Yves Angel (37), 1918–2006
LE PROFESSEUR Yves Angel nous a quittés le 3 avril 2006. Il fut, durant la première partie de sa carrière professionnelle, l’un des principaux acteurs du développement technique du service de la télévision en France.
C’était un homme discret, d’une grande finesse et d’une grande rigueur, qualités qu’il alliait aux vertus de courage et de modestie, dissimulant le tout derrière un sourire pétillant. Il se faisait une très haute idée du métier de l’ingénieur. Il l’exerça avec brio et dignité, dans des contextes difficiles, ce qui lui attira l’estime et le respect de ceux qui eurent la chance de le connaître.
Il était né à Paris le 11 novembre 1918 et avait fait ses études aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand. Il entra à l’École polytechnique dans la promotion 1937. Vingt ans plus tard, lorsqu’il choisira de se consacrer à l’enseignement supérieur, il obtiendra un doctorat ès sciences physiques avec une thèse sur le magnétisme dirigée par Louis de Broglie.
Yves Angel sort de l’École polytechnique dans le corps des ingénieurs des PTT alors que la Seconde Guerre mondiale éclate. Il participe, comme officier de transmission, à l’expédition de Narvik.
En 1942, à sa sortie de l’École nationale des télécommunications, il est affecté à la « Radiodiffusion nationale », à Toulouse. Il y fait la connaissance de François Devèze (29), le chef du réseau des résistants de la radiodiffusion, « La chaîne Duvernois ».
Au début 1943, il est affecté à Paris. Des accords sont intervenus entre le gouvernement de Vichy et l’armée allemande pour exploiter un service régulier de télévision bilingue (allemand et français) au bénéfice des blessés, le « Fernsehsender Paris ». Les émissions sont programmées et produites à Cognac-Jay, puis diffusées vers les hôpitaux de la région parisienne par l’émetteur à 441 lignes de la tour Eiffel. Yves Angel est responsable des études et installations techniques. (Cf. l’ouvrage : Cognac-Jay 1940. La télévision française sous l’Occupation).
Il est engagé dans la Résistance et échappe de justesse à la rafle du 19 juillet 1944 au cours de laquelle son ami Devèze, qui mourra en déportation, est arrêté par la Gestapo. Durant la Libération de Paris, il veille au bon fonctionnement des émetteurs qu’il a installés en divers lieux de la capitale, et qui sont utilisés comme « radios libérées » durant les combats.
C’est dans ce contexte qu’il participe aux premiers développements opérationnels en France de la « seconde génération » du système télévisuel, celle des « techniques électroniques analogiques ». Une génération qui n’arrive qu’actuellement à son terme avec la généralisation de la télévision numérique terrestre. C’est alors l’époque des « tubes à vide » : l’iconoscope dans la caméra, l’ampoule cathodique dans le téléviseur, la triode pour amplifier le signal. Des progrès prodigieux et multiformes surviendront au cours de cette génération plus que cinquantenaire. La télévision deviendra le plus puissant média, le moyen d’une profonde transformation de l’humanité. Tout est alors à inventer. C’est grâce à Yves Angel et à son équipe de la RTF que quelques milliers de téléspectateurs français assistent « en direct », le 2 juin 1953, au couronnement de la reine d’Angleterre.
Les années de l’après-guerre sont celles du choix des normes techniques des systèmes de télévision qui seront utilisés pour établir les premiers réseaux nationaux. Les facteurs technologiques, industriels et politiques s’entremêlent. Les conséquences économiques et sociales de ces choix sont lourdes. Ils doivent être coordonnés au plan international pour limiter l’effet du brouillage réciproque des émissions, faciliter les échanges internationaux de programmes et permettre l’existence d’un marché des matériels. Yves Angel est alors, à la RTF, le responsable des études et des matériels pour la télévision. Il oeuvre au CCIR (Comité consultatif international des radiocommunications) pour l’adoption d’un système unique en Europe.
Toutefois la France adopte le système 819 lignes pour le premier réseau national d’émetteurs en ondes métriques, par un arrêté du 5 avril 1949 signé de F. Mitterrand. Les Anglais conservent leur système 405 lignes tandis que les autres pays européens, adoptent le 625 lignes. Les téléviseurs des Français devront rapidement devenir « bi-standards ».
Une décennie plus tard, ce sont les choix techniques relatifs à la télévision en couleur qui se préparent. Y. Angel pressent, avec perspicacité, que les forces politico-industrielles vont à nouveau s’opposer à l’adoption d’un système européen unique : par un arrêté du 20 janvier 1967, signé de G. Pompidou, la France choisira le système SECAM tandis que le reste de l’Europe de l’Ouest choisit le système PAL.
C’est à ces motifs qu’Yves Angel décide de quitter la RTF et de consacrer la seconde partie de sa carrière à l’enseignement supérieur et aux organismes internationaux de normalisation.
La chaire de transmissions radioélectriques du Conservatoire national des arts et métiers lui est confiée. Il enseigne à l’École nationale supérieure des télécommunications, ainsi qu’à l’École nationale de l’aviation civile et à l’IDHEC.
Durant trente ans (1956−1986), il préside la Commission mixte CCIRCCITT pour les transmissions télévisuelles et sonores (CMTT). L’Union internationale des télécommunications (UIT) lui décernera son diplôme d’honneur en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle à ses travaux.
Avec le départ de notre ami Yves Angel, c’est la mémoire vécue d’une époque historique de la technique télévisuelle qui s’éteint.