagner l’innovation
REPÈRES
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L’importance croissante de la propriété industrielle et des actifs immatériels qu’elle génère se traduit dans les chiffres. Un récent rapport du Conseil d’analyse économique souligne que « le nombre de demandes de brevets dans le monde en 2008 était de deux millions environ, contre près d’un million en 1990 ». Sur ces dix dernières années, la croissance annuelle des dépôts de brevets des entreprises françaises est d’environ 2 %, l’impact de la crise de 2008 ayant été effacé en 2010. Les plus grands déposants français de brevets en déposent chaque année plusieurs centaines, PSA se distinguant en déposant plus de 1 000 brevets par an.
Il y a quelques années, David Kline et Kevin Rivette sortaient un ouvrage qui allait connaître un beau succès : Rembrandt in the Attic (Harvard Business School Press). La thèse était simple : à partir d’exemples, il était montré comment des entreprises avaient su dynamiser leur portefeuille de brevets pour en tirer un maximum de valeur.
Dans un monde dominé par la mondialisation, la tertiarisation et la financiarisation des économies, l’évolution des chaînes de création de valeur, l’irruption des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, ce constat reste plus que jamais d’actualité.
La part de l’immatériel
Dans un document baptisé « A Rembrandt in the Corporate Attic », le cabinet Deloitte met en évidence la part croissante prise par les actifs immatériels dans la valorisation des sociétés. Il estime que, pour les grandes compagnies américaines, cette part qui était de 17% en 1975 a atteint 81 % en 2009.
Les emplois de demain, la croissance économique, l’équilibre des recettes publiques et la vitalité de nos entreprises – de la TPE au groupe multinational – restent plus que jamais conditionnés par la capacité de notre pays à inventer, à imaginer mais aussi par l’aptitude de nos entreprises à capter ce formidable effort de créativité et d’innovation.
Or, la propriété intellectuelle – c’est-à-dire la protection juridique des créateurs et créations sous toutes leurs formes – est un outil extrêmement puissant que les entreprises peuvent mobiliser pour accroître leur valeur.
Une réalité multiforme
La propriété intellectuelle est multiforme ; elle va du droit d’auteur à la propriété industrielle – brevets, marques, dessins & modèles – en passant par les droits voisins.
Un outil extrêmement puissant que les entreprises peuvent mobiliser pour accroître leur valeur
Elle est complète ; non seulement, elle ouvre la possibilité de droits mais elle met également en place les systèmes qui permettent de les protéger et de les faire valoir : titres de propriété, saisie contrefaçon, sanctions pénales contre la contrefaçon, organisation des juridictions chargées du contentieux de la propriété intellectuelle, protection des inventions de salariés ; tout est mis en œuvre pour favoriser les intérêts des inventeurs sur les copieurs.
Elle est souple et favorise toutes sortes de stratégies. Le brevet en est probablement l’outil le plus abouti.
Au cœur du système, les offices de propriété industrielle et les professionnels – conseils en propriété industrielle et avocats spécialisés – occupent une place clé. Les premiers instruisent, enregistrent, délivrent, diffusent les titres de propriété. Ils font évoluer l’organisation nationale, européenne et internationale du système des brevets et le droit de la propriété industrielle. Les seconds accompagnent les inventeurs indépendants et les entreprises dans la protection de leurs droits mais également les études de liberté d’exploitation, la défense de leurs titres de propriété, l’évaluation de leur valeur ou encore la négociation de licences ou de cessions pour en favoriser l’exploitation et optimiser leur valorisation.
Quatre types de limites
Ces succès incontestables du système de protection des créations ne doivent toutefois pas en occulter les limites. Elles sont de quatre ordres.
Tout d’abord, le droit de la propriété industrielle reste un droit parfois régional – bien que pas toujours abouti, comme en atteste l’exemple du système européen des brevets –, mais plus largement national. Il n’y a pas un droit de propriété industrielle dans le monde, mais plusieurs droits qui coexistent avec chacun ses particularités. C’est particulièrement vrai pour le brevet, et ce qui fait sa force – ses multiples paramètres – fait aussi sa faiblesse.
