Deux ouvrages sur la mécanique quantique
Messiah (40). Friedel (42). Balian (52). Brézin (58). Laloë (60). Balibar (66). Spiro (66). Deveaud-Plédran (71). Georges (79). Hélène Perrin (91). Cécile Robilliard (91). Treps (94). Lauriane Chomaz (06).
Ce n’est pas la liste des gagnants à une quelconque tombola : s’il y a hasard, c’est de hasard quantique qu’il s’agit. Le beau livre Le plus grand des hasards. Surprises quantiques recense une soixantaine d’acteurs français de la physique quantique, dont nos treize camarades ci-dessus – et c’est plutôt bon signe de voir ainsi les polytechniciens, de tous âges, au vecteur d’état masculin ou féminin, représentés en bonne proportion dans le gratin de la recherche en physique quantique. Sans oublier les professeurs et chercheurs à l’École qui y figurent aussi : Aspect, Basdevant ou Dalibard…
Les deux auteurs, avant tout photographes (metteurs en scène de science pourrait-on dire), récidivent après les portraits de mathématiciens des Déchiffreurs (Belin 2008) : ils saisissent cette fois-ci des instantanés en noir et blanc de nos physiciens au travail, chez eux, au « bureau », entre collègues, et les font parler, l’un après l’autre, de leur vision de la physique quantique.
On se plaît à imaginer un éditeur allemand qui aurait mis en oeuvre cette idée dans les années 1920–1930, avec les photographies et la vision de Bohr, Born, de Broglie, Dirac, Einstein, Fermi, Heisenberg, Pauli, Schrödinger… C’est en tout cas un beau livre d’art et de philosophie des sciences racontée à tous que ce Plus Grand des hasards contemporain.
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Tout autre est le livre d’un de ces acteurs-là, Franck Laloë. Ce n’est ni un livre de vulgarisation traditionnel, ni un manuel universitaire comme peuvent l’être le fameux « Messiah » (Dunod) – qui a formé des générations de physiciens français –, ou le non moins fameux manuel (Hermann) de Claude Cohen-Tannoudji, Diu et… Laloë.
Ce dernier puise dans son e x p é r i e n c e d’écriture de manuels de référence, et bien évidemment dans sa pratique quantique, pour nous livrer un ouvrage solide, conforme aux promesses de la collection, intitulée « Savoirs actuels ». Il nous fait entrer dès l’abord dans le formalisme mathématique, mais ne néglige pas la riche histoire de la physique quantique – dans cette matière l’histoire est encore plus que dans d’autres disciplines un moyen efficace de compréhension –, non plus que les interrogations philosophiques y afférant, en discussion des résultats physiques successivement examinés et démontrés par l’auteur.
J’aime bien une image de l’ouvrage, à propos du lancinant problème de la réduction du vecteur d’état (ou « réduction du paquet d’ondes »), propre à la mesure macroscopique des propriétés quantiques : est-ce qu’un animal (un chat?) peut réaliser une expérience et réduire le vecteur d’état, ou est-ce l’apanage des êtres humains ?
Laloë cite à ce propos John Bell : « La fonction d’onde de l’Univers était-elle en train d’attendre d’effectuer son premier saut pendant des milliers de millions d’années jusqu’à l’apparition de la première créature vivante unicellulaire ? Ou a‑t-elle dû attendre un peu plus un observateur plus qualifié – avec un doctorat d’État ? »
Mais, surtout, cet ouvrage nous transporte dans les expériences et discussions les plus récentes – et, disons-le, les plus troublantes –, celles de l’intrication et de la réduction notamment, en nous en donnant les différentes interprétations en cours, dérivées de l’école de Copenhague ou s’en éloignant.
Un livre à lire armé d’un solide bagage mathématique – pourquoi pas celui d’un polytechnicien formé par les professeurs mentionnés ci-dessus ?