La fonction cachée de la monnaie face aux charges assises sur l’activité des entreprises
À mesure que les marchandises s’élaborent dans le circuit de la production, leurs prix transportent d’entreprise en entreprise une véritable information sur le total des efforts mis en œuvre jusque-là pour les produire. Ainsi la monnaie remplit une fonction d’information séquentielle qui, dans une économie en division du travail, permet, par le jeu des intérêts de chacun, d’optimiser la productivité. Mais pour que ce mécanisme fonctionne efficacement, il est indispensable qu’aucun prélèvement obligatoire assis sur l’activité des entreprises en train de produire ne risque de déformer, les unes par rapport aux autres, les informations ainsi transmises.
Maurice Lauré montre qu’il n’est possible de porter des jugements sur les qualités et les défauts des différents types de prélèvements à cet égard qu’en raisonnant sur l’ensemble de l’économie du pays, considérée comme une vaste entreprise intégrée dont les véritables entreprises seraient les ateliers, dotés de l’autonomie de gestion, chacun n’étant responsable que de son propre profit. Il parvient ainsi à une série de constatations sur la nature, l’importance et les conséquences économiques des déformations que causent les prélèvements sur la production selon la nature des composantes des coûts de revient retenues pour leur assiette.
Dans toutes ces constatations, un phénomène domine : lorsque les entreprises doivent verser un prélèvement sur la production en cours, sans être aussitôt remboursées (à la manière des déductions de la TVA), elles sont contraintes d’augmenter leur appel à l’épargne, afin de “ porter ” l’impôt jusqu’au moment où le produit est acquis par un consommateur.
Il en résulte :
– un besoin excessif d’épargne, à égal niveau de production ;
– un surcoût stérile, qui érode le niveau de vie ;
– un gonflement des rémunérations du capital en comparaison de celles du travail.
Le bon sens explique ce phénomène par le fait que tous les clients du secteur productif (les collectivités publiques et les particuliers) n’achètent, tant pour investir que pour consommer, que des produits dont la fabrication est achevée. Par conséquent, si des fabrications en cours sont taxées, le secteur productif (considéré dans son ensemble) ne peut pas acquitter l’impôt en vendant à qui que ce soit une partie de ces fabrications soumises à prélèvement. Il doit faire appel à davantage d’épargne.
En France pour le seul secteur du logement le montant d’épargne inutilement investi est de l’ordre de 2 000 milliards (principalement du fait d’un régime fiscal non cohérent avec le principe général de la TVA).
Il y a également place pour le bon sens dans la manière d’évaluer la pression fiscale. La principale anomalie de l’indice couramment utilisé (indice dont le dénominateur est le PIB tout entier) est que sa valeur 100 correspondrait à la situation d’un pays en économie de guerre où la totalité des sommes habituellement utilisées à consommer et investir serait prélevée pour alimenter la bataille. Dans cette situation, l’entretien du potentiel de production ne pourrait être assuré que par endettement croissant auprès de l’étranger. Le dénominateur de l’indice est donc fortement surdimensionné : il ajoute implicitement aux ressources du pays d’autres importantes ressources, puisées à l’étranger.
Un indice 100 rationnel serait celui correspondant à une estimation où l’État prélèverait la totalité de ce que l’économie n’affecte pas au remplacement et à la croissance normale des équipements productifs. La population demeurerait privée de tout potentiel de consommation ou d’achat de biens à usage personnel : l’État devrait assurer la survie des habitants par la distribution de rations alimentaires et l’octroi de billets de logement. Toutefois l’autonomie du pays ne serait pas menacée par un endettement forcément croissant à l’égard de l’étranger. Une telle base de référence correspond dès lors, à coup sûr, à la plus extrême rigueur. Or sur cette base, et en harmonisant la répartition des charges entre dépenses privées et dépenses publiques de même nature, l’indice de la pression fiscale pour 1993 aurait dépassé 61 %, alors que l’indice couramment utilisé n’a accusé que 44%.