Trolls
Des acteurs ont très bien su profiter de la situation aux États-Unis ; ils sont connus dans le monde des brevets sous le qualificatif de trolls ; ils achètent des brevets en vrac, ne produisent rien et menacent des entreprises industrielles de litige si elles n’acceptent pas de transiger en versant des indemnités considérables.
First to invent-first to file, délai de grâce, brevetabilité des business methods ou encore indemnités exorbitantes en cas de contrefaçon sont autant de particularités du système américain, qui déroutent les entreprises, peuvent leur coûter cher et surtout génèrent une incertitude économique peu propice à l’épanouissement des affaires.
Que dire alors de ces brevets européens qui peuvent être annulés par une juridiction nationale dans un État mais confirmés dans un autre ?
Aventure coûteuse
Tout est mis en œuvre pour favoriser les intérêts des inventeurs sur les copieurs
Au-delà, la protection reste chère dès lors que l’entreprise s’aventure hors de nos frontières. Les taxes auprès des offices s’accumulent, tout comme les frais de traduction et de conseil, chaque pays ayant ses particularités que seul un spécialiste local peut réellement maîtriser.
Les grandes entreprises se lancent indubitablement dans une course aux armements en multipliant les dépôts de brevets pour des inventions dont l’importance laisse parfois songeur, même si elles respectent les strictes conditions de la brevetabilité : activité inventive, nouveauté et application industrielle.
L’objectif est souvent de construire des murs de brevets qui intimident les nouveaux entrants et permettent de négocier avec ses concurrents en cas de litige.
Craintes diffuses
Incitations politiques
La course aux brevets est elle-même exacerbée par la politique des gouvernements qui poussent leurs entreprises et encouragent la recherche en général – publique en particulier – à multiplier les dépôts de brevets. L’exemple de la politique chinoise est particulièrement illustratif.
Enfin, le droit de propriété a d’une manière générale mauvaise réputation dans certains milieux. C’est également vrai pour la propriété industrielle, et les brevets restent aujourd’hui contestés – pour des raisons plus ou moins valables – dans les domaines des biotechs, des greentechs, de l’accès des médicaments aux pays pauvres ou des logiciels. Il existe chez certains un sentiment diffus que le brevet freine l’innovation plus qu’il ne l’encourage, même si toutes les études en la matière prouvent l’inverse.
L’INPI, entreprise de services
C’est dans ce contexte passionnant que l’INPI situe son action. L’INPI est un établissement public doté de ressources propres et dont le fonctionnement et la gestion sont semblables à ceux de toute entreprise de services. Au départ centré sur la protection des inventions, via la délivrance de brevets et l’enregistrement des marques, dessins et modèles, l’INPI évolue ces dernières années vers une véritable offre de services qui se traduit par un accompagnement personnalisé des entreprises.
Nouvelle dynamique
La réalisation chaque année depuis 2004 de plus de 1000 prédiagnostics de propriété industrielle auprès des PME et des pôles de compétitivité illustre bien l’évolution des missions de l’INPI. L’idée est de donner gratuitement à ces responsables d’entreprises une idée de ce qu’une stratégie dynamique de propriété industrielle pourrait apporter à leur entreprise.
Bien des choses restent encore à faire, et la révision générale des politiques publiques voulue par le gouvernement est l’occasion pour l’INPI d’engager une démarche de pilotage par la performance et de développer une nouvelle offre de services plus complète aux côtés des professionnels de la propriété industrielle pour un meilleur accompagnement des entreprises à l’international, pour également favoriser les démarches d’open innovation à partir des outils puissants de créativité, de veille technologique et de cartographie qui se développent autour des millions d’informations contenues dans les bases de brevets.
Un droit européen des brevets
Il existe un sentiment diffus que le brevet freine l’innovation plus qu’il ne l’encourage
Pour finir, l’INPI s’est résolument engagé dans l’harmonisation européenne du droit des brevets et les temps sont aujourd’hui à un regain d’optimisme. Aux côtés des présidences successives de l’Union européenne, du commissaire Barnier et du ministre français de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, l’INPI œuvre pour que l’accélération récente des négociations sur une protection unitaire par le brevet en Europe et une juridiction communautaire des brevets puisse enfin aboutir à leur mise en place dans les prochains mois après plus de trente ans de négociations. Soyons résolument optimistes !